De la crise sanitaire à la crise économique, comment relever le défi d’une société solidaire et apaisée ?

 

 

Une crise multidimensionnelle historique

Encore loin d’être derrière nous, la crise du Covid-19 devrait déjà sans conteste rester un élément marquant de notre Histoire.

Cette crise n’est pourtant pas la première à engendrer des répercussions multidimensionnelles.

Tout de même, sans abuser des sempiternels superlatifs médiatiques, il est frappant de constater qu’elle est, pour un grand nombre d’entre nous certainement, la plus grave que nous ayons eu à affronter de notre vivant ; par son intensité, son amplitude (partout sur le globe et tous les pans de la société touchés) et sa temporalité (au même moment et dans la durée). Avec, pour seules différences, les mesures prises, en temps et en heure ou en retard, par les différents gouvernements ; en ce qui nous concerne, des mesures qui n’avaient en tout cas jamais été utilisées (ou si peu) en temps de paix.

Cette crise est ainsi d’ordres multiples, impossibles à tous définir :

  • d’abord une crise sanitaire, sur laquelle il n’est nul besoin de revenir : le seul nombre de morts, en France comme ailleurs, suffira à s’en convaincre…
  • ensuite économique et financière, donc sociale. C’est celle dont les prémices se sont fait sentir depuis de nombreuses semaines, avec l’arrêt progressif d’une grande partie de l’activité économique, avec son lot de records inimaginables (CAC 40 au plus bas de son histoire) ; et dans laquelle nous allons maintenant rentrer beaucoup plus concrètement. Un premier aperçu a été donné le mardi 12 mai, avec un verdict sans appel de la Banque de France : le confinement aura coûté six points de PIB au pays. La courbe du chômage, elle, est repartie à la hausse, pour un moment.
  • enfin, bien sûr politique, symbolisée notamment par la distanciation (pas que sociale… !) de plus en plus évidente entre le Président de la République et le Premier ministre ; ou encore les récentes sécessions parlementaires dans la majorité présidentielle.

Sans recul suffisant devant ce mur infini de défis (qui engendrent tous par eux-mêmes des enjeux secondaires) auxquels nous serons sûrement confrontés pendant plusieurs années, par où commencer, donc ?

Quelques enseignements

Si tant est que nous en ayons collectivement terminé avec son analyse et le bon diagnostic, cette crise permet de tirer quelques premiers enseignements provisoires. En voici trois, particulièrement inédits :

  • D’abord, notre obsolescence programmée. En 2020, malgré l’état avancé de la science, de la technologie et de la toute-puissance numérique, il a semblé que nous (re)découvrions qu’elle ne s’appliquait pas qu’aux machines et que nous, êtres humains, étions aussi vulnérables. Si le progrès et l’expérience ont de toute évidence permis de réduire le nombre de morts par rapport à ce qu’il aurait pu être, le transhumanisme aura encore un peu de travail.
  • Autre découverte de taille, la souveraineté : pour ceux qui en doutaient encore, il semble que les États pratiquent le chacun pour soi (!) ; plus problématique, y compris au sein même de l’Union Européenne, en témoigne la récente bataille de masques, et celle demain du vaccin. Par sa dimension planétaire et profonde, le Covid sera peut-être le réveil des consciences sur une compétition entre États qui n’a jamais cessé. « We have no lasting friends, no lasting enemies, only lasting interests » disait Churchill en son temps. Citoyens du monde, patience !
  • Cette crise a également montré les limites de la tradition jacobine française. Le virus n’a certes pas touché toutes les régions, ni en même temps, ni de la même manière. Mais il semble qu’elle ait été mieux gérée dans certains endroits.

De nombreuses questions. Mais le défi d’une société solidaire et apaisée dans tout ça ?

Cette crise pose également de nombreuses questions : y aura-t-il un avant et un après ? (Qu’il soit permis d’en douter, du moins à la lumière des premiers jours de déconfinement…) ; si oui, vers quel monde souhaite-t-on aller ? Trop tôt pour le savoir, tout n’est que spéculations.

