Francis Massé, Président de MDN Consultants, Ancien Haut fonctionnaire
« Là où croit le péril croît aussi ce qui sauve » Friedrich Hölderlin
La situation est d’une gravité inédite. Le peuple français a déjà fait face à des périls dans le passé parce qu’il a su s’engager pour s’en dégager.
Voter au laser
Tout repose désormais sur la sagesse du peuple français. Nos concitoyens peuvent en effet voter avec parcimonie et dans les 577 circonscriptions affiner leur vote du premier tour. La théorie des trois blocs est à cet égard assez artificielle car les femmes et les hommes qui ont déposé leur candidature à la députation ont pu chacun développer ou mettre en avant certains éléments de projets, de programmes voire d’abord de sensibilités avec les nuances requises et, on le sait, il n’y a pas de mandat impératif. Donc il faut du sur mesure dans chaque parcelle de notre nation, dans nos « petites patries » comme l’exprimait Jean Jaurès, et ce d’autant qu’en contact hebdomadaire avec sa base électorale chaque député a agi et interagi avec sa personnalité et ses dominantes culturelles. C’est d’un travail de haute couture dont nous parlons et auquel nous appelons les citoyens français.
Ainsi ces derniers ont-ils en main tout particulièrement aujourd’hui le destin commun ; le vivre ensemble avec les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Dès lors, il leur est possible de choisir des candidats qui au-delà de leurs étiquettes respectives possèdent personnellement des qualités morales et républicaines et défendent ces valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, des personnalités enfin qui, assurant un lien privilégié entre la vie locale et le devenir national, leur apparaissent comme des personnes compétentes et responsables. Ce choix au laser est indispensable et sera fécond pour la constitution d’une alliance positive de gouvernement.
Agir au laser
Il impliquera ensuite que ce gouvernement agisse également au laser. C’est à dire qu’il soit avec la plus grande réactivité capable de gouverner en prenant avec doigté et avec un regard clinique les décisions qui s’imposent pour répondre aux besoins et attentes des populations et de notre nation en compatibilité avec les valeurs républicaines. Gouverner au laser c’est aussi être capable d’un narratif authentique et sincère qui donne du sens à une action publique robuste, pertinente et juste. Une action arrêtée en lien avec les représentations nationales, des représentations qui savent la prérogative de choix du gouvernement mais doivent pouvoir légitimement débattre et être entendues sur les questions majeures, voire sensibles. « On gouverne un grand État comme l’on fait frire des petits poissons » disait Lao-Tseu !
L’exigence de robustesse implique une cohérence d’ensemble entre diverses politiques publiques, ce qui suppose une réforme trop longtemps repoussée de notre État, des autres collectivités et établissements publics ainsi que des administrations au sein desquels des silos isolés s’ignorent et se contredisent. Ce qui implique aussi une réforme de l’entreprise trop longtemps négligée car l’entreprise est seule créatrice de richesses [1].
Action Pertinente aussi car les actions concrètes même efficaces et efficientes – et qui ne le sont pas toujours – doivent être en phase avec des finalités préétablies et validées par la nation toute entière [2].
Action enfin Juste car la justice sociale est inhérente à l’équilibre de notre société, vital pour son développement humain. Le droit social (droit du travail et droit de la sécurité sociale) doit être renforcé.
Des politiques publiques vertueuses, bien articulées entre elles ne peuvent émerger que par un dialogue social authentique et par une collaboration non feinte avec les corps intermédiaires. Répétons-le, une action publique agile et congruente sans oublier la pertinence s’impose à nous.
Depuis une quarantaine d’années l’État se délite. La classe politique s’est appauvrie en termes de qualité du personnel politique et la haute fonction publique s’est même parfois coupée du public et a altéré, de fait, le sens du service. Elle s’est trop souvent révélée de plus en plus technocratique ; parfois encore elle est devenue arrogante à l’égard des politiques, lesquels se sont délesté trop souvent de leur devoir – dont celui d’information – vis à vis des citoyens.
Depuis 40 ans progressivement mais assurément les services publics se sont paupérisés et ont réduit leur efficacité. Les finalités ont été oubliées cependant que l’efficience a aussi quelque peu diminué. Regardons outre-manche comment ce débat se place au centre des élections générales en cours [3]. En clair la qualité et la quantité de la dépense publique ont inversé leur courbe d’évolution : à la croissance des dépenses publiques a correspondu, selon certains analystes, une réduction notable de la qualité de service. La qualité de la dépense publique s’est amenuisée.
Un temps, celui de Jacques Chirac avec notamment en 1998 le thème de la fracture sociale, il a semblé qu’une prise de conscience survenait. Ensuite la gauche plurielle n’aura rien changé puis les deux mandats respectivement de Nicolas Sarkozy et de François Hollande n’ont pas bougé d’un iota sur la réforme de l’État. Il en aura été de même du septennat actuel. Or les gouvernants ne peuvent plus avancer réellement sans moderniser considérablement leur outil de travail que constitue l’appareil administratif. Sans, qui plus est, avoir pris une conscience aigue et affinée du maillon nécessaire à la vie politique qu’est celui-ci.
Enfin notre pays, dans un tel contexte d’affaiblissement et de guerre mondiale des valeurs, peut être la proie de pays tiers qui profiteraient de la situation pour nous vassaliser d’une manière ou d’une autre[4] .
En attendant, dimanche, il faut voter pour un nouvel élan et choisir des hommes et des femmes responsables pour éviter à notre pays une faillite intellectuelle, politique et morale et retrouver la pleine conscience de notre destin national et européen [5].
[1] Le rapport Sudreau sur la réforme de l’entreprise date de 1974, soit 50 ans !
[2] Nos finalités sont claires : Il faut choisir, avec notre Europe, l’ouverture au monde en affirmant nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.Il faut choisir une société avec marché et non une société de marché. Il faut choisir une société de progrès social et humaniste. Il faut choisir une société libre où l’accomplissement de chacun est favorisé et dans laquelle les populations puissent cohabiter à quelque âge, sexe, religion origine qu’appartiennent leurs membres.
[3] https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-au-royaume-uni-comment-la-crise-des-services-publics-sest-imposee-au-coeur-de-la-campagne-2105134
[5] Nous devons nous opposer à tout régime dominé par l’illibéralisme et au repli de la construction européenne. C’est-à- dire, comme l’écrit l’historienne et politiste Marlène Laruelle, un régime qui rejette les principes de la vision libérale, un « univers idéologique de droite qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin ». Selon le politologue Matthijs Bogaards, il s’agit d’une situation démocratique où, néanmoins, l’indépendance de la justice est malmenée, et les citoyens ne bénéficient pas d’un traitement égalitaire face à la loi, ni de protections suffisantes face à l’État ou à des acteurs privés ».