OÙ EN EST L’AFRIQUE ?
Faut-il le rappeler ? L’Afrique n’est pas un pays, c’est un continent !
L’Afrique s’étend sur un territoire immense de 30,4 millions de km² sur cette planète qui en compte 510 millions, dont 70 % sont recouverts d’eau. Le territoire africain pourrait accueillir l’équivalent de la surface de tous ces pays : les États-Unis, le Mexique, la Chine, le Japon, l’Inde et une bonne partie des pays européens réunis.
Sur le plan démographique, l’Afrique comptait 100 millions d’habitants en l’an 1900. Sa population est passée à 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 et à 1,4 md en 2022, soit 18 % de la population mondiale. Selon la projection démographique intermédiaire de l’Onu, dans les années 2050, la population de l’Afrique se situera aux environs de 2,5 mds d’individus dont la moitié aura moins de 25 ans.
Le continent africain est souvent évoqué dans sa globalité, mais il est composé de 54 États qui méritent qu’un regard nuancé soit posé sur chacun d’eux. L’uniformité est impossible. En effet, la pluralité et la diversité génétique y sont plus importantes que sur n’importe quel autre continent. On y parle d’ailleurs au moins 2 000 langues différentes. Quant aux écosystèmes, ils sont composés de forêts tropicales, de chaînes de montagnes, de grands lacs, d’îles, de savanes et de déserts, sans oublier la faune importante hébergée dans des milieux naturels uniques au monde.
L’Afrique est incontestablement la région la plus riche du globe en ressources naturelles. Outre l’or, le sous-sol de l’Afrique regorge de divers métaux et d’un grand nombre de matières premières : fer, cuivre, bauxite, platine, chrome, pierres précieuses, diamant, uranium, bois, manganèse et, bien sûr, le pétrole et le gaz naturel. À l’échelle mondiale, il est estimé que l’Afrique possède 40 % des réserves d’or, 30 % des réserves de minerais et 12 % des réserves de pétrole.
Je vais tenter de disséquer ces Afriques et de globaliser les perspectives à moyen terme. Les rapports fournis par des institutions telles que la Banque mondiale et le FMI m’ont particulièrement aidée à développer le sujet.
L’Afrique compte à la fois des pays à revenu faible, à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et de la tranche supérieure, et à revenu élevé. On trouve sur le continent 22 pays fragiles ou en situation de conflit et 13 États faiblement peuplés. L’Afrique dispose d’atouts considérables pour parvenir à générer une croissance économique inclusive. À l’aube de l’effectivité de la Zlecaf, la plus grande zone de libre-échange au monde, le continent s’engage dans une voie de développement radicalement nouvelle qui, espérons-le, saura exploiter le potentiel que représentent sa population et ses ressources.
L’Onu reconnait 198 pays au monde. Pour calculer l’indice du développement humain (IDH), le PNUD se fonde sur le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation des enfants de 17 ans et plus. Le premier pays du continent africain est l’Île Maurice qui se place 63e au rang mondial, alors que Soudan du Sud coche la 191e case ! Cette disparité prouve que ces Afriques n’évoluent pas sous les mêmes cieux. L’université d’Oxford a travaillé avec l’Onu pour écrire un rapport qui divulgue le taux de pauvreté de chacune de ces 5 Afriques : Afrique de l’Est 38 %, Afrique de l’Ouest 33 %, Afrique centrale 16 %, Afrique australe 11 % et Afrique du Nord 3 %. D’où vient cette disparité ? Comment comprendre que l’Afrique ne soit pas le continent le plus riche au monde ? Ce paradoxe est d’autant plus remarquable que les pays les plus riches en ressources naturelles sont aussi les plus pauvres sur le plan économique, exception faite de quelques-uns. Citons ici quelques-uns des États les plus riches en ressources naturelles – ce qui influe sur le PIB, mais pas sur l’IDH : le Nigéria, 5e producteur de pétrole au monde (40 % du PIB) et le plus riche de ce continent, se positionne à la 123e place sur la grille de l’IDH et recense plus de 213 millions d’habitants (notons que les États-Unis d’Amérique en dénombrent 332 millions) ; la Libye dispose de réserves de pétrole évaluées à 48 mds de barils et possède la plus grande réserve de schistes bitumineux récupérables au monde, estimée à 26 milliards de barils ; le Botswana et la République démocratique du Congo détiennent les réserves de diamants les plus importantes au monde, mais se positionnent respectivement à la 110e et 175e place en termes d’IDH ; productrice de chrome, manganèse, platine, vanadium, 2e productrice d’ilménite au monde, l’Afrique du Sud se situe à la 109e place sur la grille de l’IDH ; la Namibie et le Niger sont les pays qui disposent d’un revenu annuel dont plus du quart est issu des recettes d’uranium.
Vous l’aurez compris, selon moi, le développement purement économique de l’Afrique ne constitue pas un souci fondamental au regard du potentiel d’augmentation de ces productions propices à une croissance économique prospère.
En revanche, qu’en est-il des valeurs intrinsèques de l’indépendance d’un pays qui sont directement liées à une bonne gouvernance ? Il s’agit là de l’autonomie alimentaire, de l’éducation, de la santé, des infrastructures, de l’énergie, des transports et surtout de l’industrialisation, de la transformation des matières premières.
En écrivant ces données, j’observe qu’aucun de ces pays ne se réfère à l’agriculture, pourtant aucun n’est autosuffisant sur le plan alimentaire. L’Afrique peut nourrir le continent avec des denrées produites sur place pour faire face à la forte demande et à son évolution. L’Afrique dispose de suffisamment de ressources pour passer du statut d’importateur à celui d’exportateur de denrées alimentaires. Pourtant, en 2021, l’Afrique en a importé pour 36,3 mds de dollars et cette dépendance devrait atteindre 110 mds de dollars d’ici 2025. Ce déficit pourrait être comblé, mais les investisseurs étrangers s’impliquent davantage dans l’agro-industrie, pour produire de l’huile de palme par exemple, mais pas dans le maraîchage, dans l’exploitation de légumes et de fruits exotiques, dans la plantation productive et dans la transformation des produits récoltés.
Les fondations de Rockefeller et de Bill et Melinda Gates espèrent contribuer à l’atteinte de l’objectif de prospérité de l’Afrique à travers l’agriculture, mais sans la juste distribution des terres et la volonté d’une bonne gouvernance, la partie est perdue d’avance.
Alors, où en est l’Afrique sur le plan démographique, sur ceux de l’éducation et de la santé qui sont des facteurs essentiels au développement et à l’émancipation de bon nombre de ces pays ? Dans ces domaines, les institutions internationales telles que l’Unesco ou l’AFD, pour ne citer qu’elles, s’investissent et nous révèlent des chiffres effrayants, notamment concernant l’Afrique subsaharienne qui a les taux les plus élevés d’exclusion de l’éducation. Plus d’un cinquième des enfants âgés de 6 à 11 ans n’est pas scolarisé, un tiers des enfants âgés d’environ 12 à 14 ans et près de 60 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans. 23 % des filles ne sont pas scolarisées au primaire. Si des mesures urgentes ne sont pas prises, la situation empirera certainement, car la région fait face à une demande croissante d’éducation en raison de l’augmentation constante de sa population d’âge scolaire.
Concernant l’enjeu environnemental, la pollution, le changement climatique, la déforestation, le captage de CO² et sa valeur financière, tout reste à faire. Notons l’implication des acteurs dans le bassin du Congo qui s’attellent à la valorisation de ces trésors.
En conclusion, je me permets de citer Hélène Ray, professeure d’économie : « La vraie souveraineté est la capacité à répondre aux besoins des citoyens et à contrôler les destinées. On peut avoir l’illusion de l’indépendance et édicter ses propres lois sans avoir aucune prise sur les événements : on perd alors sa souveraineté. »
Cette analyse m’a été demandée par Monsieur Tribot La Spière, directeur général du CEPS (Centre d’étude et de prospective stratégique). Elle a fait l’objet d’un débat dans « la matinale » du 20 avril 2023 entre Thomas Mélinio, directeur exécutif de l’innovation, de la stratégie et de la recherche pour l’AFD et Étienne Giros, président du CIAN.
Anne-Marie Jobin – journaliste économique
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