LES VIEUX FACE À L’AVENIR

Francis Massé,

Président de MDN Consultants,

Ancien Haut fonctionnaire

« Aider quelqu’un d’autre dans les difficultés est le point où la civilisation commence ».  Margaret Mead

Nous avions dans une précédente chronique consacrée à la jeunesse annoncé une chronique dédiée à nos ascendants (1) . La voici. Nos « vieux » sont-ils en trop ? La question est posée et d’abord par eux-mêmes. Un étudiant demanda un jour à l’anthropologue américaine Margaret Mead ce qu’elle pensait être le premier signe de civilisation dans une culture. Elle répondit que c’était un fémur cassé puis guéri. Aucun animal ne survit à une jambe cassée assez longtemps pour que l’os guérisse. Un fémur cassé puis guéri est la preuve que quelqu’un a pris le temps d’être avec celui qui est tombé, a bandé sa blessure, l’a emmené dans un endroit sûr et l’a aidé à se remettre. 

Prenons-nous le temps d’être avec nos aînés ? Quel est leur avenir ? Notre avenir avec eux ? Le Politique a-t-il une réflexion sur cette question ?

En 1974, Richard Fleischer sortait son film éblouissant Soleil vert décrivant une société terriblement répressive (2022 !). Les ressources naturelles étant épuisées, une société privée Soylent Corporation a le monopole pour l’alimentation des populations et distribue une nourriture de synthèse rationnée, le Soleil vert. Elle conçoit aussi un lieu insolite le « Foyer » où les personnes âgées peuvent se rendre pour se faire euthanasier. Les vieux se laissent partir en écoutant Beethoven et Grieg et en observant des paysages naturels depuis longtemps disparus. A la fin du film le héros découvre un terrible secret relatif à l’origine réelle des aliments fabriqués par la Soylent Corporation.

Nous avons eu l’occasion de visiter La maison des vieux de Nanterre au début des années 80 et, depuis, cette question nous a paru centrale dans l’organisation de la société. On sait que le VIIIème plan mort-né en avait fait un point de réflexion et que depuis plusieurs décennies nous butons sur le dossier du quatrième âge (notion inventée dans les années 80 et qui réunit les ainés de 75 ans et plus), comme sur celui de la dépendance.

Il est désormais démontré amplement que ni la classe politique ni les gouvernants n’avancent par les scandales (la prison, la drogue, les maisons de retraite, le féminicide, le harcèlement moral et sexuel direct ou sur les réseaux sociaux, le racisme, la cancel culture, les immeubles insalubres, la violence, etc.) !

Les maux de notre époque, le trop plein de mots les occulte. Le « dossier » de nos aînés est tout particulièrement dérangeant dans une société qui n’a de cesse de se cacher la mort. Nous écoutions encore récemment des personnes averties et cultivées certainement non dénuées d’intelligence sur le sujet, s’exprimer sur la réforme des retraites et s’étonnant que tant de gens pouvaient s’y opposer. Alors que pour eux c’était une simple mesure technique incontournable.

Le philosophe Robert Redekker dans un article remarqué de 2010 avait exposé en quoi les Français demeuraient attachés à ce mythe (2)

La France est un pays qui vit la retraite sur le mode de l’attente et de l’espoir. Tous, nous connaissons des personnes qui, encore en pleine activité, avouent “attendre la retraite”. Nos concitoyens oublient facilement qu’elle est le vestibule de la mort, qu’une fois passé son âge, l’on s’efface peu à peu de l’univers des vivants, à petit feu, jusqu’à l’extinction dernière. Ils oublient qu’elle est le temps du déclin, des maladies, des hospitalisations. Le temps d’Alzheimer. Le temps de Parkinson. Pour exalter la retraite, ils la rêvent comme un paradis et la tiennent pour l’âge d’or de l’existence. (…) L’agonie d’une croyance est toujours convulsive, nécessitant des rites. La réalité contraint le peuple français, sur certaines de ses croyances, à un travail de démythologisation. Paradoxalement, et à son insu, le mouvement social de cet automne accomplit ce travail. Ainsi, les imposantes manifestations de ces derniers temps sont-elles, malgré les couleurs vives des banderoles, la gaieté des chants et des rythmes musicaux, des cortèges funèbres : ils portent à sa dernière demeure, le grenier de l’histoire, un mythe social bien français, la retraite.

Nous vivons un temps où le recours à l’anthropologie est plus que nécessaire pour mieux comprendre ce qui nous arrive comme pour poursuivre et faire société. Nos mythes fondateurs sont tous questionnés et nous nous devons de les conscientiser pour les faire évoluer et nous-mêmes nous transformer. Une pensée prospective et stratégique s’impose. Nous le pouvons !

