La numérisation croissante de nos sociétés a entraîné la naissance des « cryptomonnaies » : le bitcoin, le libra de Facebook etc…… Elles prétendent jouer un rôle monétaire comme instruments de paiement et réserves de valeur. La naissance de ces « cryptomonnaies » est aussi la conséquence indirecte de la très faible rémunération de l’épargne d’un côté, et de frais bancaires toujours croissants de l’autre.
Par ailleurs , les banques centrales entendent créer une monnaie centrale numérique qui deviendra l’équivalent électronique du billet de banque et viendra le compléter progressivement.
L’expression même de « crypto-monnaie » est contestée à juste titre par les banques centrales qui préfèrent parler de « crypto-actifs ». Sans nier le rôle utile que peuvent jouer ces actifs virtuels , il convient de rappeler ce qu’est la monnaie : c’est un bien collectif qui garantit la stabilité de la valeur et qui est émis par une institution publique régie par des règles statutaires fixées par la puissance publique. Les crypto-monnaies ne sont donc pas des monnaies. Elles doivent par ailleurs être encadrées par des règles protégeant le bien public.
Ces crypto-actifs sont en fait de simples moyens de paiement entre les membres du groupe qui les émet, les reconnaît et les détient. Ils sont fondés techniquement sur le mécanisme informatique de la « blockchain » qui permet de créditer et de débiter des comptes sans erreur ni sans contrôle d’une autorité centrale et en toute gratuité. Cela révolutionne les systèmes de paiement (au point d’ailleurs que la Banque de France a reconnu et adopté la blockchain pour certaines opérations qu’elle contrôle).
Sur le plan théorique, ces crypto-actifs illustrent un dogme des économistes ultra-libéraux , comme le français Pascal Salin, qui estiment dans la théorie pure de la concurrence que l’on doit pouvoir choisir sa monnaie entre plusieurs actifs concurrents comme pour n’importe quelle marchandise. Mais cette doctrine néglige un point capital qui fait de la monnaie un bien collectif radicalement différent d’une marchandise : le coût de l’information !
Ainsi ai-je gratuitement une information fiable sur la valeur de l’euro comme vous l’avez vous-mêmes intuitivement : c’est une grande monnaie stable , dont la stabilité est garantie par un taux d’inflation faible par mandat formel des peuples européens. Avec une autorité qui rend compte devant les Parlements européen et nationaux. Cette information s’apparente à la notion de garantie. Les banquiers centraux l’appellent « ancrage » monétaire.
En pratique , le bitcoin est différent des « stablecoins » dont le projet de « libra »de Facebook est l’illustration. Le premier est par nature instable alors que le second se relie à un panier de monnaies.
Le bitcoin est soumis à de grandes fluctuations puisqu’il n’est fondé sur rien : il n’y a pas de valeurs sous-jacentes dont il serait la contrepartie. Seulement des débits et des crédits entre le groupe limité des personnes qui le détiennent et des fluctuations considérables en fonction de l’offre et de la demande. Ces fluctuations sont elles-mêmes liées à la perspective de la fin du bitcoin -et donc de sa rareté- avec la saturation de la blockchain en 2040.
On pourrait même écrire que « le bitcoin n’est rien » et que c’est précisément ce rien qui explique la volatilité de son cours.
Le projet de Facebook s’apparente en fait aux monnaies locales si ce n’est que le libra serait une « monnaie locale » entre plusieurs milliards d’individus !
Le libra serait très différent du bitcoin dans le sens où sa stabilité – qui le rapproche de la monnaie- serait garantie par un lien fixe avec un panier de monnaies. L’émetteur Facebook s’engage donc à rembourser le crypto-actif en monnaie « centrale » et à taux fixe.
L’émergence des crypto -actifs pose un problème d’encadrement légal qui est actuellement en cours de finalisation.
Cinq principes fondamentaux doivent garantir le bien public en encadrant ces actifs virtuels :
- On ne peut exercer subrepticement le métier de banquier sans se soumettre à l’agrément correspondant et aux règles prudentielles de plus en plus exigeantes qui s’y rapportent ;
- Comme le banquier qui a l’obligation, pénalement sanctionnée, de lutter contre le blanchiment, l’émetteur de crypto-actifs doit avoir la même responsabilité pénale ;
- L’émetteur doit constituer les provisions légales lui permettant de rembourser les actifs virtuels en monnaie réelle ; comme pour les monnaies locales régies en France par la Loi;
- On n’est pas sûr que la blockchain puisse fonctionner entre des groupes très importants d’individus ; il faudra donc limiter les risques ;
- Enfin l’information doit être parfaite.
Dans ce contexte, quel est l’avenir des crypto-actifs ?
Il s’agit à coup sûr d’un challenge pour le système bancaire et les banques centrales qui dépend de quatre facteurs fondamentaux :
- La confiance dans la monnaie que les « crypto-actifs » prétendent remplacer. La base monétaire mondiale a été multipliée par 8 depuis 2008. La dilatation du bilan des banques centrales est considérable ( à titre d’illustration, la BCE détient des titres de dettes représentant 61 % du PIB européen !); la peur de l’inflation est donc sous-jacente dans l’émergence des crypto-actifs comme dans la valorisation de l’or.
- La rémunération de l’épargne actuellement très faible avec des taux d’intérêt anormalement bas .
- Le coût croissant des transactions bancaires lié à l’effondrement de la rentabilité des banques ( contrepartie de règles prudentielles toujours plus exigeantes et de taux d’intérêt très bas ).
- La capacité des banques centrales à créer une monnaie électronique en remplacement du billet de banque. La réflexion est en cours et devrait aboutir prochainement.
L’équation des crypto-actifs tient donc dans ces quatre paramètres.
Les crypto-actifs pourraient se développer fortement si les monnaies centrales et les systèmes bancaires s’affaissaient. Ou au contraire s’affaisser si l’inflation restait bien contrôlée , l’épargne mieux rémunérée, les frais bancaires modérés et les formes de la monnaie centrale numérisée avec le projet de « monnaie numérique de banque centrale » ( MNBC).
C’est donc bien une dynamique concurrentielle qui est à l’œuvre.
En toute hypothèse , ils devront être encadrés et sérieusement contrôlés. Les régulateurs y veillent.
Dr Maxime MAURY
professeur affilié à Toulouse Business School
ancien directeur régional de la Banque de France
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