par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.
L’avion ! L’avion ! qu’il monte dans les airs,
Qu’il plane sur les monts, qu’il traverse les mers,
Qu’il aille regarder le soleil comme Icare
Et que plus loin encore un avion s’égare
Et trace dans l’éther un éternel sillon
Mais gardons-lui le nom suave d’avion
Car du magique mot les cinq lettres habiles
Eurent cette vertu d’ouvrir les ciels mobiles.
Guillaume Apollinaire
J’aime l’avion, le bateau, le train, la bicyclette, la marche, les livres. Depuis mon Aquitaine natale l’estuaire de la Gironde est un appel vers le grand large et la diversité des cultures ne peut s’apprécier et s’enrichir qu’au défi de la mobilité et de la découverte.
La navigation sur cet estuaire, le plus vaste d’Europe, vers le phare de Cordouan est une aventure pour les yeux. Arriver à ou partir de Bordeaux Mérignac est une épopée.
C’est ce qu’éprouva le jeune lycéen qui débarqua en pleine tempête de neige à Bristol après son premier voyage en avion pour découvrir l’Angleterre.
L’écologie est néanmoins naturellement pour lui une seconde nature et il s’enrichissait à écouter son père récitant dans les vignes Les Bucoliques de Virgile. Le désir de voler est un rêve éternel de l’humanité. Le mythe d’Icare parcourt notre culture liée au progrès humain et au développement. La mobilité est un bienfait social irréfutable et constitue un vecteur clé de l’économie mondiale.
Alors STOP à ceux qui dénigrent inconsidérément et de façon inculte ou dogmatique le transport aérien !
On bloque ainsi la navette Paris-Orly/Bordeaux qui handicape lourdement tout le pôle industriel et la filière aéronautique, spatiale et défense (ASD) sise sur la rive gauche de Bordeaux Métropole (Dassault, Thales, Ariane Group, etc.). La gare SNCF est à 1 heure de la zone. Alors que l’intérêt primordial est de s’occuper des trajets des quelque 50 millions de français qui vivent dans des villes de moins de 100 000 habitants. En France en effet 15 millions de personnes vivent dans des communes de moins de 2000 habitants, 15 autres millions dans des communes de 2000 à 10 000 habitants, 22 millions dans des communes de 10 000 à 100 000 habitants et les 10 millions restants dans des communes de plus de 100 000 habitants. Ces faits montrent en quoi le discours est parfois inadapté. Par ailleurs, les notions de « ville du quart d’heure » ou du « dernier kilomètre » font-elles sens sans mise en pratique effective ni sans une approche globale et pragmatique ? L’épisode des Gilets Jaunes ne semble pas compris. Préférer surfer sur des représentations idéologiques totalement coupées des réalités, en choisissant des options souvent contraires à la prise en compte de l’environnement est une erreur. La SNCF à qui on a demandé de construire de très beaux ouvrages d’art pour la LGV Tours Poitiers, désormais pour Bordeaux-Toulouse, a dû tirer un trait sur la biodiversité. 8 milliards d’euros pour gagner une heure entre Paris et Bordeaux n’est-ce pas trop cher payé ?
A l’opposé d’une vision pragmatique, la toute récente mais pas inattendue position de la Commission européenne de taxer progressivement le kérosène pour les vols à l’intérieur de l’Union européenne Europe sonne comme un dogme porteur de repli. A juste titre l’Association internationale du transport aérien (IATA) ne goûte pas cette option et affirme que « L’aviation est engagée sur la voie de la « décarbonation » » et n’a pas besoin « de mesures punitives comme les taxes pour changer (…) En fait, les taxes siphonnent l’argent de l’industrie qui pourrait soutenir les investissements » visant à réduire les émissions du secteur par la voie du renouvellement de la flotte et les technologies propres, fait valoir son directeur général, Willie Walsh. Qui poursuit : « Pour réduire les émissions, nous avons besoin que les gouvernements mettent en œuvre un cadre politique constructif qui, dans l’immédiat, se concentre sur les incitations à la production » pour les carburants d’aviation durables (SAF) et « la mise en place du ciel unique européen ».
D’autres représentants du secteur ont réagi de façon similaire, les compagnies aériennes regroupées au sein de l’association A4E appelant également au développement d’avions électriques et à hydrogène.
