La démocratie face à la crise sanitaire

 

« Tout d’un coup » au VIIème ou au VIème siècle, des gens se sont mis à demander « Est-ce que la loi est juste ? » et ils ont construit la démocratie là-dessus (…) D’où vient ce désir ? Je crois que c’est une possibilité de l’être humain, pas une fatalité. Ce qui serait beaucoup plus fructueux c’est de se demander où en sommes-nous aujourd’hui ? (…) combien ont réellement la volonté d’agir de façon responsable pour prendre leur sort en main ? Voilà le problème. Est-ce qu’ils ont vraiment ce désir-là, où est-ce qu’ils préfèrent continuer à ouvrir leur frigo et à regarder la télé ? ». Cornélius Castoriadis

Nous devons être exigeants vis-à-vis de la promesse démocratique.

En 2017, la question de la déchéance de nationalité avait fait débat. Deux ans après on se souvient de l’intervention de Charles de Courson à l’Assemblée nationale le 13 février 2019 sur la loi « anticasseurs » et sa disposition la plus contestée : l’interdiction administrative de manifester confiée aux préfets au détriment de l’autorité judiciaire. François Sureau en septembre dernier a fait paraître un ouvrage Sans la liberté : il y constate « une disparition de notre amour pour la liberté », dénonce une tolérance « pour les tutelles que l’État nous impose » et s’en prend aussi à la loi AVIA contre les contenus haineux sur Internet ainsi qu’à la loi anti-fake news pour des mesures adoptées qui risquent d’être liberticides.

Nous sommes aujourd’hui dans une épreuve douloureuse, individuelle et collective. Cette crise est multiforme, en particulier sanitaire, économique, sociale et sociétale. Le Gouvernement a fait voter une loi d’état d’urgence sanitaire et va légiférer par ordonnances. L’urgence, toujours! Or Il importe que les démocraties survivent à ce virus, à ses conséquences institutionnelles, économiques et sociales et cela est décisif à deux niveaux : d’une part pour les droits fondamentaux et les libertés publiques et, d’autre part, pour l’avenir du monde. Les conséquences seraient en effet mortelles pour notre civilisation et pour l’humanité si les démocraties ne démontraient pas leur capacité à surmonter cette catastrophe, et ce sans mettre en péril les droits fondamentaux. C’est de longtemps une constante des États modernes que leur mode d’action, étape après étape, resserrent les marges de liberté.

Avec cette crise nous entrons de plain-pied dans une prise de conscience accélérée de la complexité de notre monde et en avons peur – c’est ce qui s’était passé à l’époque de la République de Weimar ! -. Une complexité marquée par une multiplication quasi précipitée des interdépendances entre plusieurs dimensions de notre environnement. Or la cybernétique nous apprend que la loi de la variété est un principe qui montre le caractère indispensable de la régulation d’un système. Un système qui lui-même requiert un système de contrôle et d’organisation dont la complexité doit être égale ou supérieure à celle du système à gérer ! La cybernétique expose ainsi le moyen d’ordonnancer les échanges pour les rendre efficaces, voire de les vérifier plus efficacement. Et ce contrôle réside dans une meilleure gouvernance d’organisations plus démocratiques constituées de plus d’intelligence collective et donc de décentralisation des initiatives. La Bank of Amerika Merril Lynch n’analyse-t-elle pas que ce sont les entreprises socialement responsables qui ont le mieux résisté à la crise .

A la hâte, faute d’anticipation, les gouvernants doivent arrêter les décisions que les circonstances exigent. Or toute construction linéaire de la pensée en action est à proscrire. Des actions rapides prises par ordonnances tentent de colmater les brèches. La stratégie adoptée a été largement fonction de l’état très limité des moyens disponibles (tests, masques FFP2, aspirateurs, combinaisons intégrales, tabliers, gants charlottes, chaussons, etc.). Il faut donc les fabriquer dans la précipitation et en importer de là où les matières premières existent. Un manque de prévention des risques et de pensée du long terme abondamment souligné depuis une trentaine d’années avec la suppression du commissariat au plan, la vision court-termiste en matière d’investissements publics ou l’existence même d’un véritable vide stratégique.

Il faut alerter sur le fait que les fondements de la démocratie emportent également cette pensée du long terme et requièrent une aptitude de l’esprit à anticiper les risques. La démocratie impose une conscience du temps qui nourrit la vigilance sans laquelle elle risque de périr.

Le seul motif de « sécurité » ne doit pas altérer les droits fondamentaux, et le peuple à la face du monde doit démontrer que les démocraties peuvent s’organiser et vaincre. Dans cette affaire, il est nécessaire de distinguer les intentions, dont on ne doute pas qu’elles soient bonnes, les faits (c’est-à-dire ici les décisions prises) qu’il est nécessaire d’analyser, notamment en matière de droit social, et la communication qui est perfectible. Le Gouvernement a conscience qu’il doit mobiliser un peuple sidéré et dans l’incompréhension (peur après les attentats terroristes, épisode des Gilets Jaunes, mouvements sociaux face au projet de réforme des retraites). D’une manière générale un peuple en proie au doute qui depuis des décennies est en manque d’explications et de sens sur son histoire et son destin, exige à juste titre qu’on l’invite à la table du dialogue et de la co-construction de la société. Et si les gouvernants ne peuvent tout faire, le peuple doit, pour sa part et l’affirmant, assumer ses droits et ses devoirs.

Nous en sommes là !

 

Par Francis MASSE,
Président – MDN CONSULTANTS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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