Joe BIDEN: America “back” again?

 

 

L’Europe face au retour d’un multilatéralisme en trompe-l’œil

Le 2 décembre 1823, le président américain James MONROE théorise l’isolationnisme, avec la volonté de tenir les États-Unis d’Amérique loin des affaires du continent européen. Si la doctrine Monroe domine à Washington jusqu’en 1917, le XXème siècle marque pour les États-Unis le passage d’un repli centenaire à un interventionnisme constant, des deux conflits mondiaux aux guerres du Golfe, en passant par la guerre de Corée et celle du Vietnam. Après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, les Américains sont qualifiés de « gendarmes du monde » du fait de leur puissance militaire omniprésente, capable d’être mobilisée sur n’importe quel théâtre d’opération.

Aujourd’hui, l’interventionnisme américain semble appartenir à l’histoire tant le slogan « America first », si cher à Donald TRUMP, a fait son nid outre-Atlantique et ce, bien avant l’arrivée au pouvoir du milliardaire new-yorkais. En effet, c’est bien le président démocrate Barack OBAMA qui a développé la stratégie militaire du « lead from Behind », laissant Nicolas SARKOZY et David CAMERON assumer en Libye, en 2011, la responsabilité de l’intervention de l’OTAN contre le régime de Mouammar KHADAFI.

C’est également Barack OBAMA qui a défini, en 2012 et 2013, la fameuse doctrine de la « ligne rouge », prévoyant des représailles contre Bachar AL-ASSAD en Syrie en cas d’utilisation d’armes chimiques contre la population. Malgré les menaces répétées et la volonté de François HOLLANDE et de David CAMERON d’intervenir militairement contre le régime syrien, le président OBAMA fait marche arrière et s’affranchit de la tradition interventionniste de son prédécesseur. Pendant 8 ans, ce retrait progressif voulu par Barack OBAMA depuis le Bureau ovale est partagé par son vice-président plutôt discret, un certain Joe BIDEN.

Ce mercredi 20 janvier 2021, Joe BIDEN sera investi, après 2 mois d’extrêmes tensions, 46ème président des États-Unis. Si cette élection a sonné comme un soulagement pour le vieux continent, le retour inconditionnel du grand allié américain est loin d’être acté, notamment en matière de défense et d’opérations extérieures.

Dans une approche purement diplomatique, l’élection de Joe BIDEN est une excellente nouvelle pour les relations entre l’Europe et les États-Unis. Après 4 années d’une présidence TRUMP, marquée par des conflits permanents à travers la « diplomatie du tweet », les Européens peuvent espérer des échanges amicaux avec l’administration BIDEN. Ce catholique d’origine irlandaise s’est déjà entretenu avec Londres, Paris, Berlin, Bruxelles et Dublin. Il a annoncé un retour rapide des États-Unis dans les Accords de Paris et dans l’Accord sur le nucléaire iranien, deux dossiers essentiels pour la sécurité globale et vivement combattus par Donald TRUMP, depuis janvier 2017.

Pour autant, si changement de doctrine il y a sur la forme, il risque d’être faible sur le fond. Depuis 4 ans, Donald TRUMP fustige régulièrement les Européens qui ne contribuent pas suffisamment au financement de l’OTAN (fixé à 2% du PIB des pays membres). En effet, les États-Unis assurent aujourd’hui 70% du financement de l’Alliance Atlantique, et il est fort probable que les exigences de la Maison Blanche ne changent pas, malgré les sourires masqués et les formules diplomatiques. De surcroît, concernant le dossier syrien qui menace directement l’Europe, Joe BIDEN a laissé entendre qu’il n’en ferait pas une des priorités de sa politique étrangère, l’État islamique étant désormais vaincu militairement en Irak et en Syrie. Là encore, le nouveau président américain prend le pli de la politique de Donald TRUMP dans une région morcelée et déstabilisée par le retrait de 1000 soldats américains du Nord-Est de la Syrie, en octobre 2019.

à L’Europe divisée entre atlantisme attentiste et continentalisme défensif

Dès l’annonce de l’élection de Joe BIDEN, les communiqués de presse et messages de félicitations sonnaient en dissonance dans le concert européen. L’approche relative aux problématiques de défense est au cœur des divisions, notamment entre Paris et Berlin, États phares de 2 visions opposées en Europe. Si Emmanuel MACRON souhaite profiter de cette transition et du retrait de Washington des affaires du monde pour affirmer « une défense européenne souveraine » moins dépendante de l’OTAN, la ministre de la Défense allemande Annegret KRAMP-KARRENBAUER a souligné que « l’Europe ne peut assurer sa sécurité, sa stabilité et sa prospérité sans les États-Unis ». De ce fait, la France, en défendant cette approche réaliste, se trouve bien seule. La plupart des puissances militaires européennes, toutes non nucléaires, hormis la Grande-Bretagne, souhaitent bénéficier du parapluie américain, comme en témoignent les achats réguliers de F-35 par la Pologne, l’Italie ou encore par les Pays-Bas.

Pour autant, dans cet archipel, la France, plus vieil allié des États-Unis, a une carte à jouer auprès de cette nouvelle administration, afin de devenir l’interlocuteur privilégié de Joe BIDEN en Europe. En effet, la traditionnelle « special relationship », qui lie le Royaume-Uni à son cousin américain, s’essouffle face aux difficultés du Brexit et aux divergences entre Boris JOHNSON et Joe BIDEN sur la question irlandaise. Il en est de même pour l’Allemagne qui perdra probablement en légitimité lors du départ d’Angela MERKEL, après les élections législatives de septembre 2021. Emmanuel MACRON a donc le champ libre pour entretenir une relation stable et privilégiée avec le nouveau président américain, tout en œuvrant « en même temps » pour une Europe plus souveraine qui défend ses intérêts. La nomination d’Anthony BLINKEN comme secrétaire d’État confirme cette opportunité. À la tête de la diplomatie américaine, ce francophone francophile, qui a grandi à Paris, portera indéniablement une attention particulière aux positions de la France.

Tom RICCIARDI

Délégué à la Jeunesse – CEPS

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