LA JEUNESSE DE NOS QUARTIERS ET DE NOS CANTONS : LE GÂCHIS ÉVITABLE D’UNE BELLE ÉNERGIE !

Francis Massé,

Président de MDN Consultants,

Ancien Haut fonctionnaire

« J’aimerais que l’on inscrive cette épigraphe sur les frontispices de nos écoles : Il est stupide le philosophe qui croit qu’un prince, récitant d’admirables discours sur la clémence et la sagesse, deviendra clément et sage ». Alain Anziani, Vies de Pline 

Les « émeutes urbaines » de juin 2023 et les violences qui les ont accompagnées, à la suite de la mort de Nahel Merzouk à l’âge de 17 ans, se sont étendues sur tout le territoire, des centres-villes de grandes agglomérations aux communes plus petites. Des jeunes gens et des jeunes filles de 11 à 25 ans ont été impliqués et parmi eux, un tiers étaient des collégiens. Ces émeutes, naturellement, elles ne représentent pas ni toute la jeunesse, ni tous les quartiers, ni tous nos cantons ; mais ce sont trop de jeunes qui gaspillent leur potentiel dans des combats illusoires en s’engageant avec violence sur des chemins de destruction et de haine. Ce gaspillage c’est le nôtre, c’est notre société qui s’appauvrit de ses richesses humaines inexploitées. « Nous ne savons pas ce qui nous arrive et c’est précisément ce qui nous arrive » écrit José Ortega y Gasset. 

C’est d’abord déchirant de voir ce détournement d’énergie qui eut été bien mieux employée dans des tâches nobles et utiles pour la société, une corruption d’intention vers des actions criminelles. Par ailleurs au grand dam de certains, il ne faut pas omettre l’explication adolescente suggérée par Gaspard Koenig qui ne n’est pas incompatible d’ailleurs avec les tentatives de manipulation (voir infra). 

Bien sûr ils sont responsables aux yeux de la loi mais à partir de 10/11 ans ces jeunes « sauvageons » ou adolescents « inconscients », le sont-ils vraiment complètement ? Qui peut sans hésitations affirmer que la société est à l’abri de toute critique ?

Nous n’aimons vraiment pas certains discours qui sont tenus sur les plateaux télé ! Ils sont durs, négatifs et dénués d’espérance. C’est, comme l’écrit François Cusset, l’expression d’une « haine ordinaire » (1).  Il a raison de noter que : « même au nom de valeurs défendables, avec de bonnes volontés, faire le jeu des cyniques ou des haineux, sinon des deux, mène toujours à la tragédie politique ». Et d’ajouter que ceux qui agissent ainsi à leur corps défendant se jettent « dans le camp de plus en plus fortifié des pires ennemis actuels de l’humanité ». 

Car le point commun de toutes ces expressions minoritaires qui veulent combattre à leur manière et avec leur sensibilité pour la justice, sexuelle, raciale, sociale, climatique, c’est une partie de notre jeunesse. 

Il y a des choses à dire et des choses à faire. Distinguons-les ! 

Il apparaît que l’on parle trop de choses qu’il faut faire et les faire effectivement sans forcément le répéter à satiété ; mais à condition de les faire vraiment. Il existe des paroles à prononcer impérativement (illocutoire) pour décrire et même créer de facto un futur désirable et apaiser, pour ouvrir des portes et désigner ce qui apporte considération à ces jeunes et déclenche d’autres comportements à leur égard. 

Parmi les choses à faire – sans les ressasser – il y a le maintien de l’ordre pour assurer la sécurité et la tranquillité publiques, pour rétablir la paix sociale ; prendre en conséquence toutes les mesures qui s’imposent à court, moyen et long terme : formation des policiers et gendarmes, luttes contre les déstabilisations extérieures, trafics de drogue, éducation et insertion, etc. A contrario le discours sécuritaire est inadapté : là, le silence est meilleur dès lors que les actes sont appropriés. L’ordre républicain s’impose : pourquoi diable le rappeler sinon pour occulter le fait qu’il est au service de la Liberté ?

Parmi les paroles à prononcer pour relativiser les postures politiques de tout bord partielles et partiales, il existe tout un ensemble de mots et d’expression que l’on oublie d’exprimer : cette omission même alimente le sentiment de relégation et de déconsidération vécu par ces jeunes. Et ces mots alors proférés aideraient à modifier notre regard, à faire évoluer nos représentations, à détruire nos (fausses) croyances, à réorienter nos pistes d’action et à imaginer de nouvelles solutions. 

Ces mots choisis à bon escient sont de véritables clés, de véritables pouvoirs d’action alors que nous assistons au contraire à une accumulation de maladresses de la part des politiques et, pire, de certains médias. 

