L’évolution de la composante navale dans un contexte de haute-intensité

(Mars 2023) Assiste-t-on ces dernières années à une évolution des enjeux maritimes, avec quelles évolutions de moyens ?

Il y a bel et bien une évolution des enjeux maritimes, tant dans le domaine de la protection des ZEE (Zones Économiques Exclusives) qu!en ce qui concerne le renforcement des moyens maritimes et la lutte contre la piraterie. Cette évolution vaut aussi bien pour la partie civile (maritime) que militaire (navale).

Les enjeux maritimes sont intrinsèquement liés à nos civilisations. En effet, notre humanité s!est construite autour de la capacité des nations à se protéger, échanger, se projeter par la mer. Aujourd!hui, ce sont 90% des échanges commerciaux qui se font par les mers et 98% des échanges internet qui passent par les câbles sous-marins.

Actuellement, la France possède le deuxième domaine maritime mondial, juste derrière les ÉtatsUnis. Soit un espace maritime de plus de 10,2 millions de km², répartis sur tous les océans, représentant autant d’enjeux économiques que stratégiques pour un pays dont la zone maritime est quinze fois plus étendue que sa zone territoriale.

Un premier enjeu important concerne la souveraineté maritime française : La France, comme d!autres pays, est aujourd!hui confrontée à un enjeu émergeant. Dans le domaine maritime, 90% de la flotte est aujourd!hui construite par des pays asiatiques, entre autres la Chine et la Corée. Le commerce est un enjeu important, si ce n’est l’un des plus essentiels : protéger notre commerce, c!est nous protéger.

Un second enjeu important relatif à la concurrence navale de la Chine :

Dans le domaine naval tous les pays au monde sont en train de renforcer leur flotte navale, bien qu’à des rythmes différents. Alors qu’il y a quelques années la Chine produisait annuellement l’équivalent de ce qui était produit dans le même temps en termes de tonnage français, elle a produit en 2022 l’équivalent de la moitié du tonnage français dans sa globalité. Ainsi, la Chine devrait aligner cinq-cents navires de premier rang dont onze porte-avions, cent frégates entre autres, alors même que les Etats-Unis estiment que moins de quatre-cents navires feraient largement l’affaire.

Il y a aujourd’hui un sujet préoccupant dans la construction navale qui démarque et sollicite de manière durable les producteurs européens, en particulier grecs et français : celui de la transition énergétique. En ce sens, la construction de navires propulsés au GNL fut amenée comme une révolution dans le milieu alors que, considérée comme l’avenir dans le monde de la croisière, cette source d’énergie permettrait, en moyenne, d’émettre 25% de CO2 en moins.

Concernant la conception des forces navales, il faut avoir à l’esprit que l!industrie navale est une industrie de cycle long. Il faut environ vingt ans pour construire un sous-marin.

On commence aujourd’hui la fabrication de navires qui ne seront pas en service avant 2035 : « Le grand-père du commandant du dernier navire en production n!est peut-être pas né » disait avoir humour le Président de Naval Group. Les forces navales aujourd’hui en construction, qui feront notre puissance sur mer demain, sont sujettes à des touches d!innovation par rapport aux précédents engins. Toutefois, il n’y a pas pour autant de révolution dans les types de navires en cours actuellement.

Quand on aborde le sujet de la construction industrielle, deux enjeux importants sont à prendre en compte : la limite des ressources humaines et la question de la désindustrialisation. D’abord, la question des ressources humaine est primordiale alors que la construction navale souffre aujourd’hui de son attractivité, notamment en raison du discours tenu par l’Éducation Nationale concernant les métiers de l’industrie, ce qui implique un manque de recrutement de mécaniciens, soudeurs et autres ouvriers manuels. Ensuite, le sujet de la désindustrialisation. Il faut savoir que la capacité de ces acteurs est liée à leur compétitivité économique (prix des navires chinois en constante baisse). Cette même compétitivité est permise par la rentabilisation des infrastructures navales qui sont de très grandes ampleurs. En l!occurrence, le démantèlement ou le maintien de ces mêmes infrastructures fait l’objet de choix politiques qui déterminent grandement les perspectives d!armement d!un pays.

Notons que cette compétitivité économique tient au maintien de la sphère d’influence politique des pays qui conditionne les exportations navales. L!exemple de l!Australie passée sous la sphère d’influence américaine en est un témoignage marquant, bien que l!affaire des sous-marins français tienne à bien plus que la compétitivité économique, notamment aux décisions politiques suivant l’élection en 2019 de Scott Morrison.

On s’oriente vers une logique de haute intensité. Quelles répercussions pour la composition navale ?

