Un an après le sommet de Pau, rien de nouveau sous le Sahel ?

 

Contrairement à son prédécesseur qui avait lancé les opérations Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique, Emmanuel Macron n’a pas initié d’OPEX en Afrique. Et s’il maintient une certaine tradition d’appui français à travers Barkhane, il ne le fait que pour assumer la politique sahélienne actuelle de la France, elle-même étant la conséquence directe du choix qui a été fait de mener l’opération Serval il y a déjà 8 ans.

Le président français s’est saisi avec volontarisme de ce dossier. Rapidement, Emmanuel Macron a identifié deux leviers qu’il souhaitait voir activés pour améliorer la situation sécuritaire au Sahel : la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5S) et l’Europe. Il s’agissait de confier progressivement à cette coalition d’armées locales qu’est la FCG5S la responsabilité de la sécurité régionale en l’aidant à monter en puissance. Il s’agissait aussi d’attirer le plus possible, en attendant ce jour où triompherait la sécurisation de l’Afrique par les Africains, nos partenaires européens qui ont tout autant que la France des raisons d’en être. Deux fondamentaux président à ces choix. Premièrement, la France ne peut pas, ne peut plus assumer seule le coût (humain, financier, logistique) de la sécurisation de cette zone grande comme près de 20 fois son territoire. Deuxièmement, il s’agissait, en faisant monter le « tout européen » d’atténuer le sentiment anti-français croissant dans la région. Rendue moins nécessaire, suppléée par d’autres, la France aurait ainsi pu construire une stratégie de retrait progressif.

Mais c’est une stratégie qui n’enclenche pas : la FCG5S ne fonctionne pas et l’Europe ne vient pas. Bien sûr, il conviendrait de nuancer cette double affirmation. Mais la difficulté à réunir les financements promis (et l’absence de financement onusien), l’attaque du quartier général de la Force à Sévaré (juin 2018) ou encore celle de Boulikessi (septembre 2019) révèlent que l’autonomie de la FCG5S est encore loin à l’horizon. Pour ce qui est de l’Europe, elle est bien sûr impliquée de façon précieuse au Sahel : EUTM Mali qui a formé 2 500 soldats en 2019, participation à l’Alliance Sahel, financement de la FCG5S, hélicoptères britanniques et danois, troupes estoniennes, etc. Mais les atermoiements autour du lancement de la force Takuba devant réunir les forces spéciales européennes traduisent la difficulté d’accélérer l’engagement européen de façon décisive.

Voilà la France contrainte à rester, seule ou presque, et qui, sans autre solution, tape du poing sur la table et annonce l’envoi de 600 hommes supplémentaires suite au sommet de Pau en janvier 2020. Voilà la France contrainte à essuyer encore et encore les mêmes critiques : celle de néocolonialisme et de manque de vision stratégique. Mêmes causes mêmes effets ? Pas cette fois. À l’approche de la date anniversaire du sommet de Pau, la ministre des Armées, Mme Florence Parly, a annoncé une « très probabl[e] » réduction des effectifs engagés dans un entretien accordé au Parisien le lundi 04 janvier 2021. Cette annonce vient ponctuer une séquence particulièrement délicate pour la France. Entre le 28 décembre et le 2 janvier, 5 soldats français ont trouvé la mort au Mali au cours d’attaques revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Dans le même temps, l’armée française se retrouve suspectée de bavure pour des frappes aériennes réalisées au nord du village de Bounti, toujours dans le Mali. Enfin, un sondage IFOP – « Le Point » publié exactement 8 ans après le début de l’engagement français nous apprend que pour la première fois la majorité de la population française (51%) est opposée à cette intervention. Il semblerait que la France ne puisse ni partir, ni rester sereinement. C’est le danger mortel du bourbier. Dans son discours de réception du Nobel resté célèbre, Albert Camus avait prévenu : il est peut-être plus aisé de refaire le monde que d’éviter qu’il ne se défasse. L’intervention militaire au Sahel est une guerre que nous ne gagnerons pas – du moins pas militairement – mais que la France continue de mener pour éviter que la région ne s’écroule, ne se défasse. On pédale pour éviter de tomber. Pour autant, des solutions se dessinent : jouer sur les volumes engagés, sur la formation des troupes, sur la forme d’engagement en réfléchissant par exemple -comme cela est défendu par une grande partie de l’appareil militaire et par les autorités locales elles-mêmes –  à un emploi plus important des drones et des forces spéciales.

Mais pour ce qui est du court terme, la marge de manœuvre est faible. Sur le long terme, la France essaye depuis plusieurs années maintenant de promouvoir le continuum sécurité-développement, convaincue – sans doute à raison –  qu’une aide au développement plus efficace conduirait à un Sahel plus stable.

Il est donc intéressant de noter que pour l’année 2019 un milliard d’euros de subventions supplémentaires ont été débloquées pour l’AFD et que la grande majorité de cette somme (870 millions) a été allouée à l’Afrique et notamment au Sahel (à hauteur de 45%). En décembre dernier, un nouveau projet de loi encadrant les modalités de l’aide au développement a été avancé pour poursuivre dans cette voie les priorisations géographique et thématique de l’aide. Et si à ce stade les sommes sont encore faibles, la politique française donne l’impression de pouvoir amorcer un choix d’avenir. Bien sûr, il reste à voir avec quelle cohérence ces fonds viendront irriguer les projets sahéliens, car financer n’est pas une finalité en soi mais un moyen au service d’un objectif. On semble toutefois s’orienter vers une nouvelle approche politique du dossier sahélien, davantage dans la prévention et l’anticipation que dans la réaction. Cette stratégie conduira-t-elle à de nouvelles avancées au Sahel ? Permettra-t-elle de (re)considérer un désengagement progressif et pérenne de nos troupes ? Enfin, cette approche se généralisera-t-elle à l’ensemble du continent africain ? Les dossiers de politiques étrangères sont des tankers difficiles à manœuvrer, des sujets se transmettant d’administration présidentielle en administration présidentielle. Nul doute que ces questions se poseront toujours avec acuité en 2022.

Maxime HALVICK

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