Mais c’est le défi d’une société solidaire et apaisée sur lequel il convient de s’attarder, qui entraîne immédiatement une autre question : en considérant même que nous en ayons tous les mêmes définitions, la société était-elle solidaire et apaisée ?

« Solidaire », d’une certaine manière, par le « bas » avec une somme d’initiatives locales, par le « haut », avec notre système économique et social, toujours basé sur un modèle singulier d’État providence, qui a fait la renommée de la France dans le monde, pour le meilleur et pour le pire.

« Apaisée » n’est par contre pas le premier mot qui vient à l’esprit, entre autres à la lumière de ce que nous avons vécu récemment. Prenons, pêle-mêle, ces cinq dernières années : Charlie Hebdo, Bataclan et terrasses, toutes les autres attaques terroristes islamistes qui ont suivi, loi travail El Khomri, Gilets jaunes, réforme des retraites. Une société apaisée ? Vraiment ?

Covid-19, une opportunité ?

Au contraire d’une société solidaire ou apaisée, le tissu social de la France n’a fait, ces dernières décennies, que de se déchirer, lentement et inexorablement, accentuant les antagonismes que nous connaissons aujourd’hui : les grands centres urbains contre les « territoires », comme si la « ruralité » était vulgaire ou d’un autre temps ; son corollaire : des populations mondialisées contre des populations abandonnées ; des banlieues en souffrance sur fond de tensions identitaires et communautaires, etc.

A défaut de pouvoir trouver collectivement les réponses à ces autres défis qui ne font plus l’actualité mais restent tout autant sous-jacents, gardons toutefois espoir : la gravité de cette crise du Covid-19 ne serait-elle pas de nature à tout remettre à plat ? Peut-être était-ce l’électrochoc qu’il nous fallait collectivement pour repenser ensemble notre société et l’occasion de renouer des liens qui s’étaient perdus.

Mais encore faut-il partager des valeurs et des objectifs. Avant même d’entrer dans une logique gestionnaire et se consacrer au détail des politiques publiques qui pourraient être instaurées, ne serait-ce pas le moment de (re)mettre à jour le logiciel ?

Une solidarité exprimée par le haut dans la Nation et par le bas dans la subsidiarité ?

Nation et subsidiarité semblent offrir une grille de lecture intéressante pour repenser un cadre de réflexion et d’action.

Nation : osons ce mot vulgaire et archaïque. Faisant inévitablement écho aux nationalismes exacerbés de ces 150 dernières années qui ont conduit aux tragiques catastrophes du siècle passé, la Nation a peu à peu disparu ; à l’aune notamment de la construction européenne et de cette « fin de l’histoire » qui, marquant la victoire de la démocratie et du libéralisme sur le communisme, ne pouvait se terminer qu’en une « mondialisation heureuse ».

La résultante (et le problème) est que la Nation a été abandonnée à des formations politiques extrêmes qui, étant les seules à (ab)user de ce champ lexical, ont trouvé aujourd’hui une audience, alors que l’Europe ou la mondialisation sont mises à mal. Parler aujourd’hui de « préférence nationale » semble irrémédiablement faire référence au Front national.

N’en déplaise à ses détracteurs, retrouver le logiciel de la Nation ne pourrait-il pas nous aider à relever les défis qui s’imposent à nous ? Cela ne veut pas dire « Frexit » et abandon de l’Union européenne, qui, malgré les nombreuses défaillances qu’on lui connaît, reste aujourd’hui théoriquement la seule entité capable de faire le poids sur nombre de sujets, en particulier dans la compétition qui l’oppose aux ogres chinois et américain.

Pour exprimer notre solidarité, nul besoin de maraudes ou de dons aux associations. Cela commence d’abord par nos choix, nos comportements et nos actions. Se réapproprier la Nation, permettrait donc de nous « réarmer » avec pragmatisme et réalisme :

  • Relocaliser l’appareil productif, à commencer par le rapatriement d’activités stratégiques qui avaient été externalisées au nom de « la bonne gestion des deniers publics ». L’exemple des masques est criant : le stock stratégique en 2012 atteignait 1,4 milliard de masques, et il existait même une entreprise en Bretagne qui en produisait 200 millions par an. Cette réserve stratégique, couteuse mais qui incombait pourtant au régalien, a été supprimée en 2013 sur les recommandations du SGDSN…
  • Consommer français, « quoi qu’il en coûte », en ayant conscience que les coûts de production en France seront nécessairement plus élevés (donc les prix plus chers), voilà là-aussi une certaine forme de solidarité.
  • Vœu pieux, le retour du sentiment national pour retrouver une destinée commune et canaliser l’ultra-individualisme dont nous sommes victimes ? Cette crise aura montré beaucoup de vaillance chez nos concitoyens, mais aussi tout autant d’égoïsme. Exacerbé par la déchristianisation et la disparition de la Nation, l’individualisme outrancier que nous connaissons met en exergue l’absence de conscience collective et d’un horizon qui dépasse les individus. Au fond, pourquoi les pays asiatiques s’en sortent-ils mieux que nous ? Certes, ils ont connu l’épisode de SRAS en 2003 et ont souvent utilisé des masques plus facilement que chez nous. Admettons également que leurs gouvernements ont aussi pris des mesures bien plus draconiennes et restrictives (traçage obligatoire, confinement strict etc.). Mais au-delà, il y a aussi l’acceptation des individus de former un tout. Culturel ? Sûrement, mais aussi le sentiment d’appartenir à une communauté nationale pour laquelle on est prêt à se « sacrifier », ce qui ne veut plus dire mourir au combat mais, à tout le moins, renoncer à l’hédonisme et au confort quotidiens. Le pourrions-nous ? Les résidences secondaires en Bretagne, Vendée ou dans le sud-ouest ont fait le plein ; et Le Perthus lamentablement victime de son succès le jour du déconfinement, pour faire quelques économies…

Mais, pour vivre, la Nation doit être également incarnée localement. En complémentarité, elle a donc besoin de la subsidiarité :

  • Privilégier les circuits courts et limiter les intermédiaires. Nombre de petits producteurs ont, grâce à cette crise, retrouvé quelques couleurs. Peut-être que cela va durablement changer. Les Français revoir leurs habitudes de consommation.
  • Accorder plus de liberté et de marges de manœuvre aux exécutifs locaux : les réalités de la crise et de la réponse à cette crise ont été très différentes selon les régions, départements, voire communes. Malgré les nombreuses lois de décentralisation votées depuis 37 ans, les décisions les plus importantes ne sont pas prises sur le terrain, mais retombent depuis le pouvoir central. Or, une réflexion sur la différence de résultats obtenus d’un endroit à un autre face à une épidémie ne serait-elle pas à conduire ? Les « bonnes » décisions (ouverture des écoles par exemple) ne doivent-elles pas être différentes selon le lieu où l’on se trouve et laissées à la libre appréciation des responsables au plus proche du terrain ? Les autorités locales ont justement regretté cette absence de latitude. Or, c’est cette souplesse offerte aux collectivités territoriales qui permettra in fine d’adapter les solidarités en fonction des besoins locaux.

***

Sortir tous ensemble grandis de cette crise, c’est donc trouver les solutions les plus adaptées localement, tout en ayant la réelle conscience d’appartenir à une seule et même communauté, la communauté nationale.

En somme, Nation et subsidiarité pourraient être ainsi les « deux mamelles » de la solidarité en France. Quant à l’apaisement, il ne semble pas qu’il soit pour tout de suite. Est-il seulement dans les gènes français ?

 

Par Mathieu ROBIQUET,
Responsable des Affaires Publiques
BRITISH AMERICAN TOBACCO FRANCE SAS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap