La laïcité : un acquis de la modernité intellectuelle et politique

 

La laïcité est une conquête de l’esprit humain. En ce sens qu’on ne gouverne plus la Cité selon le désir politique de Dieu que seuls certains ont pu pénétrer. Ceux-là, dès lors qu’ils ont scruté la volonté divine, ils se croient autorisés de l’imposer à leurs semblables.

La laïcité n’est pas la religion de ceux qui n’ont pas de religion ni une doctrine qui vient concurrencer celles dont elle est censée réguler la coexistence. La laïcité sans être adjectivée est un principe juridique sans épaisseur idéologique. Ou à l’extrême rigueur, c’est un principe politique adossé à un corpus de valeurs et formulé dans un dispositif législatif sans densité doctrinale. Il est avant tout un principe de liberté et il implique, dans la philosophie politique, la neutralité de l’Etat quant aux affaires religieuses. Reprenant l’expression d’Aristide Briand, l’énoncé pourrait être augmenté ainsi : c’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi et la loi prime toujours la foi.

En réalité, en dehors de la tradition juive qui avec la notion de dina di malkouta dina qui pourrait être rendue par « la loi du « royaume » est la loi », aucune religion au monde n’a renoncé au pouvoir temporel motu proprio tout comme aucune religion ne résistera au vent de la laïcité lorsque celle-ci est comprise, ingérée et théorisée par ses propres théologiens et philosophes. L’expérience chrétienne avec la production intellectuelle de penseurs de renom catholiques et protestants tels Karl Rahner, Carl Barth, Paul Tillich, Gustave Tills, Hans Urs Van Balthasar et d’autres est très riche. Elle est une voie à suivre dans le sillage du théologien musulman Ali Abderraziq qui, en 1925, a composé son ouvrage « l’islam et les fondements du pouvoir ». C’est un investissement intellectuel qui est requis de nos jours.

L’islamologie moderne se doit de sauver la tradition islamique du suicide de la pensée. Elle doit préserver les esprits de tout abrasement de la réflexion et de la négation de l’intelligence, par-delà l’appartenance confessionnelle. Le fondamentalisme islamiste confond délibérément les contingences humaines du message révélé avec l’essence divine de ce message. Les premières s’articulent dans l’histoire, la seconde est assurément atemporelle et métahistorique. Le pseudo-magistère idéologique du wahabo-salafisme a fait beaucoup de dégâts.

Il nous faut une production savante assainie des scories d’une construction humaine sacralisée par méconnaissance avec la dé-dogmatisation de l’histoire et la dépolitisation de la religion. Aussi une sociologie de l’espérance et une téléologie terrestre de la grandeur de l’homme permettront-elles assurément d’immuniser les jeunes générations de l’intolérance fanatique. Elles devront les prémunir du danger du radicalisme et de ses méfaits. Il est temps d’en finir avec les lectures rétrogrades attentatoires à la dignité humaine d’un corpus éculé et dépassé. Et nous pourrons renouer avec l’humanisme dans une quête solidaire du sens de l’avenir. Un avenir de paix et de fraternité pour tous les hommes.

La modernité est aussi un mode de reproduction politique et de gestion des affaires de la Cité, fondé sur la dimension institutionnelle de ses mécanismes de régulation. Sous la voûte commune de la laïcité, la coexistence des spiritualités et la cohabitation des « sacrés » supposent une modification du sens temporel de la légitimité. L’avenir « remplace » le passé et rationalise le jugement de l’action associée aux hommes. C’est la possibilité politique de changer les règles du jeu de la vie sociale par le droit avec le respect des options métaphysiques des citoyens tant que l’ordre public est préservé. La norme juridique doit être une émanation rationnelle des hommes s’appliquant aux hommes pour leur bien-être. Et pour être obéie, la loi n’aura pas besoin de se fonder sur un régime discursif de la vérité revendiqué exclusivement par les religieux. La séparation des deux ordres religieux et politique est une avancée considérable.

Ghaleb BENCHEIKH

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