Les ruptures technologiques dans le secteur Aerospace & Defense dans un contexte budgétairement restreint

 

Nous n’avons absolument pas anticipé et surtout évalué correctement l’impact des nouvelles technologies sur le secteur Aerospace & Defense. Sous le prétexte que cette industrie produit en faible quantité et n’est donc pas soumise à de fortes cadences industrielles, prétexte auquel s’ajoute la vieille croyance que la robotique et le digital vont supprimer des emplois, nous avons manqué la robotisation et la digitalisation. A cela s’ajoute le cloud, la sécurisation (Cyber mais aussi la sécurisation de la source électricité) et la formation.

Pour étayer mon propos, je vais prendre un exemple précis : celui de la digitalisation dans le domaine de la digitalisation manufacturing au sein de notre univers Aerospace & Defense.

 

N°1 Les acteurs

Depuis des décennies, la digitalisation est gérée par le patron de l’IT , le CIO , qui doit cependant compter aussi avec l’acheteur lequel met une pression intense pour limiter les coûts d’investissement et de fonctionnement. Cette situation est toujours d’actualité dans les entreprises de Rang 1. Dans les grands groupes l’équation est plus complexe ; il y a, là aussi, l’incontournable CIO (Chief Information Officer ) et l’acheteur, le CPO (Chief Procurement Officer) spécialisé sur ce type d’achat. Mais il faut y rajouter le CDO (Chief Digital Officer) – CDO Manufacturing quand il existe – ainsi que le patron de programme ou le patron de l’usine et, comme les investissements sont importants et qu’ils impactent les actionnaires, la décision du DG ou Président entre dans la boucle. Et ça n’est pas tout … N’oublions pas les RH ! Point très important car l’utilisation de ces nouvelles technologies exige des personnes formées. Recrutement et mise en œuvre des actions de formation, temps de formation qui n’est pas, dans un premier temps, un temps de production … sources de coûts supplémentaires, pour cette transformation digitale.

N°2 L’Equation

Chaque fonction a sa propre vision et la difficulté est de les faire converger sur le résultat commun : produire dans un temps plus court, avec une meilleure qualité, et, finalement, gagner de l’argent et être plus productif ! Il est donc impératif de mettre en place un ROI qui soit compréhensible par tous ce qui n’est pas simple. Tous nos a priori et nos peurs nous ont mis dans un immobilisme qui affecte nos performances et qui nous pénalise.

N°3 Le constat

La digitalisation manufacturing est représentée par deux outils cruciaux : l’ERP (définition) et le PLM (définition). Malheureusement, force est de constater que beaucoup d’usines de notre secteur n’ont pas les deux : certaines ont choisi un PLM et ont tout misé sur lui pour faire tourner la production tandis que d’autres lui ont préféré l’ERP.

Ce qui fait qu’à ce jour nous avons des fanatiques qui font tout avec le logiciel d’ERP qui domine le secteur A&D à savoir SAP à presque 90% (Accessible aux grands groupes, il reste intouchable aux petites structures dès le Rang 2). Notons au passage, qu’il aura fallu plus de 30 ans pour faire comprendre qu’un ERP était vital et malgré tout vous seriez surpris de savoir quel industriel vient, seulement en 2020, de s’équiper d’un ERP). A côté des « Tout sur l’ERP », vous avez ceux qui ont fait de leur PLM l’Alpha et l’Oméga de leur système de production. Ils sont faciles à repérer … ce sont ceux qui annoncent régulièrement des dépassements de budget et des retards … Nous en connaissons tous au moins un ! Nous pourrions croire qu’avec ces deux outils nous pouvons piloter et optimiser notre production, n’est-ce pas ? Malheureusement, ça n’est pas le cas !! Pourquoi ? Parce que ces outils digitaux ne se parlent pas. Pour qu’ils dialoguent entre eux, il faut mettre en place un MES (Manufacturing Execution System) . Or là nous avons un retard inacceptable ! A peine 8% des entreprises de notre secteur possède un MES qui fonctionne. A quoi sert un MES ? Je vais me servir d’une image pour mieux vous l’expliquer : imaginer un avion ; le fuselage c’est l’ERP et les moteurs le PLM (ou l’inverse). Eh bien le MES c’est le cockpit. C’est l’outil qui permet de piloter en temps réel. Il visualise les indications vitales pour vous permettre de savoir, entre autres, si vous avez assez de kérosène (d’argent) et à quelle heure vous allez atterrir (livrer votre client). A ce jour la majorité des entreprises utilisent un tableur Excel en guise de cockpit !

Faites-vous plaisir : visitez un shop floor même chez un grand de notre secteur. Vous serez surpris ! Il y a du papier partout sur des tableaux dans les allées des usines Certaines personnes réalisent des graphiques sur power point + tableurs Excel et d’autres font des photocopies (Je connais un grand nom de l’A&D qui a des employés dédiés au poste photocopie). C’est encore plus incroyable quand on sait que les données une fois affichées sont déjà obsolètes. Les plus performants ont des tablettes (1 pour 2 compagnons dans le meilleur des cas). La tablette c’est bien mais sans le cloud et la sécurité … pas très utile.

 

Conclusion

La rupture technologique (dans mon exemple la digitalisation manufacturing) n’est pas antinomique avec les restrictions budgétaires. C’est même l’inverse. En effet, plus on digitalise plus on fait des économies mais cette économie n’est pas visible de la même manière par chacun des décisionnaires d’où la confusion. Depuis des années, c’est toujours le même prétexte pour ne pas faire. La période difficile COVID-19 peut être un accélérateur à cette prise de conscience. La digitalisation dans le process manufacturing est un gage de qualité et de sécurité. En avion, les accidents sont majoritairement dus au facteur humain. Il en est de même pour la production industrielle. La majorité des erreurs est faite dans le remplissage manuel du fameux tableur Excel. La chaine demande certes des investissements lourds en logiciels (ERP – PLM – MES) + sécurité, cloud et formation. Mais le gain sur la qualité serait extrêmement important ! Comme c’est la qualité qui coûte le plus cher, le gain sur les coûts serait considérable. Nécessaire également d’y rajouter l’impact environnemental (écologique) : moins de papiers, moins de déplacements. Il faut absolument que le ROI réel soit vu par l’ensemble des acteurs et il faut impérativement casser le schéma où chacun ne défend que sa chapelle. Ce qui est encore malheureusement le cas. Il nous faut embrasser les nouvelles technologies et les utiliser. Nous avons des acteurs incroyables et innovants, nous sommes les équipementiers de grands pays comme la Chine et les Etats unis et nous n’utilisons pas nos propres outils !!!

Pour caricaturer mon affirmation, je vous invite à regarder du côté des aéroports : ils sont tous digitalisés, même la Turquie qui devient la référence ! Nous, nous y avons 3 cabines pour analyser des passeports, cabines qui fonctionnent 1 fois tous les 3 mois dans le meilleur des cas !! … Quant à la reconnaissance faciale et prise de température automatisée … rien de tout cela chez nous alors que nous avons la technologie. L’investissement est faible comparé aux coûts induits par le fait de ne pas faire.

Ravi d’apprendre que la France est au top 5 du classement des nations innovantes … mais si on ne met pas en pratique chez nous, à quoi cela sert-il ? Où est la belle époque du TGV et du Concorde ?

Si nous ne priorisons pas les investissements sur les ruptures technologiques, nous le payerons très cher. Demandez à notre lanceur Européen : il a perdu bien plus que sa place de N°1 mondial pour n’avoir pas su continuer d’investir dans les ruptures technologiques …

Philippe BOISSAT, Président Fondateur de 3I3S

 

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap