Demain, les libertés?

 

L’heure est à la sortie du confinement, un peu partout l’assignation à domicile est levée; de façon progressive certes mais elle est levée. Ceux qui l’attendaient avec impatience ont pendant près de deux mois disserter sur la vie d’après. Les gouvernants préfèrent parler de “vie avec”.
Rien ne doit plus être comme avant n’a-t-on cessé de répéter. Le productivisme a fait assez de dégâts, le consumérisme est devenu irresponsable, la nature ne peut plus supporter l’agression humaine…
La politique doit inverser ses priorités, les services publics ne doivent plus être démantelés avec une légèreté coupable qui cache mal la soumission aux considérations purement financières. L’impact climatique doit être au cœur de tout projet de relance économique.
Les citoyens et leurs représentants locaux doivent désormais être parties de la décision qui engage leur présent et leur avenir.
L’alerte sanitaire a ébranlé toutes les convictions et poussé les dirigeants à être plus perméables à toutes ces attentes.

Est-ce si sûr ?

Au Nord, le libéralisme élitaire et arrogant peut-il réduire ses abus sans prendre le risque de dépérir ? Le régime parlementaire durablement dévoyé par la règle majoritaire et le présidentialisme paralysant peut-il revenir à son essence ou se réinventer sans briser toutes les institutions calcifiées par les mauvaises habitudes politiques devenues
des normes ?

Au Sud, l’autoritarisme qui règne sur la quasi-totalité des Etats, déguisé en démocratie électorale tombera-il son masque sans tenter de nouvelles manipulations dont l’a rendu maître son long règne?
Son économie publique monoexportatrice et rentière et son commerce informel qui apaise la colère populaire peuvent-ils devenir vertueux par la force de l’incantation ?
Les choses ne sont pas aussi simples.
L’après confinement est guetté par des déviations dont on observe déjà les prémices. Toutes les politiques invoquent actuellement l’impératif sanitaire (hier c’était l’impératif sécuritaire) pour doter les gouvernants de prérogatives exorbitantes et rogner l’espace des libertés.
Les états d’urgence, les états d’exception, les règlements contraignants et autres mesures de nécessité sont adoptés ou édictés, selon la nature du régime qui détient la force de l’État et sa violence légitime et reconduits sans grand bruit.
Rien n’assure que sous une forme édulcorée ces violations consenties des fondements de la démocratie ne feront pas partie demain du tissu juridique auquel doit se soumettre le citoyen, qu’il serait plus judicieux d’appeler l’administré.

Le Patriot Act né à l’occasion du 11 septembre 2001 est toujours en vigueur, 19 ans après.
Sous d’autres cieux la crise sanitaire est vécue par les dirigeants en mal de légitimité comme une aubaine politique. Un moyen inespéré d’anéantir les “mauvais ” espoirs. Plus besoin d’avoir à interdire.
La lutte contre la propagation du virus de la maladie empêche en même temps la propagation du virus de la démocratie. Mieux l’état de sidération permet de neutraliser en silence les catalyseurs potentiels de la réaction populaire dormante.
L’absolutisme politique est en planque. Mais il n’est pas le seul, la dictature numérique aussi est à l’affût.
Elle a tout naturellement choisi son cheval de Troie : Se mettre au service des gouvernants pour les assister dans la gestion de la situation sanitaire.
La technologie numérique s’empare des données les plus intimes de la personne -momentanément jurent les responsables- pour mailler l’espace public et tisser un filet d’où ne pourra s’échapper le virus.
Mais le caractère provisoire et anonyme de l’opération ne gêne en rien, aujourd’hui, certains régimes pour développer allègrement des algorithmes de la répression à travers les caméras de surveillance, les drones de localisation, l’exploitation des données téléphoniques ou la reconnaissance faciale et de travailler à la mise en place d’un “crédit Social” pour chaque individu.
Autrement dit un permis numérique de vivre en société. Lui aussi à points.
La dictature numérique partage son aire de faction avec un autre précieux allié: le déterminisme religieux.
Le déterminisme religieux également exploite la bonne foi de la Foi pour imposer ses prêtres. La crise sanitaire serait un avertissement divin, une épreuve physique qui ne peut trouver sa solution que dans le retour dans le giron des porteurs de la bonne parole.
Ces harangueurs qui n’ont pas besoin du suffrage des hommes puisqu’ élus par Dieu et qui somment les vivants de préparer l’avenir en tuant le présent.
Ce déterminisme offre à la dictature numérique comme à l’absolutisme politique un puissant anesthésiant.
Entre la tentation de plein pouvoir de celui qui pense avoir toutes les solutions, le sentiment de domination que confère l’efficacité technologique et l’extrémisme de celui qui se réclame d’une puissance supra humaine: le Demain qui ne ressemblerait pas à Hier, ce n’est pas gagné.

 

Par Mohamed ABBOU,
Conseiller du CEPS
Ancien Ministre de la Culture & Ancien Membre du Conseil Constitutionnel de la République
d’ALGERIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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