Les ruptures technologiques, une opportunité au service du bien être des Humains ?

 

 

Notre modèle économique est à bout de souffle et génère des effets qui mènent notre espèce à sa propre fin, détruit notre écosystème et épuise notre planète. Ce contexte civilisationnel nous conduit à faire appel à nos meilleures ressources afin d’obtenir le plus rapidement possible les nouvelles technologies qui apporteraient des performances supérieures en comparaison aux technologies existantes, c’est ce qu’on appelle les technologies de Rupture.

Ruptures technologiques : définitions et conditions

  • Quand nous invoquons les ruptures technologiques , nous pensons immédiatement
    à Clayton M. Christensen qui a introduit cette notion en 1997 dans son ouvrage The Innovator&Dilemma. Dans la suite de cet ouvrage The Innovator& solution Christensen reconnaît que peu de technologies sont intrinsèquement de rupture ou de continuité. C’est au contraire leur usage stratégique qui a un effet de rupture. C’est donc bien les conséquences des technologies sur la vie humaine qui nous importent ici.
    Les ruptures technologiques, sont la conséquence d’innovations et non d’inventions. En l’espèce, la définition de Schumpeter nous sera de grande utilité : La différence entre les deux tient juste au fait que « l’innovation est une invention qui a rencontré son marché, c’est à dire qu’il y a des consommateurs prêts à payer pour l’avoir. » Comme toujours dans notre système économique actuel c’est le Marché qui est le juge de Paix.
    Le génial Léonard de Vinci, en est un parfait illustrateur : ces nombreuses inventions sont devenues pour la plupart des innovations bien plus tard, et il n’a pas utilisé le terme « disrupter » lui. Les leçons dont on tire de cette expérience est qu’il ne suffit pas d’avoir des idées géniales, il faut aussi rencontrer au bon moment, le bon marché, au bon endroit. Cette adéquation spatio-temporelle est importante, car l’acceptation et l’appropriation d’une invention par des usages reste la clé de notre modèle entrepreneuriale et économique : c’est ce qu’on appelle la phase d’adoption.
    Par ailleurs, l’accent doit être mis sur la nécessaire prise en compte de la durée et de la temporalité pour appréhender les processus de changement. On a bien compris que la clé résidait dans l’Innovation, si possible de rupture, la question est donc de savoir quelles sont les conditions pour obtenir les meilleurs résultats.
  • La contrainte ou la « faim » justifie les moyens : Je suis né à Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde, dans lequel les habitants se battent tous les jours pour survivre. Pourtant l’innovation est présente à chaque instant, au détour de toutes les rues de nombreuses échoppes fleurissent, chacun essaie de trouver n’importe quel moyen pour se nourrir, se vêtir, dormir, bref survivre. Ils pratiquent quotidiennement l’innovation frugale, appelé Jugaad en Hindi, sur lequel Navi Radjou a brillamment écrit. Mais dans sa description, il a mésestimé le caractère contraint qui est générateur d’idées. Sans contraintes, pas ou peu d’idées pertinentes et impactantes.

Contraintes de temps et de ressources ne sont pas les seuls critères. Avoir « faim » est une condition additionnelle pour innover. Cette faim n’est pas seulement une recherche de contenter physiquement notre corps grâce à de la nourriture mais elle peut être également intellectuelle ou contextuelle, mais dans tous les cas elle s’exprime comme une urgence impérative qui s’impose à nous.

En ces temps de confinement lié aux restrictions imposées par l’épidémie de covid19, nous avons eu la possibilité de vérifier que cette contrainte intellectuelle et contextuelle, a généré un foisonnement d’innovations, essentiellement adaptative et incrémentale.

  • L’obsession, l’obsession et encore l’obsession :
    La contrainte est une condition nécessaire mais pas suffisante pour générer des idées de génie, il faut également rester focus sur le sujet. La définition d’obsession ici est : Idée, image, sensation qui s’impose à l’esprit de façon répétée.
    Il s’agit de rester concentré sur les problèmes, de vouloir viscéralement trouver la ou les solutions, au point d’en être hanté jour et nuit. Et puis un jour, par hasard, au détour d’une activité complètement différente de votre préoccupation, une image, une situation, un mot, une phrase, un parfum, un visage, une pomme, un bain…va provoquer l’Idée ! Eurêka ! C’est le hasard fécond : Toutes les idées et innovations ont répondu à cette règle ; le tout n’est pas de rester en l’état de rêveries, mais bien de stimuler la créativité, donc de revenir au problème posé, souvent par analogie, invariablement par itération. C’est là qu’entre en scène l’importance de la constance.
  • La Constance dans la remise en question : Bien que la contrainte et l’obsession obtiennent de bons résultats dans la génération d’idées, elles ne suffisent pas à obtenir l’idée géniale, celle qui est atypique, décalée,”out of the box”, tout en étant désirable, viable et faisable.

Au fait, savez-vous comment se comportent les fourmis pour trouver à manger ? Quel rapport me direz-vous !

Eh bien, c’est en observant des fourmis qu’Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie a trouvé une théorie parallèle à la théorie du chaos. Les fourmis, pour trouver à manger fonctionnent par itération collective : une première fourmi va à la découverte dans un petit rayon autour de la fourmilière, la seconde va un peu plus loin et revient, la troisième encore plus loin, etc…jusqu’à ce qu’une des leurs arrive au but et « appellent » les autres pour transporter la nourriture découverte. Le caractère collectif est également important dans le processus itératif.

