Le difficile mais nécessaire changement de regard sur les relations franco-africaines

 

« Il était de coutume d’avoir des discours un peu comme celui que vous venez de tenir […]. Ce discours qui consiste à dire dès que j’ai un problème c’est toujours la France, ce n’est pas un discours qui permet de tourner la page, ce n’est pas un discours qui permet d’aller de l’avant »[1]. Voilà ce que répondait Emmanuel Macron à une jeune étudiante qui, suite au discours donné par le président français à l’Université Joseph Kizerbo de Ouagadougou (Burkina Faso) le 28 novembre 2017, avait condamné une politique française jugée néocolonialiste.

Pour une partie de la jeunesse africaine, la France est effectivement la cause de tous les maux. Cette portion grossit dans les pays où la France est présente militairement et faiblit lorsqu’on se rapproche de l’« Afrique mondialisée », non francophone. Moins de passé moins de passif. L’image négative que peut renvoyer Paris en Afrique a trois causes : le poids de l’héritage, l’exercice de politiques contestées – intervention militaire, proximité réelle ou de façade avec tel ou tel autocrate – et l’entretien par les puissances concurrentes de cette mauvaise image. Trop heureuses de disposer d’un argument imparable contre l’ancienne puissance coloniale, les diplomaties russes ou turques n’hésitent pas à activer ce levier. Au Mali, où résonnent régulièrement des « France dehors ! » ou « Barkhane dégage ! », ce sont parfois les mêmes manifestants qui appellent au départ de la France et à une coopération renforcée avec Moscou. Le contraste avec le temps où François Hollande était reçu en héros à son arrivée à Tombouctou pour ce qui était devenu selon ses mots le « plus beau jour de sa vie politique » est saisissant.

Pour ce qui est du poids de l’héritage, les vieilles formules ont la vie dure. Elles présentent l’avantage certain de fournir un cadre intellectuel stable, familier, rendant la situation facilement intelligible pour tous. Le spectre de la françafrique devient alors une grille d’analyse appliquée à toutes les situations et ce avec quelque paresse intellectuelle. Face à cet état de fait dont il a rapidement pris conscience, il est difficile de nier le volontarisme – parfois maladroit – d’Emmanuel Macron. Le président français a ainsi multiplié les gestes symboliques forts : dénonciation de la colonisation comme un crime contre l’humanité, ouverture des archives relatives à la disparition de l’icône Thomas Sankara, constitution d’une commission d’historiens pour faire jour sur le rôle de la France dans le génocide rwandais, reconnaissance d’un usage de la torture en Algérie et commande d’un rapport à l’historien Benjamin Stora, restitution des biens culturels, déconstruction progressive du franc CFA, etc. Le Washington Post a même effectué un parallèle entre la politique mémorielle d’Emmanuel Macron et la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité française dans la déportation des juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

À travers sa rhétorique, à travers sa politique africaine, Emmanuel Macron essaye à la fois de « faire exploser les tabous » pour introduire un nouveau narratif tout en mettant de la distance avec les faits passés. Il aime à rappeler que sa génération n’a pas connu la colonisation et l’objectif de ce renouveau souhaité est d’éviter que les actions d’aujourd’hui et de demain – militaires, économiques ou diplomatiques – ne soient jugées à l’aune de la réalité d’hier. La mémoire est un matériau vivant et sensible qui, mal maîtrisé, peut handicaper les interactions avec le continent. C’est ce que l’on observe par exemple au Sahel où l’intervention française doit composer avec un sentiment anti-français et la conviction partagée par certains que l’ancien colonisateur n’est là que pour accéder aux ressources et richesses internes.

Mais les efforts du président risquent de peser peu dans la balance face aux accusations de bavure dont la France est l’objet pour les frappes aériennes réalisées en janvier dernier au nord du village de Bounti dans le Mali et qui ont conduit à la mort d’une vingtaine d’individus. Trois d’entre eux ont été formellement identifiés comme des membres de la katiba Serma, cellule djihadiste ayant prêté allégeance au Groupe de soutien à l’islam et au musulman (GSIM), responsable de la mort de 5 soldats français entre le 28 décembre 2020 et le 2 janvier 2021 au Mali. La question porte alors sur l’identité des autres individus abattus. Qui étaient-ils ? Des terroristes comme le répète avec force le ministère des Armées ou bien des civils comme l’avance l’ONU qui s’est saisie de la question et en appelle à l’ouverture d’une enquête indépendante pour identifier les responsabilités ?

Pour finir toutefois sur une note plus optimiste, il nous semble très important de rappeler avec force qu’il existe aussi une jeunesse africaine qui a une « envie de France ». Les étudiants subsahariens sont les plus mobiles dans le monde : 4,5% d’entre eux sont en mobilité alors que la moyenne mondiale est à 2%. Or, la France est la première destination de ces étudiants et, déjà sous François Hollande, la tendance était à la hausse avec 21% d’étudiants subsahariens supplémentaires accueillis entre 2012 et 2017 pour atteindre, cette année-là, un total de 50 000 étudiants. Ces jeunes femmes et ces jeunes hommes sont autant de ponts entre la France et le continent africain, autant d’ambassadeurs pour réinventer nos relations et les libérer du prêt à penser. Favorisons les mobilités, facilitons les allers-retours (qui n’équivalent pas au brain drain) et multiplions les connexions techniques, scientifiques et culturelles !

Maxime HALVICK

[1] Discours d’Emmanuel Macron à l’Université de Ouagadougou, op.cit.

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