Notre futur passe par une Défense forte et adaptée aux nouvelles menaces

 

Le poids acquis médiatiquement et politiquement par la pandémie et ses conséquences, notamment économiques, risque de rendre inaudible à l’avenir la thématique Défense dans le débat public. Ce serait une grande erreur. Ce serait une erreur d’abord parce que la résolution des crises futures, et ce quelle que soit leur nature, ne saurait se passer du savoir-faire militaire.

Au cours des derniers mois, alors que le virus de la Covid-19 mettait le pays à l’arrêt, nos armées ont été largement sollicitées pour aider la France et les Français à traverser cette épreuve. Depuis le lancement de l’Opération Résilience le 25 mars 2020, les forces françaises ont mis au service du pays leurs capacités logistiques et sanitaires afin d’accueillir et transporter des milliers de malades à travers le territoire national et ce tout en continuant à assurer la sécurité des Français. Un tel soutien pourrait par exemple se révéler nécessaire en cas de crise environnementale majeure.

Parallèlement, la menace proprement militaire n’est pas à écarter, soit qu’elle touche directement notre pays, soit qu’elle nous implique par l’intermédiaire d’un pays allié car le contexte stratégique français et européen se dégrade dangereusement depuis plusieurs mois voire depuis plusieurs années. La France et l’Europe se trouvent ceinturées par un arc de crises allant du Sahel à l’Ukraine en passant par les rives de la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Au Sahel, où elle est présente depuis 8 ans, la France a enregistré 5 nouveaux décès entre le 28 décembre et le 2 janvier au cours d’attaques revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Malgré les nombreux succès de Barkhane, toute la bande sahélo-saharienne reste soumise à la menace terroriste et à celle de l’effondrement d’Etats faillis. Cette menace terroriste se prolonge en Libye, où l’Etat est déjà en lambeaux et où les puissances étrangères rivalisent pour placer leur champion à la tête du pays. Parmi ces acteurs présents sur le sol libyen on retrouve notamment la Turquie, puissance régionale dont les appétits ont grossi ces dernières années au point de chercher à bousculer l’ordre établi dans son voisinage. Plus à l’est, elle s’est signalée par une projection massive en Syrie (80 000 hommes en 2019 à la frontière commune), le développement d’une attitude prédatrice en Méditerranée orientale et un appui décisif aux Azerbaïdjanais face aux Arméniens dans le Haut-Karabagh où la Russie a aussi joué un rôle important. Au Moyen-Orient, région où les jeux d’alliance se font et se défont au gré des rapports de force et des opportunités, ni les accords d’Abraham ni le timide rapprochement entre Doha et Riyad n’étouffent les foyers de tensions ou le risque terroriste. En Syrie et au Yémen les conflits s’enlisent. En Iran, où les autorités relancent l’enrichissement de l’uranium jusqu’à 20%, un président plus conservateur et plus opposé aux Occidentaux pourrait remporter l’élection du mois de juin. Enfin, aux portes même de l’Europe, la situation reste instable en Ukraine malgré l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu au mois de juillet 2020.

Toutes ces conflictualités sont autant de menaces qui pèsent sur la France et l’Europe. Elles installent des voisins instables et banalisent des coups de forces toujours à la limite du conflit ouvert, comme on a pu le voir à travers l’expérience de la frégate légère furtive « Courbet » face à la Marine turque.

Encore, faut-il ajouter à ces dangers les pressions économiques, environnementales et migratoires, sans oublier le développement et la propagation des menaces cyber et spatiales. Dans le domaine du cyber, l’adversaire peut non seulement être étatique (la Russie en a donné plusieurs exemples) mais aussi consister en des groupes, de plus en plus nombreux, et de mieux en mieux organisés, disposant des connaissances nécessaires et de la volonté pour menacer nos intérêts.

Dans un tel contexte, nulle surprise à constater que le monde se réarme. Il faut aujourd’hui dépasser le temps des slogans où l’on souhaitait récolter les « dividendes de la paix ». Nous sommes rentrés dans une période où fractures, oppositions et conflits sont devenus une normalité, une période où l’on peut même s’affronter sans se déclarer la guerre, notamment à travers le cyber.

L’année 2019 a été une année record pour les dépenses militaires et la 5ème année de hausse consécutive. Cette nouvelle course à l’armement s’incarne notamment dans les domaines du cyber, de l’intelligence artificielle, de l’espace et de la robotique. Sur ce dernier point, la Turquie, encore elle, a donné à voir un exemple du caractère décisif que pouvaient revêtir les drones sur le théâtre du Haut-Karabagh. Ankara a aussi augmenté, depuis 2010, ses dépenses militaires de 80%. C’est dans ce contexte que doit être ajustée (à défaut d’une actualisation législative) la LPM 2019-2025 avec, reprécisons-le, trois grandes interrogations parallèles :

  • A quels types de menaces et avec quels moyens devons-nous répondre ?
  • Comment soutenir les Armées et assurer la cohésion sociale malgré le poids de la dette et le spectre de son remboursement futur ?
  • Comment être subtil dans une période électorale, qui plus est présidentielle, incitant à la simplification excessive des discours ?

La France ne peut « faire le dos rond ».

Au contraire, avec l’effectivité du Brexit, Paris acquiert une responsabilité renforcée au sein de l’Union européenne qui, nous le savons, se trouve à la fois visée pour ses valeurs et peu disposée à « rendre les coups » du fait de ses divisions internes. En tant que seul membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, en tant que seule détentrice de la force nucléaire, et en tant que seule force aujourd’hui capable de rentrer en première sur un théâtre d’opérations complexes, la France doit assumer un rôle de leader. Mais en a-t-elle encore la volonté et la capacité ?

Afin de relever le défi de notre vouloir-vivre, il nous faut tout à la fois assurer notre indépendance, notre sécurité intérieure ainsi que la promotion de nos intérêts à l’étranger.

Loïc TRIBOT LA SPIERE,
Délégué général du CEPS

Maxime HALVICK

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