Vraiment, le bel avion d’Ader a-t-il mérité tout ce raffut ?
Les chiffres concernant l’aviation en matière de production de gaz à effet de serre mis sur la table sont le plus souvent approximatifs, voire faux. Mais la question n’est pas là : il est évident que des mesures d’optimisation énergétique s’imposent à l’aviation. Mais il faut planifier ces avancées de façon réaliste.
Le projet Drawdown propose par exemple sur trente ans d’éviter l’émission de 5,1 gigatonnes d’émission de dioxyde de carbone permettant d’épargner 3200 milliards de dollars sur le carburant d’aviation et les frais d’exploitation. Un ensemble de moyens techniques, de nouveaux prototypes d’avions, de nouvelles sources d’énergie ou de mesures règlementaires va devoir être engagé dans les prochaines années [1]. A cet égard le Green Deal doit être un accélérateur d’innovation au profit de l’avion et non un obstacle de plus pour entraver son développement. CORSIA et CORAC traitent le sujet [2].
Que faire ?
Il est vrai que beaucoup de choses fausses sont dites de façon orchestrée contre l’avion. Ici, les déclarations d’intérêt ne devraient pas être uniquement obligatoires dans le monde de la santé. Trop de déclarations inconvenantes parce que fausses, partiales ou partielles encombrent le débat public sur l’activité du transport aérien. Il est primordial de lutter contre le changement climatique mais quelle stratégie nationale et européenne serait raisonnable ?
Ne faut-il pas commencer par la réduction des activités à la fois les plus polluantes et pour lesquelles les solutions existent ? Puis amplifier les efforts de R&D déjà bien engagés. Les recettes issues de la taxe sur le kérosène pour l’aviation ira-t-elle à 100% à la R&D pour l’avion ? Sont tout de même en cause l’emploi industriel, notre richesse collective, et une vraie préparation à la bataille économique qui est devant nous. Face aux autres grandes puissances l’Europe peut-elle continuer à en faire partie ou se vassaliser ? S’attaquer aux imaginaires qui portent l’industrie du transport aérien c’est vouloir le détruire, et sacrifier 150.000 emplois qualifiés voire hautement spécifiés et laisser la place aux autres. Est-ce cela que l’on souhaite ? Tuer le goût de la recherche et de l’innovation c’est affaiblir la capacité de notre Europe, de sa culture, de ses forces morales et sociales à poursuivre son développement humain.
Or le transport aérien est un vecteur indispensable de développement culturel, scientifique, industriel et économique qui relie entre des écosystèmes innovants dispersées sur la planète. Ces écosystèmes émergent à partir d’un terreau culturel et humain singulier qui ne résulte pas que d’une planification rigide.
L’avion symbolise et constitue à la fois la force créatrice qui appelle à son tour des politiques de grande dimension, une vision. Du doigté et de la finesse dans l’exécution. Un partenariat public-privé dans la gouvernance.
Un nouveau narratif
Naturellement l’aviation doit et sait déjà se saisir de cette action déterminante pour son avenir. Mais l’avion ne saurait être le paravent de nos blocages au développement. Certes il y aura une évolution probable dans la nature de la clientèle des passagers aériens mais la croissance de la demande devrait repartir à la hausse. Certes l’Europe a un réseau ferré sur une superficie somme toute resserrée mais de là à en tirer argument contre l’avion : 25 heures en voiture entre Lisbonne et Berlin et le train le plus rapide met 44 heures tandis que celui entre Oslo et Rome plus de 37 heures. D’où l’inadaptation de la proposition européenne, dont nul ne doute qu’elle sera suivie par le Parlement européen, qui est contraire quelque part à l’esprit de la libre circulation intra-européenne des citoyens et des idées.
Mais n’incriminons pas trop vite les politiques et appliquons-nous à convaincre l’opinion publique. Ouvrons un nouveau narratif authentique – et non cosmétique – sur une civilisation du respect de la nature, de la diversité des cultures et de l’ouverture au monde. Donc une mobilité et des moyens de mobilité dont l’avion vert. Un avion décarbonné amenant des hordes de touristes détruire la baie d’Ha Long (Viêt Nam) serait contre-productif.
Donc promouvons une vision nouvelle et ne nous faisons-pas enfermer dans des querelles du passé. Ici comme ailleurs prenons-soin d’avoir une vision d’ensemble et pensons autrement. Et ne soyons pas dupes des intérêts idéologiques autant qu’économiques des adversaires de l’avion.
Ainsi la comparaison entre modes de transport a ses limites et la coopération modale a plus d’intérêt que la compétition par ailleurs nécessaire et stimulante.
La question ici est aussi de chercher à savoir ce que dit de nous cet ostracisme de l’avion, il faut noter que les armateurs de navires au commerce ont subi dans le passé une réputation identique bien avant que les questions environnementales n’émergent dans l’actualité. Ces deux vecteurs de l’économie mondiale sont au cœur de la finance, du commerce et des activités internationales ; ils prospèrent respectivement dans l’élément maritime et aérien aux yeux d’une France terrienne dont les valeurs sont tout autant positives si elles ne monopolisent pas la vision d’ensemble de notre projet de société.
Cet ensemble de caractéristiques qui ne sont pas les valeurs spontanées de nos compatriotes. A quoi s’ajoute une image discutable de « transport des riches ».
A n’en pas douter se greffe sur ce constat un désintérêt national pour l’innovation et le changement. Ce qui fait que notre pays qui, pourtant depuis longtemps déjà, a beaucoup évolué sur tous ces points, semble lesté par ce passé somme toute conservateur, voire rétrograde. Ces traces d’effondrisme ou de collapsologie sont les alliés objectifs de nos concurrents, voire de la volonté de puissance exacerbée d’autres États ou de groupes hostiles à la construction européenne et au développement de nos pays, dont la France ; la guerre, économique ou pas, est toujours précédée par celle des idées. On ajoutera que la rationalité politique repose logiquement sur la recherche de l’élection ou de la réélection ; ce n’est donc pas forcément du côté des gouvernants que l’émergence d’un nouvel état d’esprit apparaîtra. Ni peut-être même – hélas – du côté des bureaucraties administratives privées ou publiques, nationales ou européennes.
Renouer avec l’esprit de modernisation, de réforme ou de transformation suppose une acceptation de la complexité qui exige elle-même une longue préparation et acculturation des populations.
Mais souhaite-t-on vraiment s’adresser à l’intelligence des citoyens ? C’est là où les propos d’Augustin de Romanet, président du groupe ADP, sonnent comme un avertissement : il y aura finalement un après-Covid -dit-il- (j’ajoute pour ma part qu’il se fera dans les esprits) tant les réponses à la pandémie et la pandémie elle-même auront accéléré et amplifié les sourdes évolutions qui étaient en cours [3]. Mais cela ne suppose-t-il pas que les chefs d’entreprise – je parle des vrais entrepreneurs – changent leurs propres logiciels et fassent en sorte de ne plus rechercher le cerveau disponible des consommateurs mais leur esprit critique ?
À coup sûr l’écosystème du transport aérien ne se transformera qu’en s’ouvrant lui-même aux lentes transformations, celles en cours des producteurs d’énergie comme du monde du tourisme durable, celles enfin des citoyens et en finale des politiques.
Le courage et l’imagination politiques doivent enfin être au rendez-vous. Construire notre avenir tant économique et social que politique ne consiste-t-il pas au sens d’Aristote à œuvrer aux choses de la cité, ou plus exactement à anticiper et construire le devenir de la Cité, de nos États dans leur modernité ?
Or si c’est ce que l’on souhaite vraiment, il nous faut admettre que nul ne sait aujourd’hui penser ni construire ce futur humain souhaitable sans voyager et aller à la rencontre des autres cultures dont la diversité est notre richesse. Aussi nous faut-il poursuivre cette optimisation durable de la mobilité et bien évidemment aller vers ce transport aérien décarbonné sans lequel notre monde ne saurait se ressentir vivre comme un village, et notre village, notre espace national, se ressentir monde.
[1] Paul Hawken, DRAWDOWN – Comment inverser le cours du réchauffement planétaire. Actes Sud 2018.
[2] CORSIA est un régime mondial de mesures basées sur le marché destiné à compenser la fraction des émissions de C02 des vols internationaux leur niveau de 2020. (OACI). Le CORAC présidé par le Ministre des transports est un organe de concertation État Industrie dédié à la mise en place du programme national de recherche de la filière aéronautique.
[3] Rencontres économiques d’Aix-en-Provence – 2021