La 5G, particulièrement en France, est au centre de débats animés : accusée de tous les maux par certains, promue sans discernement par d’autres, considérée comme le Graal face aux enjeux du monde en devenir ou comme une aberration sanitaire et environnementale… Pas ou peu de paroles pour offrir, au lieu d’un dialogue de sourds, une vision modérée et à 360° du sujet.
Chaque argument porté par les parties en présence mérite pourtant que l’on s’y attarde, tout comme il convient de mettre en lumière la dimension géopolitique des enjeux du déploiement de la 5G.
La première interrogation, également source d’inquiétude, touche à l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé de nos concitoyens.
Certes, les ondes électromagnétiques qui émanent des réseaux mobiles ne sont pas ionisantes et à ce titre ne peuvent être assimilées à des rayons X ou gamma, dont la dangerosité pour l’être humain a été démontrée. Pour autant, nous sommes depuis la fin du XIXème siècle toujours plus soumis à une forme de pollution électromagnétique.
Tout commence par l’extraordinaire bataille technologique entre Edison et Tesla, ce dernier finissant après maints rebondissements, par démontrer la supériorité du courant électrique alternatif pour alimenter les villes : mais qui dit courant alternatif dit ondes électromagnétiques (cf. les fameuses équations de Maxwell – le physicien pas le cafetier) et comme le note l’OMS à propos des champs électromagnétiques, « au niveau de toute prise de courant existe un champ électromagnétique de basse fréquence engendré par le courant électrique. Nous utilisons également toutes sortes de fréquences plus ou moins élevées pour la transmission d’informations, au moyen d’antennes de télévision (la TNT) et de radio (des grandes ondes à la FM) ou encore pour la liaison avec les téléphones portables. ». La Tour Eiffel représente à ce titre un des grands émetteurs d’ondes électromagnétiques.
Cette multiplication croissante de l’usage des ondes constitue donc une forme de pollution. En l’absence de réponses définitives sur les effets sanitaires de cette pollution «électromagnétique », il y a, bien sûr, des questions, mais les restreindre à la 5G serait le signe d’un manque de maitrise technique et de recul sur un sujet plus global.
Le deuxième front qui s’est levé cible les effets environnementaux du déploiement de la 5G, le tout associé à une interrogation sur le besoin avéré ou non de cette technologie pour les consommateurs. La technologie 5G étant largement moins énergivore que les précédentes générations pour chaque Méga Octets transmis, c’est le développement des usages qui risque d’accroitre in fine la consommation énergétique. Faire le procès de la 5G, outil au service de l’économie numérique, sans s’interroger sur ce qui apparait aux yeux de certains comme une fuite en avant de l’économie de consommation en général, et en particulier d’une économie numérique de plus en plus gourmande en électricité, revient à regarder le doigt du sage quand celui-ci montre la lune.
Gourmande en électricité, l’économie numérique l’est aussi en terres rares qui servent à la fabrication des équipements (dont les batteries) et qui font l’objet de violents affrontements ; terres rares qui se trouvent dans des zones où, pour permettre leur exploitation, on déplace les populations le plus souvent avec violence ; terres rares qui se cachent dans des fonds sous-marins âprement disputés… terres rares dont l’exploitation s’avère préjudiciable pour l’environnement…S’il est d’évidence indispensable de créer une véritable économie circulaire sur des métaux essentiels à notre souveraineté, il est tout autant d’évidence que nous sommes là encore très loin du compte.
Polluante, gourmande et inutile alors, la 5G, certains pointant une course à l’obsolescence programmée des technologies en place et l’explosion d’usages non essentiels, très voraces en données… Ou bénéfique et indispensable quand d’autres avancent d’extraordinaires progrès encore à l’état de promesses.
Ni l’un ni l’autre, ou un peu des deux : la France, contrairement à d’autres pays, a développé une politique volontariste en matière de fibre optique, ce qui nous permet de ne pas être dans l’urgence à utiliser des bandes de fréquences supplémentaires pour écouler le trafic croissant de données (plus il y a de fréquences, plus la capacité de débit est importante).
Mais si la Chine, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, n’ayant pas de réseaux fibres ont été précurseurs dans l’attribution des fréquences, et si, en France la fibre (et donc le wifi) permettent d’absorber la croissance pendant 18 à 24 mois supplémentaires, cela nous autorise-t-il pour autant à attendre ?
La 5G, du fait de ses spécificités techniques novatrices, est en passe de faire norme au niveau européen. Prenons l’exemple de la voiture autonome, la capacité de traitement à la milliseconde fait de la 5G une technologie de facto incontournable. Personne n’a envie de se retrouver dans une voiture ne sachant réagir face à un événement soudain. Et ce qui est vrai pour la voiture autonome le sera dans de nombreuses autres industries utilisant des équipements mobiles. Des services à forte utilité notamment environnementale comme le développement de l’électricité distribuée (résultant de la production éclatée de milliers de petits producteurs) bénéficieront également des caractéristiques de la 5G. En Chine, fin 2018, la première chirurgie cérébrale à distance au monde a ainsi été rendue possible grâce à la 5G.