La photo ci-dessous montre le chef tribal Eli Mabel village de Papouasie (Indonésie) tenant le corps de son ancêtre. Selon une coutume réservée aux anciens importants et aux héros locaux du peuple Dani, il a été embaumé il y a environ 250 ans et conservé avec de la fumée et des huiles animales (Source IMAGE : ADEK BERRY).

L’image du « vieux » et, pire, de la « vieille » n’est pas ce qu’elle devrait être. En effet c’est notre futur et nous ne voulons pas le voir. Mais nous ne voulons pas considérer non plus – et notre organisation politique et sociale ne nous y aide pas du tout – que nous pouvons changer cela.  Il nous faut qualifier et non tout quantifier ! 

Pourquoi tout normer : le nombre d’heures, de jours, d’années ?  Au fond de nous-mêmes nous savons que préserver des temps d’activités à tout âge nous aide à vivre, nous donne en sus d’une utilité sociale, plus de santé morale et physique, un lien avec les autres, une attention.

Les personnes âgées ne cessent de nous éclairer et nous apprennent tous les jours par leurs expériences et leurs émotions. Lors de l’exposition universelle de Shanghai en 2010, tandis que le pavillon français exposait l’Angélus de Millet, celui de l’Allemagne mettait en avant une expérience urbaine avec des immeubles facilitant un habitat intergénérationnel. Mais en même temps il existe des milliers d’expériences et de situation positives au profit des personnes âgées, en France et ailleurs, qui mériteraient d’être généralisées. Au moment où nous écrivons ces lignes la presse nous informe de l’ouverture d’un bar dans un EHPAD (3) des Hauts de -France à Abbeville. L’initiative, pour simple qu’elle soit, peut prêter à sourire… en tout cas elle redonne de la joie aux résidents et recrée du lien social.

Mais cette « collectivisation » de la gestion de nos vieux de type maisons de retraite médicalisée ou pas a-t-elle un avenir ? Humainement comme financièrement, le dispositif a certainement des limites. L’INSEE nous donner une information éclairante sur la répartition de la population par groupe d’âges en 2023 :

Toujours selon l’INSEE, en 2050 près d’un habitant sur trois aurait plus de 60 ans, contre un sur cinq en 2005. Les proportions de jeunes d’âges actifs diminueraient. Au 1er janvier 2050 la France compterait alors sept habitants âgés de 60 ans ou plus pour 20 habitants de 20 à 59 ans. 

Comme ne cesse de le répéter, entre autres Think tank, Le courant constructif, la nécessité absolue est alors de penser globalement la stratégie du futur ; elle ne peut être qu’intégrale, globale et systémique. La transition sociale est tout aussi indispensable que la transition écologique ou énergétique. Le développement d’une économie de la connaissance s’impose tout autant. Sans oublier le renforcement de la démocratie ! A cette fin répétons sans nous lasser qu’une nouvelle gouvernabilité s’impose.

Ainsi l’avenir de nos aînés est-il indissociable du nôtre et nous ne saurions concevoir l’organisation sociale de demain sans eux puisque leur cause s’avère en quelque sorte consubstantielle à la nôtre, à notre propre futur. 

La conception de nos villes et de nos logements, l’accès aux modes de transport, les règles relatives au temps de travail, à la retraite, aux activités de toute la vie, l’alimentation, le sport et la santé, la façon dont parfois les entreprises gèrent les seniors sans égard d’ailleurs pour les conséquences financières sur la sécurité sociale, ni pour les risques de pertes de compétences pour elles-mêmes, tout devrait avoir une approche intergénérationnelle et a-catégorielle. Certes c’est demander beaucoup aux bureaucraties que d’arrêter de sectoriser, segmenter, limiter, voire stigmatiser. Certes voir « grand » et « simple » est le plus difficile mais c’est exactement cette démarche vers laquelle il faut désormais s’engager.

Une information, ô combien singulière, nous est remontée selon laquelle le Maire d’une commune avait, croyant bien faire, fait réduire les queues d’attente aux guichets de la mairie les jours de marché sans voir que cette attente même était l’occasion pour les personnes âgées de se rencontrer et de prendre le temps d’échanger !

(1) La richesse humaine ignorée CEPS Chronique Mars 2023 https://ceps-oing.org/notesdactualites/la-richesse-humaine-ignoree/

(2) https://www.lemonde.fr/retrospective/article/2010/10/20/la-retraite-agonie-d-un-mythe-francais_1428758_1453557.html 

(3) Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes 

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