Face au délire informationnel !

Face au délire informationnel !

par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.

« The smart way to keep people passive and obedient is to strictly limit the spectrum of acceptable opinion, but allow very lively debate within that spectrum”.  Noam Chomsky

 

Tout le monde s’y met sans exception ; c’est pourquoi ce n’est qu’avec une extrême prudence que nous consentons à rompre le silence. 

Entre hommes « enceints », histoires de rodéos, discours grossiers sur emmerdeurs et emmerdements, karting en prison, et autres généralités plus ou moins anxiogènes sur le « prix de la liberté », nous devons nous interroger sur ce qui relie ces informations, de véritables bouffées délirantes, et sur les conditions et les moyens d’un retour à la sagesse. 

Faisant fi des ricanements qu’il est aisé d’anticiper nous constatons d’abord pour nous en inquiéter une accélération de notre « inconscience collective ». C’est notamment René Alleau, historien des sciences, qui note que : « le physicien Ervin Schrödinger avait rappelé une vérité fondamentale que semble avoir oubliée notre époque. « La conscience, a-t-il dit, n’est jamais éprouvée au pluriel, mais seulement au singulier. En revanche ce que l’on éprouve au pluriel, constitue dans son ensemble l’inconscience collective que l’on ne doit pas confondre avec l’inconscient collectif de C.G. Jung. (…) L’inconscience collective au sens où il faut l’entendre représente seulement un ensemble d’éléments de moindre conscience, une sorte de cénesthésie psychique, de force d’inertie provenant de nos habitudes affectives et intellectuelles, une pesanteur de nos comportements quotidiens. En quelque sorte il s’agit d’une vie végétative des sociétés à laquelle précisément doit s’opposer la vie nerveuse, la conscience singulière, l’esprit critique et la volonté des individus [1]

Parfois nous sommes bien loin de cette vie nerveuse évoquée par René Alleau. Cette affiche du Planning familial censée représenter un homme enceint (de fait un homme né biologiquement femme) se propage et entraîne des réactions multiples et naturellement opposées sur un terrain totalement idéologique et absurde. Cette guerre des sexes est pesante, inadéquate et ridicule. Elle est en fait insupportable au regard des vrais sujets que représentent le malaise des jeunes sur leur identité, malaise que l’on prend plaisir à alimenter, les inégalités réelles entre les femmes et les hommes mais également le respect, l’estime et l’amour qui se construit néanmoins dans les couples hétérosexuels ou non, les familles qui se construisent, les enfants qui y sont élevés dans l’affection. On veut délibérément fabriquer un imaginaire totalement artificiel et découplé des réalités quelles qu’en soient les caractéristiques positives ou négatives. Sous le prétexte légitime de reconnaître et d’accueillir des personnes dont le sexe biologique ne correspond pas à l’identité de genre, soit selon les spécialistes 1% de la population, on diffuse un substrat idéologique étonnant. 

Sur les rodéos, il est affligeant d’orchestrer là encore des débats sans fin, dans des flux continus d’information. Ce sont des sujets sérieux qui comme tant d’autres doivent être pris à la racine et dans une approche globale. Le comportement des jeunes, ou en tout cas de certains jeunes, a toujours été identique dans toutes les générations. La nature des objets techniques à leur disposition à laquelle il faut rajouter une plus grande permissivité contemporaine accroît la dangerosité de ces comportements. Mais le monde qui s’ouvre à ces jeunes-là est également préoccupant. Si bien que des interdictions pures et simples ne peuvent être que des réponses simplistes. On doit certes appeler ces derniers à se responsabiliser mais autant prêcher dans le désert si ce n’est pas inséré dans un cadre global et de longue durée qui donne des perspectives et apporte une sécurité ontologique. 

Peut-on organiser des animations dans les prisons et notamment des kartings ?  La grande question du moment c’est la course de karting à la prison de Fresnes organisée mais mal communiquée par la société de production Kohlantess (qui a depuis supprimé sa vidéo).  Apparemment les autorisations à ce type d’animation ont été données mais c’était sans compter sur les réflexes politico-médiatiques. Il est loin le temps où un ancien président de la République [2] déclarait que la peine de prison devait se résumer à la seule privation de liberté. La France a toujours eu du mal avec la prison et nous ne sommes pas à la veille malheureusement de régler cette question parmi les priorités qui s’amoncellent dans l’agenda gouvernemental [3]. Alors l’exercice usé jusqu’à la corde de la communication est la seule issue pitoyable. 

La liberté n’a pas de prix mais elle a un coût ! Voilà ce que nous devrions affirmer. Mais cette liberté ne prend tout son sens dans une société démocratique que si les citoyens partagent les avantages d’une organisation économique et sociale plus égalitaire et solidaire, plus éthique, et plus efficace quant à l’application concrète des valeurs sociales au quotidien.

Nous venons de voir que c’est la confusion des valeurs qui règne aujourd’hui et qui constitue une situation propice à la démagogie et au superficiel. Tristes temps qui doivent nous inciter à retrousser les manches…

Georges Steiner s’interrogeait à la fin de sa vie sur le rôle de la culture et commençait à douter de sa totale efficience à couvrir le risque de l’effondrement social d’une nation jusqu’au point d’aboutir à l’inhumain. Effectivement la Shoah tragiquement se réalisa. 

Il nous semble que Steiner avait raison sur le rôle nécessaire et fondamental de la culture. Mais qu’il faut aussi prendre en compte les mythes et la psychologie profonde des peuples. Le temps mythique de l’inconscient ne progresse pas aussi vite que le temps historique constate René Alleau [4]. « Tant que l’on ne tirera pas de cette observation – ajoute-t-il – toutes les conséquences  qu’elle comporte, et notamment, une révision entière de notre rationalisme politique et culturel, sommaire et insuffisant, toutes les tentatives de transformation des sociétés échoueront devant le même obstacle : la force d’inertie de l’inconscient collectif ; (…) La seule voie ouverte sur l’avenir de ces transformations intérieures demeure celle de la création individuelle désintéressée, qu’elle soit artistique, morale ou spirituelle. Tout système politique qui restreint les droits de cette libre création se condamne à l’inévitable dégradation de ses structures et de ses valeurs ». A bon entendeur …

 

 

[1] René Alleau, Hitler et les sociétés secrètes – Les sources occultes du nazisme Le cercle du nouveau livre d(histoire 1969

[2] Valéry Giscard D’Estaing.

[3] Relire le livre de Loïc Wacquant ; Les prisons de la misère, Les Éditions Raisons d’Agir, 1999

[4] René Alleau, opus cité

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