Comme dans les ateliers de Design thinking, méthode permettant de favoriser l’émergence d’une intelligence collective, l’itération est importante car elle permet de mettre en place des boucles de remise en question bénéfiques (succession de séances de divergences et de convergences), pour aboutir finalement au prototypage.

Dans ce processus, chaque acteur a en tête la bonne question de départ, ce que Simon Sinek appelle le « Why ». En revanche, avec le recul, je m’aperçois quand même que cette pertinente question génératrice d’opportunités, n’en reste pas moins limitative sur le plan du bien-être Humain. Limites et opportunités au service du bien-être Humain

Opportunités et contextualisation Si l’on regarde de plus près l’histoire des innovations de rupture, la quasi-totalité d’entre elles sont nées durant des périodes de guerres, famines, crises. C’est durant ces périodes que les contraintes, obsessions et constances se stigmatisent. Les limites, normes, lois, se brisent sur les récifs de la nécessité : survivre.

Mais survivre à tout prix, innover pour briser les chaines de la nécessité pour se créer des espaces de liberté donnent toujours une fausse idée d’opportunité. Opportunité de résoudre un problème auto centrée, opportunité de mettre en avant ses propres intérêts au détriment du reste (biaisé).
Vous n’avez sans doute pas perdu de vue ce que j’ai écrit au début, à savoir : « Comme toujours dans notre système économique actuel c’est le Marché qui est le juge de Paix. » C’est précisément là où le bas blesse.

Toutes les innovations de rupture alimentent, amplifient, voire sacralisent le système de consommation, ce que François de Closets a décrit dans le livre « Toujours Plus ! ». Avec les nouvelles technologies, en l’occurrence le numérique, les algorithmes, l’Intelligence Artificielle (IA), nous allons encore plus loin. Nyr Eyal nous a fait découvrir dans son livre « Hooked » que le numérique génère des applications qui nous aliènent, au point de nous rendre dépendant voire drogué (addict).

Limites et paradigmes

Les algorithmes d’Apprentissage Machine (Machine Learning) obéissent à une logique statistique Markovienne, qui pose question. Afin de rester efficace dans l’apprentissage automatique, l’algorithme est paramétré de telle sorte qu’il trouve invariablement la meilleure trajectoire, la meilleure solution au problème posé. Mais le problème posé est toujours, en mathématique très précis dans sa définition, excluant toute contextualisation. De par ce fait nos applications, jeux, usages technologiques sont paramétrés afin de générer notre dépendance, gage de monétisation au détriment de l’éthique.

Cette pratique numérique a provoqué une prise de conscience mondiale qu’il fallait travailler à des algorithmes éthiques, excluant biais, manipulations, abus et addictions. La base sur laquelle se repose les algorithmes est la donnée, nos données personnelles pour être plus exacte ; la Big Data.

Heureusement l’Europe a adopté la RGPD, préservant nos données personnelles, empêchant temporairement leur exploitation à des fins purement commerciales. A ceci près que si nos données sont hébergées dans un Cloud Américain, ils sont à la disposition des GAFAM en tout impunité ! Nos ruptures technologiques n’ont eu que pour seule intérêt la survie d’une minorité d’acteurs de l’économie, de l’espèce humaine au détriment des autres espèces, au détriment de notre propre environnement, au détriment de notre propre planète. C’est ce changement de paradigme, qui s’impose à tous maintenant, que cette planète se dérègle et que le système économique est remis en question qui est la vraie rupture.

Conclusion : La logique de bien-être planétaire montre bien une logique de ruptures Si nous devions orienter nos innovations vers le bien-être planétaire (environnemental, sociétal, civilisationnel), il faudrait d’abord savoir bien la définir, et ensuite que nous soyons tous alignés sur cette définition, et enfin que nous nous mettions tous ensemble à travailler sur les solutions orientées vers cet objectif, ce serait une vraie rupture dans l’Histoire humaine !

Cependant, bien que cela semble utopique, nous avons bien acté sur la définition du bien- être planétaire en signant l’Accord de Paris en 2015, avec la boussole qui permettrait d’atteindre les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’Onu ! Ce calendrier précis sur 10 ans (objectif 2030) et multidimensionnel (17 ODD), avec 169 cibles, 231 indicateurs, était au départ trop orienté politiquement, et manquait dramatiquement de concret.

Les entreprises et les citoyens ne comprenaient rien à ces discours technocratiques et éloignés de la vie quotidienne. Fort heureusement des « défricheurs » se sont attelés à traduire des actions concrètes sur le terrain en ODD, et de construire des indicateurs plus pertinents localement, tout en répondant à la boussole des ODD.

Les premiers à s’y intéresser après l’appel poignant de Greta Thunberg, ont été les banquiers, puis les assureurs, qui ont tout de suite perçu le danger d’effondrement de leurs patrimoines avec le dérèglement climatique. Des initiatives fleurissent çà et là, grâce à des jeunes dont la conscience écologique se réveille avec force, conviction, obsession et constance. Des entreprises viennent peu à peu grossir les rangs des activistes, poussés par nous les consommateurs. La Covid a été aussi un facteur de prise de conscience que nous pouvions changer notre façon de consommer, que le collectif est plus fort que l’individu, que nous avions un autre système à inventer. Les vraies ruptures technologiques viendront de ces logiques de rupture civilisationnelle, au service du bien-être humain et planétaire.

Hamza DIDARALY, Facilitateur Stratégique Programme #Gardons Le Lien chez SIMPLON FONDATION.

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