Relever le défi des ruptures scientifiques et techniques, comment s’y préparer ?

 

 

Ne rentrons pas dans les débats de sémantique pour définir ce qu’est ou n’est pas une rupture technique ou scientifique, son lien voire sa précédence avec l’innovation de rupture, l’ambiguïté que le concept soulève quant à la continuité de facto avec le passé et le présent : ne serait-ce que parce que la construction du savoir est incrémentale et que la discontinuité n’est qu’apparente par rapport à un paradigme occidental préférant la continuité (Parménide versus Héraclite, dans la pure tradition éléatique relayée par la scolastique médiévale)… Notons en effet que dans les langues slaves par exemple, « continu » est construit sur « non-discontinu » (en croate, pour simplifier la typographie : continuité = neprekidnost, discontinuité = prekidnost). Pas de rupture sans rupture d’une continuité ou pas de continuité sans absence de rupture : un débat sans fin !

Ce qui paraît important est l’anticipation de ce qui sera vu, a posteriori, comme le marqueur d’une rupture (ou a minima d’une évolution paradigmatique technico-politico-sociétale). Pour ce faire, il est nécessaire de dépasser le strict cadre technologique et de raisonner sur le plan capacitaire, c’est-à-dire de regarder les processus, les organisations, les compétences pouvant être mis en œuvre pour tirer parti de tel ou tel avantage technologique.

Si « rupture scientifique » il y a, c’est en fait avant tout par son impact sociétal qu’elle est vécue : l’ubiquité informationnelle a marqué l’avènement de la Quatrième révolution industrielle, âge de l’information, alors qu’Internet en tant que réseau technique d’échange distribué existait depuis des décennies. Ainsi la question de la traçabilité des individus atteints ou pas du Covid-19 se pose ces derniers jours, car tout le monde s’est (enfin) rendu compte de la faculté de nos dispositifs portables à identifier dans le temps et l’espace leur utilisateur ; de même la robotisation de la surveillance a franchi un pas, avec les drones volants dans la Nièvre rappelant « pédagogiquement » les consignes de distanciation sociale, ou avec les robots mobiles terrestres parcourant les rues de Tunis pour faire respecter le confinement. Techniquement tout cela est possible depuis des années, mais la véritable rupture est sociétale : cela est dorénavant accepté sans préparation/anticipation/contestation aucune.
Au-delà de la simple question du « quoi » (qui peut rester éthérée car restant dans le domaine du savoir spécialisé), c’est donc celle du « qui » et du « comment » qu’il faut se poser en permanence. La problématique n’est pas simplement celle de relever le défi de la rupture, mais aussi d’être en mesure de se défier d’une potentielle rupture.

 

Par Dominique LUZEAUX,
Ingénieur Général de l’Armement
Directeur Adjoint Plans
MINISTERE DES ARMEES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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