POUR UNE FRANCE DÉCENTRALISÉE DANS UNE FÉDÉRATION EUROPÉENNE

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Président de VIGIE Éco et Ancien directeur régional de la Banque de France. 

Commençons par un constat d’opinion qui change bien des idées reçues :

  • 6 Français sur 10 souhaitent donner plus de pouvoirs aux régions selon un sondage paru dans le Point du 7 décembre ;
  • Près des 2/3 des Français jugent les COP « inutiles » selon un sondage de l’Institut Montaigne et font d’abord confiance aux « collectivités locales » pour lutter contre la crise de l’énergie et du climat.

Cet état de l’opinion est à relier à ce que nous savons de la situation financière de la France d’une part , et d’autre part de la crise à venir de l’énergie et du climat. Ces liens font l’objet de notre chronique.

I) Pourquoi il est urgent de décentraliser la France :

La France est de loin le pays le plus centralisé d’Europe. Alain Peyrefitte l’exposait déjà dans le « Mal Français » (1976) comme une conséquence délétère de notre Histoire.

Alors que partout ailleurs en Europe l’État est venu fédérer des nations préexistantes au travers des Cités-État et de leurs langues communes, en France la nation s’est forgée autour d’un État centralisé et vertical.

Le général de Gaulle avait eu en 1969 l’intuition de la décentralisation mais il avait été battu au référendum sur la réforme du Sénat.

Il en résulte de nombreux dysfonctionnements qui minent notre pays en bridant son énergie :

  • A l’exception de l’extrême-gauche , toute la classe politique voudrait décentraliser la France mais s’avère incapable de le faire. Cela infantilise les Français dans une relation d’amour-haine avec l’État. Le chef de l’État « guérit les écrouelles » mais on rêve de le guillotiner. C’est la « névrose française » décrite jadis par Peyrefitte (1976).
  • Nos ratios : administration / services opérationnels appliqués aux services publics sont plus élevés que dans les pays fédéraux (de droit ou de fait) qui nous entourent. Cela rend impossible la réforme structurelle de nos finances publiques.

Quelques exemples :

  • Une réforme aussi simple que le « Conseiller territorial » (Balladur 2009) n’a jamais vu le jour. Elle est pourtant simple et de bon sens. Il s’agit de réduire le nombre de mandats et de favoriser les synergies en élisant les mêmes personnes dans les Assemblées régionales et départementales.
  • Nous battons toujours le record du monde des couches administratives avec notre « mille-feuilles à 5 tranches » (communes, communautés de communes, départements, régions, État) s’ajoutant à l’Europe.
  • Dans un secteur comme la santé, la crise sanitaire a révélé que notre ratio : administration /soignants était plus élevé qu’en Allemagne.
  • Enfin et surtout, le classement PISA sur les performances scolaires montre que nous sommes parmi les derniers pour l’autonomie des établissements , ce qui entraîne toutes les mauvaises performances.

Le pouvoir actuel a plus déconcentré (vers les préfets) qu’il n’a décentralisé.

Les deux sont pourtant nécessaires.

L’initiative de créer les grandes régions (2016) de dimension européenne n’a finalement pas débouché sur une redistribution des pouvoirs.

Avec le think tank toulousain « Bolégadis » et des élus locaux de cette région, nous suggérons qu’hors le régalien et les cadres nationaux de recrutement ou de méthode, tout soit décentralisé vers les régions et les Communautés de communes. Pour favoriser l’autonomie et l’initiative dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’emploi et du soutien aux entreprises.

C’était d’ailleurs dans le projet du CEPS en 2022.

II) Pourquoi est-ce à l’échelon local et régional que se joue la résilience contre la crise de l’énergie et du climat :

Ce qui est intéressant et complètement nouveau, c’est que cette aspiration à la décentralisation recoupe désormais la nécessité de résilience des territoires. Il s’agit d’assurer notre autonomie alimentaire et énergétique en toutes circonstances.

Rappelons les termes du « carré infernal » que j’ai développé dans mes précédentes chroniques :

  • les centrales nucléaires annoncées ne seront pas prêtes avant 2037;
  • à cette date la demande d’électricité aura augmenté de 50 %;
  • la production mondiale de métaux multipliée par 7;
  • la production de pétrole vraisemblablement réduite d’1/3.

Toutes ces données sont officielles,

mais on voit que leur articulation ne colle pas.

Nous allons donc vers une crise de l’énergie aux environs de 2030-35. Elle était prévue dans le rapport du Club de Rome dès 1972.

Comment y faire face ?

En développant dans les territoires une économie circulaire , des circuits courts d’approvisionnement et des groupements locaux de production d’énergie renouvelable permettant d’en caper le prix.

III) Pourquoi une Fédération européenne est la seule issue pour endiguer le déclin européen :

Le décrochage de l’Europe par les États-Unis est impressionnant (croissance, productivité, investissements,  recherche…). Et les États-Unis risquent de se désengager d’Europe.

Les Français ne comprennent pas le sens du mot « Fédération » qu’ils assimilent à contre-sens à un super-État.

Notre culture nationale ignore les principes fédéraux que l’on ne peut même pas nommer en français :

  • empowerment,
  • accountability.

Que l’on pourrait traduire par « donner du pouvoir et rendre des comptes ». Voilà l’essence d’un pouvoir fédéral.

Mario Draghi, l’ancien président de la BCE et du gouvernement italien, vient de lancer un appel pour transformer l’U.E en Fédération européenne.

J’y souscris personnellement, mais les conditions sont loins d’en être réunies :

  • L’élargissement sans fin de l’Union européenne vers l’Est est contradictoire avec l’objectif de Fédération sans un changement institutionnel ;
  • Une Fédération suppose d’abolir la règle de l’unanimité ;
  • Elle suppose de remettre tous les pouvoirs de la Commission aux États fédérés en ne plaçant que l’essentiel au sommet ; reste à définir cet essentiel : une Union de transferts et une intégration des marchés de capitaux, une dette fédérale, une fiscalité commune, une union fiscale et sociale, une armée européenne ;
  • Cela suppose enfin de trouver une voie juridique pour transformer les Traités, en admettant que plusieurs pays pourraient dans un premier temps ne pas y participer ;
  • Et aussi de redonner la parole aux citoyens.

Notre avenir tient donc dans ces trois mots : décentralisation, résilience, fédération.

Mais une Fédération européenne est contradictoire avec un élargissement sans fin vers l’Est sans un changement profond des institutions européennes.

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