Le vaccin et les fractures du monde

 

La vaccination est à l’œuvre depuis quelques semaines pour freiner et à terme contenir la propagation du virus. Les progrès sont immenses depuis le mois de janvier 2020, lorsqu’à Wuhan, quelques médecins courageux révèlent l’apparition d’une pneumopathie suspecte, avant d’être aussitôt sanctionnés par les autorités locales. À l’époque, personne n’était parvenu à anticiper précisément la diffusion tous azimuts et vertigineuse de ce nouveau coronavirus.

Le vaccin : un objet géostratégique

Le vaccin anti-Covid-19, récemment arrivé sur le marché, est un accélérateur des tensions à l’échelle mondiale. En effet, la crise sanitaire accentue les fractures qui pèsent déjà lourdement sur les relations internationales. Le défi est inédit et le tournant incontestable. La pandémie amplifie les mésententes interétatiques, marquées par l’essoufflement de la mondialisation et du multilatéralisme ainsi que par le retour des rivalités entre puissances, sur fond de nouvelles conflictualités. La crise sanitaire a renforcé le « repli sur soi », matérialisé par le retour au premier plan de la notion de frontière physique. Plusieurs pays ont ainsi fait le choix de fermer plus ou moins durement leurs frontières terrestres. Le 31 janvier, la France a clos les siennes aux pays extérieures à l’Union européenne (UE), sauf en cas de motif impérieux.

Par ailleurs, les retombées géopolitiques de la crise sont réelles. En témoigne la bipolarisation sino-américaine qui s’est exacerbée, à tel point que certains experts laissent entendre qu’une nouvelle période de guerre froide s’ouvre à nous. Par voie de conséquences, les mesures exceptionnelles qu’impose la lutte contre le virus ont offert un nouveau souffle aux régimes autoritaires. Malgré le fiasco sanitaire brésilien, Jair Bolsonaro a ainsi bénéficié d’un soutien indéfectible et a gagné en popularité à l’échelle nationale.

Une vaccination différenciée

À l’image de la pandémie elle-même, la vaccination de masse illustre les fractures et les rivalités du monde – entre les pays riches qui ont investi massivement dans la recherche, tels les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, et se sont rués sur la commande de doses nécessaires à leur population, et des pays émergents, asphyxiés par la crise, qui manquent cruellement de moyens. Sur 200 millions de vaccins contre le Covid-19 injectés dans le monde au 20 février, 45% l’ont été dans les 7 pays les plus riches, alors qu’ils n’abritent que 7% de la population mondiale. La crise a détruit les perspectives de croissance et de bien-être des pays en voie de développement, à tel point que les inégalités sont revenues à leur niveau de 2010, soit au lendemain de la crise économique et financière de 2008.

L’accès à la vaccination de masse est sinon aléatoire, distant dans le temps. 7,5 milliards de doses ont été réservées par les pays développés à la fin de l’année 2020, soit la moitié des doses de vaccins pour 14% de la population mondiale seulement. Les répercussions sur les pays émergents, qui se retrouvent lésés, sont immenses. Le vaccin, censé être un bien commun de l’humanité, est resté un bien privé. En outre, de larges disparités dans la mise en œuvre des campagnes vaccinales sont apparues, notamment en lien avec le vaccin Pfizer-BioNTech, qui ne peut être stocké qu’à -80°C, excluant certains pays de la « course à la vaccination » avant même le début des hostilités.

Covax : miroir des inégalités ? 

En réaction, l’ONU a lancé le vaste mécanisme COVAX, qui fédère 156 États et qui est censé assurer un accès rapide et équitable aux vaccins contre la Covid-19 pour tous les pays. 145 États doivent recevoir 337 millions de doses ces prochains mois et 1,2 million de doses du vaccin Pfizer-BioNTech seront mises à disposition au cours du premier trimestre 2021. Ces prévisions dépendent toutefois de plusieurs éléments, tels que l’état de préparation des pays. En outre, pour distribuer les fioles, l’OMS se doit d’avoir certifié les vaccins. N’ayant validé que celui du duo Pfizer-BioNTech, ce ne sont, finalement que 17 pays qui sont directement concernés par le projet de distribution, en attendant la certification du vaccin d’AstraZeneca. Comme il n’y aura qu’un petit peu plus d’1 million de doses de vaccins à distribuer au cours du premier trimestre, l’OMS et ses partenaires ont dû mettre en place un mécanisme de sélections pour aboutir au choix de ces 17 États, alors que 72 avaient initialement fait part de leur intérêt pour le précieux vaccin.

En surfant sur ces initiatives internationales bancales, la Chine en a profité pour tirer son épingle du jeu auprès des pays émergents. En effet, 4 groupes pharmaceutiques chinois ont passé des accords avec des pays en développement pour leur fournir des vaccins à très bas coût, faisant de nouveau primer une stratégie bilatérale. Pékin a donc exporté ses vaccins rapidement, notamment vers le Brésil, l’Indonésie et le Maroc, qui a participé aux effets cliniques de l’un d’eux, créant un fossé avec l’Occident, accusée de ne produire des vaccins que pour les pays « riches ». Pékin continue de tisser sa toile sur le continent africain, qui paradoxalement réagit assez efficacement à la crise et a su faire preuve de résilience.

Autant de défis à relever pour l’UE, qui a su réagir au niveau économique avec un plan de relance commun sans précédent. Mais la santé ne fait pas partie des compétences de l’UE, bien que la présidente de la Commission européenne veuille pallier les disparités des systèmes de santé et des campagnes vaccinales entre les États membres, en mettant en place une Europe de la santé. Au-delà de l’UE, il convient de revenir sur une conception mondialisée de la santé, qui permettrait aux États de faire des choix socio-sanitaires autonomes et liés aux enjeux contemporains. Mais la crise n’a pas permis de telles avancées, n’offrant aux dirigeants que de nouveaux motifs de discordes.

Lilian EUDIER

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap