LE BON SENS, OU L’IMMANENCE DU RAISONNABLE

 

 

Magnant l’ironie d’une main de maitre, l’utilisant d’un doigté de velours, Descartes, dans son Discours de la Méthode, nous mettait en garde…
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. »
Malheureusement, certains, sont restés sur une première lecture trop rapide de ce fameux Discours. Se sentant parfois pousser des ailes. Le bons sens à n’en point douter, ils en étaient pétris. Comme tous les Hommes d’ailleurs. Erigeant inconsciemment celui-ci au rang de qualité universelle.
Depuis lors, fort de ce “bon sens commun”, l’homme se satisfait de sa raison. Sans s’interroger plus que de mesure sur ses besoins fondamentaux, sans bousculer ses certitudes… Oubliant par la même que Descartes a précisément remis en cause ladite raison tout au long de son œuvre. Erigeant le questionnement, et donc la remise en cause, au rang des besoins fondamentaux de l’évolution…
Pour tenter de réveiller les esprits, au début du vingtième siècle, Léon Brunschvicg avançait que l’idée de bons sens rejoignait celle du raisonnable. Il prétendait alors que « l’être raisonnable par excellence est l’homme d’expérience, que l’on sait de conduite prudente et de bon conseil, ce paysan familier avec le rythme des saisons, l’alternance des vents, la brusquerie des orages, ce médecin qu’une curiosité avisée a rendu sensible au tempérament des malades, à la gravité des symptômes, à l’opportunité des remèdes, art tout individuel et qui bien souvent serait difficile à justifier de façon explicite ». Cette définition trouvait sens.
Mais le bon sens raisonnable de Brunschvicg, n’était alors pour les marxistes que “le chien de garde de la bourgeoisie”. L’expression de la volonté de ne rien changer. De ne pas vouloir s’adapter…
Dit autrement, pour Bergson, il n’y avait « pas de plus grand ennemi, dans la cité, que l’esprit de routine et l’esprit de chimère. S’obstiner dans des habitudes qu’on érige en lois, répugner au changement, c’est laisser distraire ses yeux du mouvement qui est la condition de la vie”.
C’est précisément pour éviter le grand écart entre l’idée d’un conservatisme rétrograde et celle d’un “idéologisme” pantois, que Descartes invitait chacun à se poser des questions, à s’adapter.
Immanquablement, ce qui précède nous ramène à la sinistre période que nous traversons et qui parait secouer les consciences… A cette période qui nous invite à définir une fois pour toute la notion de bon sens et à en faire enfin, une valeur universelle.
A tout le moins, l’épisode du COVID-19 nous amène-t-il à reconsidérer le bon sens en le rendant indissociable de la raison. Cette même raison qui nous oblige à accepter une part d’incertitude quant à l’avenir. Incertitude d’autant plus grande lorsque l’on assiste à l’effroyable gestion de la présente crise sanitaire mondiale…
Ainsi le contexte qui nous oblige met-il en exergue deux grandes catégories de dirigeants. Les raisonneurs et les raisonnables. Le bon sens imposerait que les premiers, qui paraissent gouverner le monde comme Jules Cesar régnait sur Rome, devraient après la crise actuelle en tirer les conséquences, et céder leur place aux seconds. Question de bon sens…

Car c’est à une révolution des consciences que ce sacré bon sens devrait alors nous amener collectivement. Un bout de pain et des jeux ne doivent plus suffire à endormir les consciences. Tels les gladiateurs que l’on jetait dans l’arène pour endormir le peuple de Rome, l’être humain, affirmant sans ambages son rang d’animal évolué, doit faire une toute autre révolution que celle de l’internet, de l’homme augmenté ou encore de l’intelligence artificielle. Il doit sans plus attendre rejeter les émissions abêtissantes, la doctrine politico-économique déversée en permanence par de plus en plus de sachants auto proclamés, par des médias serviles… Adieu, Snapchat, Instagram, Tik Tok…. L’Homme doit aujourd’hui faire un choix fondamental. Laisser la main aux raisonneurs ou la confier aux raisonnables…
Force est de constater en la matière que nous partons de loin. Les généraux de Villiers et Soubelet, pourtant parfaitement informés, ont été sacrifiés il y a peu pour satisfaire la bien-pensance. Leur seul souci n’était-il pas pourtant d’appeler l’attention sur des situations graves, qui entrainent progressivement un risque majeur. Devenu imminent…
Ce type de risque pour la Nation qui se réalise actuellement en matière sanitaire. Après des années de “coups de gueule” des médecins et autres personnels hospitaliers, notre coronavirus venu d’Asie vient mettre en évidence ce que les personnels de terrain savaient. Et le comble… c’est que ce sont eux qui paient cache l’aveuglement des raisonneurs.
Sur un autre champs, les personnels en charge de l’ordre public ou de la sécurité (policiers, gendarmes, pompiers, médecins…) disent leur mal-être à qui ne veut toujours pas l’entendre, ils alertent chaque jour sur les risques d’embrasement de notre société . Et que dire des enseignants. De ceux qui ont prôné durant des années la politique de l’enfant roi chère à Françoise Dolto, et qui sont aujourd’hui dépassés par nos chérubins.
Dans ce contexte préoccupant, nous autres Français, portés par les Lumières, emplis de suffisance, continuons aveuglément à donner au monde entier des leçons de liberté, d’égalité de fraternité… Le pouvoir institutionnel et médiatique en est tellement convainquant qu’il ne saurait avoir tort… A moins qu’abrutis par leur environnement, la plupart des hommes aient trop longtemps confondu la dictature de la pensée unique, avec la notion de bon sens. De ce bon sens prôné par Descartes et adapté au monde réel.
A ce monde fragilisé, que ne sauraient incarner les raisonnables. Ces femmes et ces hommes qui n’imaginent pas de projet sans une forme élaborée de l’humanité, intégrant l’intelligence collective et émotionnelle comme vecteur de ce fameux “bon sens”.
Progressivement, il devrait appartenir alors auxdits raisonnables de pousser hors du champs les raisonneurs. Ceux qui ont entre les mains le pouvoir de la parole et des images. Et qui à force de discuter sans fin, à force d’émettre depuis des décennies des théories fumeuses qu’ils se plaisent à alimenter pour mieux s’en convaincre se sont éloignés de l’expérience. Et ainsi de la raison…
On se souviendra longtemps en Chine de ce proverbe de Confucius selon lequel “l’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru”. De quoi occuper la pensée de nos raisonneurs avec cette autre question de Bergson. “N’est pas aussi par faiblesse de volonté ou distraction d’esprit qu’on s’abandonne à l’espoir des transformations miraculeuses ? ».

En France, les Lumières n’auront sans doute pas su éclairer ceux censés en porter l’esprit. Et qui n’auront su en adapter la pensée au monde dans lequel nous vivons… Comme les y ont incité nombre de philosophes, passés ou contemporains.
Mais il ne saurait y avoir de bon sens sans courage. Le courage d’une révolution massive de la pensée et de l’ordre des valeurs portées. Une révolution collective et transfrontalière qui ferait reposer les fondements de notre monde sur la raison. Sur cette capacité du raisonnable de faire reposer certaines décisions sur son seul instinct, incarnant cette capacité de pouvoir sans cesse s’adapter à la situation.
Pour réussir, il faudra donc au raisonnable du caractère. Celui que le général de Gaulle évoquait dans Le Fil de l’Epée, affirmant que “face à l’événement, l’homme de caractère imprime à l’action sa marque. Il la prend à son compte. Il en fait son affaire…”.
En portant son engagement plein et entier au service de son peuple, par-delà les frontières, le raisonnable redonnera son véritable sens à la raison. Il redonnera toute sa portée à un bon sens devenu immanent. A ce bon sens qui ne peut renaitre et perdurer sans confiance. Le raisonnable acceptera l’audace qu’il n’y a « pas de plus grands ennemis, dans la cité, que l’esprit de routine et l’esprit de chimère. S’obstiner dans des habitudes qu’on érige en lois, répugner au changement, c’est laisser distraire ses yeux du mouvement qui est la condition de la vie”. En cela Descartes et Bergson se rejoignent. Le second n’oubliant pas toutefois de rappeler le “poids mort des vices et des préjugés” qui viennent trop souvent impacter le bon sens.
Gageons toutefois que le bon sens restera l’immanence du raisonnable. Le temps presse.

 

Par Christophe DUQUEROIX,
Secrétaire Général
IN’LI SUD-OUEST

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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