« La planche à billets jusqu’où ? »

 

Depuis quelques semaines, la facilité consiste à penser : « C’est la BCE qui paiera ! »
Rappelons que, de source officielle, le déficit public français va plus que quadrupler pour atteindre 9% du PIB et la dette publique va s’envoler à 115 %.
Qui va payer ? Le bilan de la BCE s’est dilaté en flèche et représente désormais près de la moitié du PIB de la zone euro.

Depuis 2015, la BCE a acheté des titres de dettes publiques (2500 milliards) pour faire baisser les taux d’intérêt long terme. En effet, lorsque les taux court terme sont déjà à zéro , le seul moyen de faire fléchir les taux long terme est de faire monter la valeur des titres correspondants. La FED et la BCE l’ont fait régulièrement depuis 2008. Ce sont des mesures de soutien exceptionnelles ( « quantitative easing ») sans précédent dans l’Histoire, et qui correspondent à un monde en décroissance tendancielle.

En 2012, lorsque l’euro a failli exploser en raison des divergences entre le Nord et le Sud de l’Europe, la BCE s’est dotée d’une procédure spéciale dite OMT ( « Outright Monetary Transaction ») lui permettant d’acheter sans limites des titres de dettes publiques dépréciés par les marchés. Elle n’a même pas eu besoin de dépenser un seul euro. Sa parole a suffit. La crise s’est arrêtée instantanément et l’euro a été sauvé !
Aujourd’hui la BCE est engagée dans un nouveau programme d’achats de titres à hauteur de 1000 milliards s’étendant au secteur privé. Elle va donc soutenir les émissions de dettes des États et des grandes entreprises pour combattre la récession.

Pour autant, ce serait une illusion que de laisser à croire qu’il n’y aurait pas de limites à la planche à billets !

Quelles sont donc ces limites ?
La limite est définie par les Traités européens. Mais au delà du formalisme juridique des Traités, il y a surtout le consensus politique européen lui-même qui fait que nos partenaires portent leur regard sur nous et nous empêcheront d’aller trop loin en matière d’endettement public. Nous sommes devenus avec l’euro indissociables des autres Européens.

Le Traité d’Union européenne ( dit « de Maastricht ») interdit formellement le financement monétaire des déficits et prescrit à la BCE le soin de conserver la valeur de la monnaie. Dans l’intérêt de tous.

Suggérer comme Gilles MOEC (Axa) que la BCE pourrait stocker dans son bilan des titres publics qui ne seraient jamais remboursés seraient une violation des Traités. Et l’exposerait à des réactions hostiles à l’euro au sein même de notre zone monétaire. Et à des plaintes devant les instances constitutionnelles. La banque centrale détient déjà dans ses livres près de 30% de la dette des États européens.

Certes, la BCE reste libre de définir comme elle l’entend sa cible d’inflation : de 2 % aujourd’hui, elle peut très bien la porter à 3 ou 4 % demain. Et personne ne s’en plaindra si cela peut alléger les dettes. Cela supposera cependant d’indexer salaires et retraites.

Mais la BCE ne pourra pas aller au delà de certaines limites ! Car il faut des limites pour ancrer la valeur d’une monnaie.

Il faudra donc collectivement nous fixer des trajectoires coordonnées pour contrôler l’endettement public et avoir le courage de dire qu’épargnants et contribuables vont payer une partie du déficit. Et d’abord les plus riches qui, comme les banques, pourraient être forcés de prêter à l’Etat à taux zéro tout en étant plus taxés ( comme suggéré par J Tirole).

Le meilleur moyen d’y parvenir -et de conserver ce bien collectif qu’est l’euro- serait de fonder dès maintenant une jeune Fédération européenne centrée sur les grands enjeux stratégiques. Nul besoin de modifier les Traités : il suffit que les Chefs d’Etat décident de se constituer en directoire de la zone euro, nomment un ministre des Finances, créent un trésor fédéral et lancent les fameux eurobonds qui fonderaient la puissance commune. C’était la proposition de Valéry Giscard d’Estaing dans « Europa » dès 2015.

Dans la période dangereuse qui s’ouvre désormais, perdre l’euro équivaudrait à tuer les pauvres et à ruiner définitivement les classes moyennes. L’euro est un trésor qu’il faut défendre à tout prix !
C’est donc le moment où jamais de doper la construction européenne et de se donner des objectifs de souveraineté, d’autonomie et de résilience pour notre continent enfin fédéré.

 

Dr Maxime MAURY
professeur affilié à Toulouse Business School
ancien directeur régional de la Banque de France

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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