Le canal de Suez : un mastodonte aux pieds d’argile

 

Fil conducteur de la mondialisation

Construit entre 1859 et 1869 sous la direction du diplomate français Ferdinand de Lesseps, le canal de Suez, long de 193 kilomètres, est progressivement devenu un caléidoscope de la mondialisation. Stratégiquement situé sur les rives égyptiennes afin de relier la Mer Méditerranée à la Mer Rouge, le canal a vu transiter 19 000 navires tout au long de l’année 2020.

Le fret maritime présente des avantages non-négligeables. À lui seul, il représente 80% du commerce mondial. Aux mains d’un petit nombre d’armateurs, dont le Français CMA-CGM et le Danois Maersk, il est comparable à un oligopole florissant, qui permet aux acteurs publics et privés d’optimiser leurs coûts et de rentabiliser leurs chaînes d’approvisionnement. Par voie de conséquence, la taille des IDE n’a, elle aussi, cessé de progresser : elle a été multipliée par 4 depuis 1990, créant une immense chaîne de valeurs à l’échelle mondiale, dont le canal de Suez est l’une des épines dorsales. Cette prise de poids du commerce maritime s’est aussi accompagnée du grossissement spectaculaire des ports et des porte-conteneurs, qui mesurent pour certains plus de 400 mètres de long et transportent jusqu’à de 20 000 conteneurs.

Une zone instable et soumise aux aléas du commerce international

Toutefois, cette intensification des échanges accroit les risques d’entraves de certains secteurs, et le blocage du canal de Suez il y a quelques semaines en est le dernier exemple en date. Le 23 mars 2021, l’immense porte-conteneurs panaméen Ever Given, affrété par le Taïwanais Ever Green, s’est échoué dans le canal de Suez, bloquant près de 400 navires en seulement quelques dizaines d’heures. Dégagé 5 jours plus tard, l’évènement démontre que la mondialisation ne tient finalement qu’à un fil, et qu’un grain de sable pour très vite enrayer la machine.

La vulnérabilité du canal de Suez comme de d’autres routes névralgiques tels que le canal de Panama ou les détroits de Malaka et Gibraltar ont été à l’origine du renforcement des mesures de sécurité de la part des compagnies maritimes, pour faire face aux menaces, au premier rang desquelles figure la piraterie. Le transport maritime est certainement le plus susceptible de connaitre des étincelles. C’est pour cette raison que depuis 1996, le canal de Suez est dirigé par d’anciens commandants en chef des forces navales égyptiennes.

Cette vulnérabilité des points de passage « obligés » du commerce maritime explique l’ardeur renouvelée de la Russie et de la Chine à développer une autre voie, qui passerait par l’Arctique, raccourcissant les trajets à leur avantage et accroissant leur capacité de contrôle sur cette zone, elle aussi stratégique pour le commerce mondial, bien qu’encore assez peu empruntée à cause du risque pour les navires de rester prisonniers de la glace.

Risque de congestion et horizon de tensions

Par ailleurs, il apparait clair que les enjeux géoéconomiques et géopolitiques soient étroitement liés. Le canal de Suez a littéralement transformé l’économie égyptienne. Dès l’arrivée au pouvoir du président Al-Sissi en Egypte en 2014, après la chute des Frères Musulmans l’année précédente, le canal de Suez prend une place toute particulière dans son discours, à tel point que le déblocage de l’Ever Given a été perçu comme une victoire patriotique dans le pays. L’Egypte envisage même de demander 1 milliard de dollars de dédommagement, qui viendrait selon le gouvernement compenser les pertes que le blocage de l’Ever Given lui a fait subir en l’espace de quelques jours. Reste à savoir à qui Le Caire va demander de payer cette note de frais…

On se souvient également de la déclaration martiale du président égyptien, au début du mois de mars dernier, qui a mis en garde l’Ethiopie contre le méga barrage qu’elle entend construire sur le Nil. Aux yeux d’Al-Sissi, cette initiative risquerait d’amoindrir le flux de marchandises qui transiterait par le canal de Suez.

Ces tensions intrinsèques autour des axes maritimes majeurs posent la question de leur souveraineté. Pour certains États, comme le Canada ou la Russie, les détroits constituent des zones impériales dont l’accès doit être contrôlé. Pour d’autres, comme les États-Unis, ils doivent demeurer ouverts au libre transit. Cette question du statut de ces points de passage confirme leur sensibilité : clés de voûte des échanges, mais dont le futur est entouré de menaces et de zones d’ombres.

Lilian EUDIER

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