La fausse bonne idée d’annuler la dette est absurde et dangereuse

Une centaine d’économistes lance un appel en faveur de l’annulation de la dette Covid dans les comptes de la BCE. Au premier abord, l’idée peut paraître sympathique puisqu’ils suggèrent en contrepartie une accélération de l’investissement public en sortie de crise.

Mais il n’est pas nécessaire d’annuler la dette pour autant !

La France et l’Allemagne empruntent à taux négatif ce qui signifie que l’on nous paie pour emprunter ; les pays du sud, Espagne, Portugal , Italie, empruntent à taux quasiment nuls. Chacun peut donc investir autant qu’il le souhaite, d’autant que les dettes publiques correspondantes sont par la suite rachetées par la BCE dans son programme PEPP (« Pandemic Emergency Purchasing Program ») à hauteur de 1850 milliards d’euros.

Aujourd’hui les 3/4 environ de la dette covid sont sagement cantonnés dans les comptes de la BCE et de ses antennes nationales.

Cette idée est donc absurde car la dette y est déjà neutralisée : à échéance, les titres seront remplacés par d’autres titres, on « roule la dette », le seul risque étant l’ augmentation des taux d’intérêt. Mais en pratique ce risque est nul: dans cette hypothèse, l’État paierait à sa banque centrale des intérêts que celle-ci lui reverserait sous forme de dividendes. On ne peut être en dette vis à vis de soi-même, la banque centrale n’étant jamais qu’un démembrement de l’État.

Cette idée est surtout dangereuse puisqu’elle reviendrait à demander à la BCE de violer le Traité d’Union européenne qui la fonde et qui fonde également l’euro. L’article 123 prohibe le financement monétaire des déficits publics pour prévenir le risque d’inflation ( en l’occurrence, il s’agirait plutôt d’hyper-inflation avec les montants en jeu ).

Une telle violation qui nécessiterait l’unanimité des pays européens serait de nature à risquer l’éclatement de l’euro qui est généralement présenté comme une zone monétaire inachevée et donc fragile ( théorie du prix Nobel Robert Mundell).

A diviser la zone euro déjà suffisamment divisée par ses divergences de performances.
Cette idée pourrait à la rigueur avoir un sens à l’échelle mondiale, mais jetterait la suspicion sur l’euro à l’échelle continentale. Elle pourrait entraîner la fuite des investisseurs privés apeurés par le signal d’annulation de dette. Une hausse inopportune des taux d’intérêt s’en suivrait et rendrait plus difficile l’atteinte de l’objectif recherché : la relance de l’investissement public.
Déjà mise à mal par une récession plus importante qu’ailleurs , une crise sanitaire également plus mal maîtrisée , la zone euro a besoin de se renforcer et de susciter la confiance. Mutualiser les dettes souveraines à l’échelle européenne oui, les annuler non !
Mais pour investir davantage , d’accord avec les 150 économistes qui ont lancé cet appel maladroit. C’est bien d’ailleurs ce que préconise la BCE.
Dr Maxime MAURY
professeur affilié à Toulouse Business School
ancien directeur régional de la Banque de France
Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap