LA MONNAIE DES BRICS VA-T-ELLE REDESSINER LE MONDE ?

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France. 

L’annonce théorique, lors du sommet de Johannesburg, de la création d’un actif monétaire commun entre le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud pourrait redessiner le monde au profit des Empires et des pays du sud.

Toutefois si la pression sur le dollar et les taux d’intérêt américains s’accroîtra, ses effets seront très lents.

En effet, le projet reste imprécis. Il ne s’agirait pour l’instant que d’une substitution aux paiements en dollars entre les BRICS, mais pas encore d’une véritable monnaie commune.

I ) Le renforcement de l’alliance des Empires (Chine et Russie) et l’essor de la monnaie chinoise aux dépens du dollar va prolonger les tendances au déclin occidental :

Le yuan a lentement progressé dans les réserves mondiales des banques centrales , la part du dollar étant revenue en 20 ans de 70 à 60 %. Admis depuis la réforme du FMI dans les droits de tirage spéciaux, la monnaie chinoise a remplacé le dollar le long des « routes de la soie » où la Chine a multiplié les accords de financement avec ses nouveaux clients. À ce titre, la Chine est devenue une puissance financière émergente. Le système international de paiements SWIFT a son substitut russo-chinois.

La Chine détient par ailleurs un stock considérable de bons du trésor américain dont la vente pourrait faire s’effondrer le dollar, mais ce n’est pas son intérêt car l’Empire du milieu s’effondrerait avec lui.

Son intérêt sera plutôt d’exercer une pression en substituant progressivement à ses avoirs en dollars une monnaie des BRICS qui reste à créer.

Cette décision de créer un actif commun des BRICS indexé sur l’or ou sur le DTS (la monnaie du FMI) voire sur un panier de monnaies à définir, renforcerait l’attrait du yuan qui deviendrait donc un actif à la fois très sûr, protégé de l’inflation et convertible. Ce pourrait être , comme jadis l’ECU, la première étape vers la création d’une monnaie unique pour un ensemble de pays représentant 43% de la population mondiale, le quart de son PIB mais les 2/3 de la croissance planétaire. Toutefois les contours du projet restent encore imprécis.

Cette annonce renforce l’alliance des Empires (Chine et Russie) contre les États-Unis avec la complicité de l’Inde qui est devenue une puissance démographique et économique de premier plan. Les Empires sont unis par leur ambition hégémonique (Ukraine, Taïwan) et leur mépris de la démocratie.

Le projet qui suscite beaucoup d’intérêt en Afrique contribuera également à réduire l’influence française dans cette partie du monde. En effet, le projet de monnaie des BRICS est inséparable de l’extension du nombre des membres du Club. Ainsi six nouveaux pays sont admis dans le Club : l’Argentine, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Iran, les Émirats Arabes Unis et l’Ethiopie. L’élargissement du Club se poursuivra inexorablement car il y a beaucoup de candidats. Cette monnaie à créer deviendra une monnaie pétrolière.

L’indexation sur l’or serait très astucieuse. Clin d’œil aux institutions de Bretton-Woods, elle permettrait également au yuan de rivaliser avec les monnaies virtuelles comme le bitcoin puisque l’or ne cesse de s’apprécier dans un contexte de création monétaire excessive et d’inflation dont la genèse remonte aux années 2000.

II) Les évolutions seront très lentes mais pousseront les taux d’intérêt américains à la hausse en favorisant les crises de liquidité :

Il ne faut probablement pas s’attendre à un choc mais à un mouvement d’étranglement très progressif du dollar. Un instrument de pression qui montera progressivement en puissance.

En effet, il y a toujours dans le domaine monétaire des effets de rémanence (ou d’inertie) importants. Les effets de réseau et les coûts de conversion sur les grands marchés de matières premières (pétrole, blé) sont importants. Le dollar et l’euro représentent 70% environ des transactions commerciales mondiales. Et il n’est pas si facile de changer de monnaie.

En outre, et contrairement à ce que l’on croit généralement, la Chine n’est plus dans une perspective économique dynamique. Sa démographie faiblit de plus en plus. Le pays est menacé par une récession industrielle et une grande crise immobilière. Les gains de productivité ne progressent plus.

Néanmoins la substitution progressive d’une monnaie à l’autre fera monter les taux d’intérêt américains ou les empêchera de baisser.

On l’a observé constamment depuis 2022: des taux d’intérêt plus élevés ce sont des dépôts à vue moins abondants au passif des banques et des portefeuilles obligataires dévalorisés à l’actif. D’où les risques de crise de liquidité et de crise financière dans une planète finance polarisée sur le dollar.

III) L’euro reste le maillon faible et mériterait d’être consolidé par une gouvernance plus optimale de la zone :

25 ans après sa création, l’euro demeure une monnaie inachevée et fragile.

La zone euro n’est pas une zone monétaire optimale au sens du prix Nobel Mundell :

  • Elle ne dispose pas d’une Union de transferts permanente pour corriger les divergences économiques et drainer du capital vers le sud ;
  • c’est une monnaie sans gouvernement ; le Pacte de stabilité qui en tenait lieu a été abandonné en 2020 ; il peine à se reconstruire ;
  • il n’y a pas de titres de dettes et d’épargne communs ;
  • le nord et le sud divergent en termes de revenu et de trajectoires financières.

Alors que l’euro est largement utilisé dans les transactions internationales, son rôle comme instrument d’épargne et de réserve reste limité en raison de la fragmentation de la zone.

Face à la future monnaie des BRICS, la zone euro aurait besoin de relancer son intégration et de se doter d’ un gouvernement.

IV) A long terme, un univers monétaire tripolaire sera équilibrant et fera disparaître le « paradoxe de Triffin » générateur de crises systémiques :

À deux reprises déjà, en 1971 et 2008, le système financier mondial s’est effondré victime du « paradoxe de Triffin » ou paradoxe du dollar.

Disciple de Keynes, Robert Triffin expliquait que pour jouer le rôle de monnaie de réserve internationale une monnaie doit avoir deux caractéristiques :

  • un ancrage solide de sa valeur ;
  • porter un grand marché de titres profond et liquide.

Dès lors que c’est une monnaie nationale qui joue ce rôle international, les deux caractéristiques entrent en conflit et le dollar, en l’occurrence, finit par s’effondrer.

En effet , les intérêts nationaux du pays émetteur , lourdement déficitaire , le pousse à trop émettre. L’émission est absorbée par le besoin de liquidité jusqu’au jour où tout s’effondre. Le dollar finit par être victime de l’hubris américain.

C’est ainsi qu’est née en 1971 la planète « finance » portée par la volonté de fournir un système de couvertures face aux changes flottants nés de l’effondrement du système monétaire international.

En conclusion , un système de trois grandes monnaies concurrentes serait plus régulateur et équilibrant. Mais le point faible c’est que l’euro reste une monnaie inachevée. Alors que la dédollarisation est en route mais sera très lente.

Le projet de monnaie commune des BRICS reste dans les limbes mais leur Club,

concurrent du G 20, ne cessera de s’étendre.

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap