Crise du Covid : le transport aérien mondial doit s’attendre à une reprise très progressive

 

 

Les fermetures de frontières et le confinement des populations décidés par les Etats face à la pandémie ont mis à l’arrêt la majeure partie du trafic aérien de passagers depuis le mois de mars. Ainsi, les compagnies aériennes ont été obligée de réduire leur offre, de 50% à 100% selon les compagnies et les géographies, et de clouer au sol une partie de leur flotte.

Et le redémarrage du trafic s’annonce lent et très progressif, pour plusieurs raisons :

  • dans l’attente d’un vaccin ou d’un traitement, on s’attend à ce que l’offre des compagnies reprenne d’abord au niveau domestique à l’intérieur des pays, puis progressivement entre pays voisins aux conditions (et restrictions) sanitaires homogènes (niveau de circulation du virus, politique de quarantaine, etc.) avec la mise en place de « bulles » de voyages telles que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ou encore les Pays Baltes viennent d’en lancer ; et enfin, à l’international long courrier ;
  •  l’impact économique profond de la crise sanitaire aura un impact sur la demande, qu’elle soit touristique (hors rapprochement familial) ou d’affaires ;
  • concernant la clientèle affaires, les mesures de confinement auront permis d’expérimenter la visio-conférence et le télétravail massifs, ce qui pourrait durablement impacter les habitudes de travail et les déplacements professionnels.

Ainsi, le trafic mettra probablement 3 à 4 ans pour retrouver son niveau de 2019 et 10 ans pour rattraper la trajectoire de croissance pré-crise. L’ampleur du choc a déjà conduit et conduira les compagnies aériennes à prendre des décisions structurelles drastiques pour assurer leur survie.

Dans l’immédiat :

  • resserrement du réseau sur les lignes économiquement viables, abandon des autres dessertes, ajustement des capacités offertes ;
  • réduction de leur flotte, en retirant les avions les moins efficients (767, 747-400, MD-80, MD-90, A340, A380) et en décalant dans le temps la livraison des nouveaux avions, voire en annulant certaines commandes ;
  • Ajustement des effectifs en ligne avec la réduction due trafic, que ce soit au sol ou au niveau des personnels navigants ;

Par la suite :

  • réorganisation des réseaux au sein des groupes aériens, avec la reprise par des filiales low-costs des lignes les moins rentables ;
  • rapprochements stratégiques voire consolidation là où la surcapacité était déjà importante avant la crise.

Ces différents leviers seront appliqués de manière différenciée selon les acteurs (région, modèle opérationnel) et selon le soutien financier des Etats que les compagnies ont obtenus ces dernières semaines (recapitalisation, subventions, prêts garantis par les Etats, etc.). En effet, une grande partie des compagnies aériennes ont ainsi pu compter sur un soutien fort de leurs Etats pour assurer leur survie à court terme et compenser le besoin de liquidités dans un modèle où les frais fixes de fonctionnement représentent entre 40% et 60% de la base de coûts.

Dans ce contexte, le business model de certaines compagnies low-cost « hard discount », pourrait être mis à mal, dans un contexte de demande plus faible et plus rationnelle. Et la guerre des prix et des capacités qui tirait les prix vers le bas pourrait s’atténuer.
Cette baisse de trafic sur les prochaines années aura également un impact fort sur les opérateurs aéroportuaires et leur modèle opérationnel, et ce à plusieurs niveaux :

  • la baisse des besoins d’investissements dans les capacités liée à la baisse de trafic induira un ajustement des redevances aéroportuaires en conséquence ; sur ce point, et compte-tenu de la santé économique des compagnies aériennes, il est probable que les débats sur la régulation économique soient relancés avec une pression plus forte sur les aéroports ;
  • les activités « non aéronautiques » ne permettront pas d’absorber le choc, car elles restent très corrélées au trafic passagers (commerces, parkings), et les activités de diversification qui auraient pu jouer le rôle d’amortisseur (immobilier de diversification, activité fret structurée, aviation d’affaires) restent encore très marginales ;
  • la crise induira une augmentation probable des coûts de sécurité/sureté face au virus, coûts qui ne pourront pas être répercutés en totalité sur les passagers ;
  • enfin, certaines compagnies ont déjà fait savoir qu’elles privilégieraient les aéroports qui les accompagneront dans la reprise via des gestes commerciaux sur les redevances.

Les aéroports se retrouveront ainsi dans la situation d’une « triple » baisse de recettes, sous l’effet conjugué de la baisse du trafic, d’une régulation moins favorable, et d’une pression pour accompagner les compagnies aériennes par des mesures commerciales.

En tout état de cause, l’impact sera différent selon la taille et le positionnement de l’aéroport :

  • les grands hubs qui s’appuient sur un trafic international important doivent anticiper une reprise plus lente ; mais leur rôle vital dans l’économie et pour certains leurs bassins de chalandise puissants leur permettront de bien résister à moyen / long terme ;
  • les grands aéroports régionaux positionnés sur des bassins de chalandise peuplés et attractifs, et moins dépendants du trafic international, pourraient voir leur activité reprendre plus rapidement mais auront plus de difficultés à générer du trafic additionnel dans les années qui viennent ;
  • enfin, les petits aéroports régionaux ou de proximité, avec des marchés émetteurs faibles et un équilibre économique fragile avant la crise, seront les plus exposés aux arbitrages des compagnies aériennes sur le maillage de leur réseau. La viabilité économique de certains dans ce nouveau contexte n’est pas assurée.

La crise pourrait ainsi accélérer la recomposition du paysage aéroportuaire, notamment en France, avec une consolidation et une rationalisation du maillage territorial autour des grands aéroports régionaux.

Enfin, le phénomène de « Flygskam » qui s’était lancé avant la crise accentuera la pression sur les compagnies aériennes et les aéroports, certains Etats ayant déjà demandé des engagements environnementaux en contrepartie des aides. Tout ceci amènera certainement à une recomposition du secteur aérien avec des compagnies plus petites, des réseaux plus resserrés sur des niches de trafic mais potentiellement plus rentables et des groupes aéroportuaires qui limiteront leurs investissements capacitaires et pourraient être tenter de se diversifier pour une plus grande résilience. Et sans doute, pour cela, une nouvelle génération d’avions plus économiques, plus modulaires, plus écologique, qui pourrait marquer le renouveau de tout le secteur.

 

Par Bertrand Mouly-Aigrot et Guillaume Hue,
Associés chez ARCHERY STRATEGY CONSULTING

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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