Naturellement les gouvernants au niveau national comme territorial, on peut le comprendre, sont sidérés et la plupart d’entre eux sont courageux ; en particulier ces maires dévoués et dont les délinquants font des victimes en brûlant les mairies, les écoles et les bibliothèques, ou pire qui sont menacés, voire attaqués eux-mêmes ou leur famille. Mais face à ces ignominies la parole publique ne doit pas être agressive mais ferme et implacable, ferme mais pas revancharde ; la République ne s’attaque pas à ses enfants ! Elle les protège ou les corrige

Certes il existe des politiciens, répétons-le, qui veulent prospérer sur la haine et la brutalité ; mais la peur est l’alliée des pouvoirs faibles ! De surcroît, en présupposant que ces jeunes ne sont français que « sur le papier » ils jettent de l’huile sur le feu et aggravent le fossé entre la société et ces derniers. Ce sont les idiots utiles des dirigeants de pays étrangers qui ne nous aiment pas. 

Ce que nous semblons ne pas vouloir comprendre c’est le patient, long, profond et cohérent travail de terrain qui est à faire et qui, ne l’oublions pas, se fait déjà par endroits depuis de longues années, un puissant travail de reconquête de la paix sociale et d’émancipation de la jeunesse dans le cadre de la politique de la ville. Cette politique inaugurée par François Mitterrand lors de son discours de Bron le 4 décembre 1990, sur les principes d’action et les moyens à mettre en œuvre pour améliorer les banlieues les plus défavorisées et lutter contre l’exclusion sociale était elle-même basée sur les riches apports des missions Gilbert Bonnemaison, Hubert Dubedout, Bertrand Schwartz, Yves Dauge comme sur le travail de ministres engagés tels Michel Delebarre, Louis Besson, Jean-Louis Borloo.

Cependant pour employer les termes de Xavier Emmanuelli, alors fondateur du SAMU social de Paris, nous sommes en présence d’un « bricolage social » faute d’une organisation solide et professionnelle avec une vision à long terme.

La politique de la Ville aujourd’hui trop souvent critiquée demeure une démarche qui ne peut être que multifactorielle et pluri disciplinaire, une opération entreprise par une multiplicité d’acteurs et à plusieurs échelles de temps et sur des niveaux variés d’interventions.

Il y faut de l’innovation sociale et un savoir-faire plus minutieux encore que l’assemblage d’un Airbus. C’est peu dire !

Ce que nous ne voulons pas voir c’est que ce n’est pas seulement du bâti, ni seulement de l’école, ni seulement de l’emploi, ni seulement de la formation des formateurs et accompagnants, etc., c’est tout cela ! c’est une intelligence collective, c’est un enchevêtrement de mesures et d’actions pragmatiques qui exigent vision, stratégie et coordination. Comme le rappelle le président de la République « la dépense sociale représente près de la moitié des dépenses   publiques (…) il faut réduire ce qui relève des transferts curatifs par de la bonne dépense préventive » (2). A condition de développer effectivement des innovations sociales comme nous le dirons supra. 

Car naïfs, oui, nous le sommes en ne voyant pas les enjeux géopolitiques ; parcimonieux et économes, certes nous le démontrons également par absence de générosité à l’égard de certains de nos jeunes français que depuis de trop longues années nous intégrons mal. Velléitaires aussi nous le sommes, car nos gouvernants comme les oppositions politiques, trop souvent, sous-estiment l’enjeu managérial et de gouvernabilité de solutions forcément complexes parce que reliées entre elles.

Il faut en effet aussi lutter contre la manipulation de masse qui, via certains canaux de communication web, a convoqué des paquets de jeunes à agir contre des magasins, des administrations, voire des personnes. Tels à Mantes il y a 10 ans des auteurs de vengeances convoquant des adolescents pour un ‘coup’ puis le forfait accompli, quittant les lieux avant l’arrivée de la police. 

Il est possible d’affirmer, qu’ici, dans ces dernières émeutes d’avant l’été l’effet de dimension et de répartition nationale est bien plus grave : des groupes d’intérêt maffieux, des trafiquants de drogue surtout, sans doute des États intéressés par notre déstabilisation ont joué et sont intervenus pour inciter leurs organisateurs présents à agir en France. Ce qui n’a pas empêché certains de ces États à se faire les pères-la-morale en nous donnant des leçons.

Ces pratiques plutôt réussies en matière de déstabilisation ne peuvent que réapparaître sous peu. Elles valident en tout cas la notion de guerre totale définie par le chef d’état-major des armées Thierry Burkhardt.

Une ingénierie sociale à établir (3)

Il existe des moyens de lutte contre ces tentatives hostiles en particulier il est nécessaire de multiplier le nombre d’éducateurs de rues au lieu de les réduire. Il faut certainement aussi recréer en la repensant la police de proximité. Ainsi des initiatives de Mantes où un grand espace faisant centre a été transformé avec l’aide de la Région, du département et de la Ville, en immeuble d’artisanats accueillant en formation les jeunes de l’inter quartier…et ce avec succès.

Une police républicaine qui ne discrimine pas ; qui agit, veille, protège, empêche, assure la sécurité commune, voire d’autres actions et initiatives disant au jeune qu’on le ‘reconnait en société’ et qu’on l’intègre en économie. C’est tout un ensemble d’actions et de formation qu’il faut mener à bien avec des formats inédits comme par exemple la Logotique (4).

Ainsi il y a à prendre en considérer toute une chaîne d’actions qui est à constituer et à faire fonctionner. Par exemple encore, les magistrats peuvent hésiter à condamner à la prison des jeunes lorsque les prisons sont en nombre insuffisant et bondées, ou si de ce fait, la prison n’a plus sa fonction de réinsertion mais au contraire d’enracinement dans la délinquance par de mauvaises fréquentations dans l’univers carcéral, jusqu’à la récidive. Les internats d’excellence peuvent être une bonne approche si l’encadrement humain est bien formé. Responsabiliser les familles est pertinent si ces familles existent vraiment alors que des femmes seules ne peuvent faire face à toutes les tâches d’éducation enfants. La lutte contre les mafias et les trafiquants de drogue méritent un cap clair par rapport au cannabis. La lutte contre le racisme également. etc. etc. (5) Il faut créer les conditions de réussite de ces multiples actions solidaires, selon une stratégie du « façonnage » chère au général Vincent Desportes (6). 

Des dispositifs organisationnels concrets de création de valeur à concevoir pour de véritables innovations sociales. 

La richesse du tissu associatif est réelle. De même un nombre impressionnant de femmes et d’hommes engagés existent sur le terrain. Il nous semble qu’un facteur de réussite réside dans la mobilisation concomitante quatre niveaux de dispositifs pour fabriquer des objets et services utiles à ces innovations sociales (Modes opératoires et processus (par exemple processus industriel) ; Jumeau numérique ; Logotique et Intelligence collective).  

Ces enchevêtrements minutieux de concepts, d’outils de méthodes sont d’abord des coopérations humaines qui malheureusement ont des failles et des chaînons manquants. Il nous faut une ingénierie sociale de haut niveau qui est trop souvent largement insuffisante et même sur l’existence de laquelle trop peu d’esprits ont la compréhension et la prise de conscience de sa nécessité. Aucune approche technocratique ne pourra appréhender ce type de phénomènes si complexes parce que tout à la fois culturels, sociaux, économiques, tissés de multiples représentations de l’Autre, de différences de perception, nourris de conflits, de ressentiments et exprimant des revendications et propositions multiformes.

Il s’agit, au contraire de la technocratie, d’une approche stratégique minutieuse, effectuée avec doigté et ménagement et donc au cœur de l’humain. Les meilleurs alliés sont les populations elles-mêmes. C’est pourquoi il ne faut avoir de cesse d’organiser des débats entre figures intellectuelles et habitants du quartier comme le fait par exemple l’association Zyva dans les Hauts de Seine (7) .Faire respecter les institutions d’abord, la police comme la justice. Redonner du sens au métier de « gardien de la paix », lutter contre le racisme d’où qu’il vienne, faire émerger des possibilités de faire évoluer les situations pour lever les obstacles au dialogue et prévenir tout engrenage dangereux. A l’instar de ce que préconise André Jaunay un innovateur social très expérimenté (8). 

Comme nous y invite Edgar Morin, une « nouvelle politique humaniste de salut public est le grand projet qui peut réveiller les esprits accablés ou résignés » (9)

(1) François Cusset, La haine de l’émancipation – Debout la jeunesse du Monde-. Tracts Gallimard ; Janvier 2023.

(2) Le Point, du 24 Août 2023

(3) https://www.huffingtonpost.fr/life/article/l-allaitement-au-travail-reste-un-casse-tete-en-france-faute-d-amenagements_221313.html 

(4) Il s’agit d’un nouveau concept de formation professionnelle serait tout à fait adapté pour accompagner ces changements dans ce nouveau contexte explosif. https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_logotique_une_formation_inedite_pour_decupler_la_creativite_des_ecosystemes_francis_masse-9782140320644-76150.html 

(5) A cet égard il convient rappeler que 90 % des jeunes émeutiers sont nés français et une immense majorité des personnes interpellées vient de familles monoparentales ou de l’aide sociale à l’enfance ; ITW du président de la République, Le Point du 24 août 2023.  

(6) https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Vincent-Desportes-La-strategie-du-FACONNAGE-creer-les-conditions-de-la-victoire_3751814.html 

(7) https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/journal-de-18h?p=3 

(8) https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7091839505216729089/ 

(9) Edgar Morin, Réveillons-nous ! Denoël, 2022. 

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