La France en Afrique, regard critique
Photo de Sergey Pesterev sur Unsplash

La France en Afrique, regard critique

Quelle est la situation en Afrique ? 

Nous ne parlons pas de l’Afrique, mais des Afriques. La dérive des continents est une réalité mais pas une fatalité. Aujourd’hui, la France se distingue nettement moins des autres pays occidentaux qu’à l’époque des présidents Mitterrand ou Chirac. Il est clair que nous assistons à un déclin fragmenté de l’influence et de la présence française sur le continent, illustré par  le rejet de la présence militaire au Mali, en Guinée et au Burkina Faso par les nouveaux pouvoirs militaires en place.   La part de la France dans le commerce africain est tombée de 10 à 5% en un quart de siècle. Quand l’Afrique avance, la France garde ses réflexes anciens la menant sur la voie d’un désengagement accentué. Pendant ce temps, l’appétit des acteurs internationaux pour l’Afrique augmente considérablement. Désormais courtisée par de nombreuses puissances (Chine, Russie, États-Unis, Brésil, Turquie, Inde …), l’Afrique ne souhaite plus être considérée comme une éternelle assistée par la puissance française. Le discours politique français toujours trop unilatéraliste et hostile, est vécu de manière négative et provocatrice par les dirigeants africains.

Un sentiment anti français ? 

Dans le débat politique a émergé le terme d’un sentiment « anti-français », alors qu’il s’agit en réalité d’un sentiment « anti-politique français » sur le fond et sur la forme. Le ton «paternaliste» qu’emploient les décideurs français pourrait cependant, à termes, se transformer en un sentiment « anti-français ».

Quelles sont les raisons des foyers de tensions ? 

Un désengagement français : 

Le désengagement de la France en Afrique a été illustré par la mesure symbolique de changement de politique concernant les visas sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La procédure d’attribution des visas déléguée au ministère de l’intérieur est venue bouleverser l’organisation et les priorités concernant la politique migratoire africaine. Pourtant consciente des conséquences diplomatiques qu’entraîne cette décision, Paris n’est jamais revenue sur ses positions.  C’est pourquoi la mise en place d’une stratégie pour l’Afrique se heurte à des discordances exacerbées. La France n’a pas su, intentionnellement, tirer les enseignements de ses actes et présenter une approche collaborative et respectueuse des besoins des différents pays et populations africaines.

L’obsession française pour ses valeurs démocratiques a pris le dessus sur les questions liées à la coopération culturelle et en matière d’éducation. En outre, la Francophonie est en voie de dilution. La France s’en est éloignée, conduisant nos élites à la présenter comme un passé perdu.

Au sein de plusieurs pays d’Afrique, les systèmes éducatifs français s’effondrent, laissant place à l’émergence d’autres langues. Au Sénégal par exemple, le wolof prend désormais une place importante dans le système éducatif au détriment de la langue française. Parfois perçue comme partisane des questions politiques sensibles, l’organisation Internationale de la Francophonie (OIF) fait face au manque de moyens de co-construction et sans doute d’ambition qui ne lui permette pas de se considérer telle qu’elle est : un instrument d’influence croisé, démultiplicateur de puissance. La nomination à sa tête de Louise Mushikiwabo, faiblement familière à la langue française, a contribué à faire douter de l’efficacité de cette institution et de sa feuille de route. 

Les assemblées parlementaires françaises produisent des rapports d’une qualité remarquable mais l’exécutif et les hautes instances administratives semblent bien souvent ne pas ou faiblement en tenir en compte; comme si la France avançait au coup par coup sans vision claire et privilégiant l’hyper-réactivité à l’action murie.

Comment remédier à cet état de fait ? 

  • La France doit cesser d’avoir un comportement unilatéral lorsqu’elle aborde le continent africain. Notamment, elle doit arrêter les doubles standards en matière de droits humains et de démocratie. Si le récent coup d’État au Mali et au Burkina Faso ont été unanimement condamnés, au Tchad, la prise du pouvoir des militaires après le décès du président Idriss Déby Itno n’a pas suscité le même émoi. Sans évoquer les  différents détournements constitutionnels tolérés.
  • Assimilable à une dynamique relevant de la rhétorique, le terrorisme ne doit plus être perçu comme une cause, mais plutôt comme un symptôme lié aux problèmes de gouvernance. La France doit concevoir une stratégie en tirant les enseignements des erreurs du passé, notamment en Libye.
  • Les actions qu’a menées Paris durant ces dernières années ont généré des incohérences et des incompréhensions quant à sa politique étrangère à l’égard de différents pays d’Afrique. Les ambitions de développement et de promotion des droits humains de la France ne correspondent plus aux réalités de l’Afrique. Désormais, il s’agit de créer, sous forme de coopération d’égal à égal, des partenariats ambitieux et assumés qui prennent en considération les politiques de chaque parti.
  • Repenser les liens, c’est avant tout revenir sur ce qui nous unit. En d’autres termes, le système éducatif, l’Organisation Internationale de la Francophonie et les instituts culturels doivent occuper une place importante dans les stratégies futures. Le soft power français sera accepté et accueilli si la France se donne les moyens nécessaires en vue des ambitions d’excellence en matière d’éducation et de l’urgence de rencontre des cultures sous forme de co construction.
  • Les entreprises françaises devront mener une stratégie de rupture concernant leurs images d’implantation. Il s’agira de faire émerger des partenariats avec les entreprises africaines sur la base de coopération transparente. Afin d’éviter l’hostilité, les entreprises françaises n’ont plus besoin d’être « visibles » de la même manière sur le continent. Le temps est venu de concevoir des marques « made in Africa »!
  • Plus fondamentalement, la stratégie pour l’Afrique devra se concevoir dans un premier  temps sur le territoire français. Les diasporas africaines subissent encore de grandes discriminations, c’est pourquoi, repenser le lien avec l’Afrique c’est repenser l’Afrique en France. Il est urgent de substituer la parole à l’action.

Margot Andriollo, Conseillère CEPS

 

crédit photo : Photo de Sergey Pesterev sur Unsplash

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