La démocratie confinée par les ordonnances : une nécessité qui doit rester temporaire …

 

 

 

La France est confinée. Les Français se protègent en restant chez eux et l’activité économique est au ralenti voire à l’arrêt.

Face à cette nouvelle réalité, l’Etat s’adapte. Plutôt que d’utiliser des régimes d’exception existants – et sans doute suffisants, la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence – non sanitaire – ou la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles, le Gouvernement a jugé bon de créer un nouveau régime, l’état d’urgence sanitaire, par une loi du 23 mars 2020. Pour mener la « guerre », contre un ennemi minuscule mais puissant, une « bonne loi », réflexe français, permet davantage de mobiliser, politiquement et médiatiquement, les parlementaires et l’ensemble de la Nation. Et de montrer que l’Etat s’active, même avec retard.

Cette loi spéciale a même délégué au Gouvernement le soin de prendre des mesures par voie d’ordonnances pour adapter notre système juridique à la situation de crise. Le recours aux ordonnances permet effectivement au Gouvernement de légiférer à la place du Parlement. Concrètement, le Parlement délègue, par une loi d’habilitation, son pouvoir de légiférer au Gouvernement qui est donc autorisé à prendre, sur des sujets déterminés et pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du ressort parlementaire. La pratique est courante et a été utilisée par tous les Présidents sous la Ve République et encore récemment pour la révision du Code du travail et la réforme de la SNCF.

L’objectif est clair : agir vite sans s’encombrer des « contraintes » parlementaires ! Le recours aux ordonnances permet de légiférer plus rapidement qu’en passant par une loi classique. Surtout, il permet d’éviter des débats techniques et politiques au Parlement, avec la majorité et surtout l’opposition, et certaines « contraintes » parlementaires : en l’occurrence, point d’auditions, ni d’études comparatives ou autres travaux préparatoires, point d’amendements, de séances interminables de jour ou de nuit, d’explications et de compromis pour satisfaire tel parlementaire ou telle demande. Le Gouvernement, épaulé par le Secrétariat Général du Gouvernement et le Conseil d’Etat, sous le contrôle étroit de l’Elysée, peut ainsi travailler seul. En « restant chez soi ».

La crise pandémique et ses conséquences qui concernent tous les Français et tous les secteurs de notre vie (sanitaire, économique, transport, sécurité, éducatif, …) nécessitaient de prendre rapidement des mesures contraignantes, pour s’adapter et adapter notre ordonnancement juridique, allant du confinement au report des assemblées générales des sociétés commerciales.

Reconnaissons-le, pour répondre à l’urgence, le Gouvernement aurait eu bien tort de se priver des ordonnances. D’autant plus que ces mesures sont globalement acceptées par les Français, en particulier le confinement, qui nous prive d’une des plus grandes libertés, la liberté d’aller et de venir. Le Gouvernement a eu ainsi plus de facilité à décider du confinement des Français que de la fermeture des frontières…

Ainsi, outre la loi sur l’état d’urgence sanitaire, la loi sur le report des élections municipales (mais seulement le second tour), ont été adoptées plus de 25 ordonnances touchant au droit électoral, fiscal, de la santé, du travail, des sociétés, … Il a même été prévu une augmentation du temps de travail au-delà de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures, pouvant aller jusqu’à 60 heures par semaine dans certains secteurs.

Vu l’urgence, il fallait aller vite et composer avec le droit. Moyennant quoi, depuis début mars – pensons aux élections municipales, aux écoles ou aux « sorties de théâtre » -, on a surtout l’impression que nos gouvernants subissent les évènements, faute d’avoir pu les prévenir, réagissent à l’instant, sans cohérence ni transparence, sans vision stratégique à moyen ou long terme, obligeant le droit à s’adapter à la communication politique. Qui plus est, toute critique contrevient à la nécessaire unité de la Nation.

Bref, on a l’impression que durant cette « guerre », le droit et la démocratie aussi doivent être confinés…

Nécessité fait loi ! Peut-être. Mais pour combien de temps ?

 

Par Geoffroy de Vries
Avocat au Barreau de Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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