Pour un navire de combat, la différence entre la basse et haute intensité ne tient qu!aux ordres reçus : dès leurs origines, ces navires sont créés pour le combat naval de haute intensité. Quand une frégate part pour une mission quelle qu!elle soit, elle part avec tout son armement (missiles, canons, torpilles, etc.). Le combat naval est par définition extrêmement violent et répond aux critères du combat de très haute intensité.

En un sens, la flotte de dissuasion maintenue en permanence depuis 1972 est une flotte de haute intensité capable de tirer sur ordre. Au mois de mars dernier, trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ont été mis à la mer, équipés de seize missiles chacun.

La Marine française actuelle est composée de soixante-et-onze bâtiments de combat et de soutien dont cinq sous-marins nucléaires d!attaque, quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, un porte-avions et, entre autres, quarante-deux Rafale marine. Nos systèmes (sonars, systèmes de défense anti-aérienne…) sont considérés comme étant parmi les plus performants – si ce n’est les plus performants –, primés chaque année par les Américains.

En dépit de la perte du contrat australien, le renouvellement de la flotte française assure à l’industriel un plan de charge élevé alors que la guerre en Ukraine même a mis en exergue la nécessité de protéger ses côtes et d’avoir une flotte modernisée.

Le projet de Naval Group d!un centre recherches et de production de drones sous-marins représentera un investissement global de 140 millions d!euros dans le Var et devrait se concrétiser à l’horizon 2026-2027.

Les fonds-marins vont être truffés de drones d!ici peu : les Chinois ont récemment dévoilé un drone sous-marin armé de torpilles qui fait preuve d!abord d!une très longue endurance mais également d!une force de tir impressionnante. Mais au-delà de ce nouvel enjeu que représente la production massive de drones sous-marins, il y a toujours cette nécessité planante de mieux savoir détruire les drones aériens qui demande un effort en termes de performance de systèmes d!armes.

Il est important d’avoir à l!esprit que les drones sont déjà utilisés massivement dans les opérations de destruction de mines. Aujourd!hui, encore des centaines de milliers de mines datant de la Seconde Guerre Mondiale demeurent. La composition navale de demain doit donc être pensée à travers trois dimensions. Une dimension violente d!abord, qui repose avant tout sur le côté opérationnel. Une dimension axée sur les performances ensuite, les avancées technologiques, scientifiques, industrielles, qui favorisent les nouveaux domaines (notamment la production de drones) qui vont marquer les conflits de haute intensité à venir. Enfin, une dimension stratégique qui repose avant tout sur des choix politiques.

Comment relever ce défi industriel, avec quelle cadence ?

« La raison d’être de Naval Group est de donner aux marines les moyens de leur puissance ». Pour se faire, de grands projets sont en cours, à Lorient et Cherbourg notamment, avec la construction de six sous-marins nucléaires lanceurs d!attaques d!ici la fin de la décennie et, à court terme, un pour cette année et un second pour l!année prochaine. Fin 2022 a été inaugurée la frégate de défense et d!intervention (FDI), construite à Lorient par Naval Group et première d’une série dont certaines parties seront fabriquées en Grèce. Notons que la DGA et Naval Group collaborent notamment sur la conception de patrouilleurs océaniques pour des livraisons promises entre 2025 et 2029. La Grèce est un partenaire essentiel. Le 30 juin 2022, Naval Group et ses partenaires industriels grecs ont signé plusieurs contrats et accords de coopération relatifs au programme de frégates de défense et d!intervention grecques (FDI HN). A ce jour, plus de 80 projets ont été identifiés et le groupe a commencé à s!engager avec plus de 50 entreprises grecques préqualifiées. Plus que des partenaires, les Grecs sont aussi des clients importants : le 24 mars 2022, la Grèce a signé les contrats pour la réalisation de trois frégates de défense et d!intervention ainsi qu!une frégate supplémentaire en option et leur maintien en condition opérationnelle. Deux FDI HN (Hellenic Navy) seront également livrées en 2025 et la troisième en 2026. Notons que nous pouvons également compter sur d!autres partenaires, à savoir l’Égypte, l!Arabie-saoudite, l!Amérique latine et le Brésil qui renoue les contacts avec l!industrie française depuis l’élection de Lula. En réalité, le nombre de pays qui expriment aujourd!hui le besoin de s’équiper en forces sousmarines est impressionnant. Il faut en ce sens considérer avec beaucoup d!intérêt les nouveaux enjeux énergétiques qui sont au cœur des nouveaux contrats. Les bateaux diesel ou gaz vont devoir dans les décennies qui viennent passer à un autre type de carburant à l!image de la conversion progressive des sous-marins conventionnels aux batteries lithium.

 

Nicolas Guilbert, Membre de la Délégation à la jeunesse du CEPS

Accéder à l’article en PDF : https://ceps-oing.org/wp-content/uploads/2023/03/Libre-parole-Mars-composante-nabale.-2.pdf

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