Prouesse technologie ou réalité de demain ? Le refus ou même un retard du déploiement de la 5G en France constituerait un facteur certain d’affaiblissement de nos écosystèmes industriels qui ne trouveraient pas le terrain d’expérimentations et d’applications nécessaires. Des écosystèmes industriels assurément source d’emplois : il est à ce titre pour le moins étonnant que la conditionnalité de l’emploi au déploiement des technologies 5G, qui, alors même que les textes sur la régulation des télécoms imposent expressément de veiller à son développement, ait été, une fois encore, oubliée dans la décision n° 2019-1386 du 21 novembre 2019… Un risque majeur pour notre pays de ne jamais voir se développer une filière industrielle à forte valeur ajoutée.
Quant à l’obsolescence programmée des technologies mobiles existantes, il faut là encore prendre un peu de hauteur. Dans sa volonté de dominer la filière technologique, la Chine a pris une avance considérable en matière d’équipements et de déploiements, (le projet stratégique « city brain » repose sur le couple 5G/Intelligence artificielle) et a consacré des milliards à la recherche et à la construction d’usines avant même que la norme 5G ne soit définitivement établie entre les acteurs du secteur.
Ainsi, quand contrairement à la 4G qui faisaient l’objet de brevets, le caractère ouvert et gratuit de la norme 5G conduisait les américains à délaisser le champ technologique, la Chine prenait une avance telle qu’elle constitue aujourd’hui l’une des raisons principales de la guerre frontale que lui livre les Etats-Unis… Et avec des répercutions majeures aujourd’hui pour l’Europe, (mais demain pour le monde entier), cette dernière et ses opérateurs étant contraints à progressivement abandonner les équipements Huawei, l’acteur le plus avancé sur le marché. Eriksson, Nokia et Samsung qui prennent le relai se doivent d’accélérer, d’investir, de construire des usines, d’embaucher et de former… Tout cela prend du temps, alors que la crise Covid et ses conséquences opérationnelles contraignent les opérateurs à ralentir le déploiement de la 5G.
Un temps qui n’est pas perdu pour tout le monde : Donald Trump, lui-même, a invité les fonds de pension américains à prendre le contrôle des constructeurs européens, et ces mêmes constructeurs à localiser leurs centres de R&D sur le sol américain… En quelques mois, Blackrock est devenu le premier fonds de pension dans l’ensemble de la chaine de valeur des constructeurs et opérateurs européens.
Crise Covid, affrontements technologiques… Le déploiement de la 5G accusera globalement près de 2 ans de retard. La question de l’obsolescence n’est plus, véritablement, à l’ordre du jour. Nous suivons désormais une logique d’investissement traditionnel, avec ses temporalités associées. Le remplacement des équipements 4G se fera à un moment où, sur-sollicités, ils auront atteint leur limite et, remplacés dans les centres villes, ils seront déplacés dans des zones moins couvertes.
Au-delà de l‘utilisation des fréquences et de son impact, enfin, la 5G pose la question d’une technologie qui, pour assurer des services où le temps de réponse est critique, met fin à la neutralité du net.
Supercherie de l’histoire, la neutralité du Net devait permettre d’éviter la mainmise de grands oligopoles sur le web, ladite neutralité étant, depuis des années, le fanion porté haut par les mêmes qui maintenant rejettent la 5G.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Les grandes plateformes du Net, américaines et chinoises, écrasent tout et déversent des tonnes de contenus sans que personne ne puisse les freiner, ni leur imposer de contribuer aux financements des infrastructures nécessaires. Si la notion d’égal accès aux contenus par chaque citoyen doit rester socle, au regard des questions de souveraineté, elle demande à être questionnée dans ce contexte où des monstres oligopolistiques extra européens prennent toute la place en matière de contenus, dont on sait bien pour ces derniers qu’ils sont tout sauf neutres, et représentent une arme de diffusion massive de certaines cultures.
Alléger les réseaux pour leur permettre de tenir la charge, comme cela a été possible pendant la période de confinement Covid, a montré que ce sujet peut et doit être revu sous l’angle des priorités ! Et les possibilités technologiques qu’offre la 5G reposent la question de cette, si l’on peut dire, neutralité de façon encore plus vive : c’est sa remise en cause qui permet que certains acteurs soient assurés d’une garantie de temps de réponse et de débit pour des services vitaux.
En conclusion : préoccupations environnementales et question cruciale de l’emploi et des compétences, réflexion d’ensemble sur notre consommation énergétique et pollution électromagnétique, capacités industrielles et développement, renforcement de la souveraineté numérique nationale et européenne aujourd’hui totalement entre les mains des Gafam (demain des BATX ?) qui échappent à toute régulation sérieuse… autant de sujets qui, au-delà de débats franco-français devraient guider les échanges autour de la 5G dans un dialogue éclairé avec l’ensemble des parties prenantes… Car si la 5G fait l’objet d’une lutte technologique sans merci entre les USA et la Chine, l’Europe a encore quelques cartes à jouer et c’est bien son avenir, en même temps que celui de notre pays, qui se décide. Ne nous y trompons pas.
Sébastien CROZIER
Président de CFE CGC ORANGE