Comment et de quelle manière former les futures élites en Afrique ?
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 Comment et de quelle manière former les futures élites en Afrique ?

(Octobre 2023) Comment et de quelle manière former les futures élites en Afrique pour assurer une pérennité économique et sociale dans une logique de bonne gouvernance ?

Etat de la formation – forces et faiblesses

Dans le contexte de l’enseignement supérieur en Afrique, des discussions ont récemment mis en lumière plusieurs enjeux cruciaux. L’urbanisation et la diversification institutionnelle ont été identifiées comme des facteurs ayant un impact significatif sur le paysage éducatif de la région. Les conclusions encourageantes du dernier rapport du CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur) ont souligné l’engagement à renforcer la qualité de l’enseignement pour les jeunes de 18 à 25 ans.

Il est intéressant de noter que plusieurs éléments sont responsables de la solidité du système éducatif de la région. Tout d’abord, l’accent mis sur l’évaluation continue a contribué à l’amélioration de la qualité de l’enseignement. De plus, l’ouverture et l’engagement des responsables éducatifs à tous les niveaux ont favorisé des partenariats plus étroits entre les établissements africains et étrangers. Cependant, un défi majeur se manifeste sous la forme d’une omniprésence des institutions gouvernementales à travers divers mécanismes de tutelle, entravant ainsi l’autonomie du système éducatif.

Cette réflexion initiale a suscité des questionnements concernant l’émergence des grandes écoles privées en Afrique et le rôle des entreprises dans ce processus. L’exemple du Maroc a été cité comme un modèle en termes d’employabilité. Il a été justement souligné que le système éducatif a souvent formé un grand nombre de chercheurs d’emplois, mais il est impératif de former davantage de futurs employeurs. À cet égard, l’expansion des opportunités de stages professionnels pour les élèves des établissements publics est essentielle, ce qui soulève la question centrale de l’apprentissage en tant que réponse aux besoins du secteur privé. Un autre facteur expliquant les défis auxquels est confronté le système éducatif africain est la violence politique qui sévit dans de nombreuses universités de la région, comme l’a judicieusement souligné un participant.

Pour compléter cette analyse, il est important de noter que malgré plusieurs décennies d’efforts visant à accroître le taux brut de scolarisation, les évaluations du PASEC (Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs) en 2014 ont révélé des lacunes importantes dans les compétences des élèves en langue d’enseignement et en mathématiques. Plus de la moitié des élèves ne maîtrisaient pas la lecture à la fin de l’école primaire, et plus de 60 % d’entre eux ne possédaient pas de compétences mathématiques adéquates, à quelques exceptions près.

Une évaluation ultérieure en 2019 a montré une persistance du faible niveau général, bien que certaines améliorations aient été observées dans les performances en langue d’enseignement et en mathématiques dans certains pays. Cependant, il est clair qu’une crise de l’apprentissage persiste. Face à ces défis, de nombreux pays se sont engagés à placer les acteurs du système éducatif au cœur des efforts visant à améliorer l’éducation. La question de la “qualité de l’éducation” a ainsi émergé, avec plusieurs facteurs et objectifs clés, notamment la gestion du temps scolaire, le recrutement d’enseignants qualifiés, la qualité des infrastructures, l’environnement scolaire, l’accès à l’éducation, la fluidité des parcours scolaires, les apprentissages et acquisitions, ainsi que la santé et le bien-être des élèves.

  • On constate également de grandes disparités entre systèmes éducatifs nationaux en dépit des efforts d’harmonisation de la Confemen (Conférence des ministres de l’éducation), en raison des situations de départ, de la structure démographique, des contextes culturels qui pèsent sur la scolarisation des filles, du niveau des enseignants et de leur rémunération, du niveau d’innovation pédagogique, de la disponibilité de matériel didactique de qualité et donc des masses budgétaires allouées comme de leur gestion et évaluation. 

Ainsi, le deuxième Objectif du Millénaire pour le Développement devenu Objectif pour le développement durable à l’horizon 2030 devrait être très inégalement approché ou atteint d’autant plus que la crise du Covid a grandement perturbé la mise en œuvre des stratégies même si elle a contribué à relancer les formations à distance.

Et sur les 16 pays d’Afrique ayant les plus forts taux d’achèvement de l’école primaire, seul le Togo figure avec 87 % en 2019 au titre des 14 pays francophones, anciennes colonies françaises.

  • L’Afrique reste encore la région du monde la moins avancée en termes de scolarisation dans le secondaire. Il y a vingt ans, le TBS moyen était de 48 % au 1er cycle et 22 ù au 2ème cycle malgré la progression de la couverture scolaire. A noter également des disparités dans chaque pays et entre pays. Quant au baccalauréat, le Top 10 en 2021va du Togo avec 69 % de réussite au Tchad avec 24 % contre 34 % pour le Congo.
  • S’agissant de l’enseignement supérieur public, et hormis quelques exceptions comme l’université Cheikh Anta Diop et l’ENSAE à Dakar, l’ENEAM à Cotonou, l’INSET en Côte d’Ivoire, l’ISSEA à Yaoundé et quelques grandes écoles de commerce, l’Afrique compte actuellement environ 1700 établissements pour la plupart en difficulté en raison des crises économiques, des plans d’ajustement structurel et de la fuite des cerveaux, le tout se traduisant par des diplômes souvent de faible niveau étant entendu que les bacheliers et licenciés les plus chanceux qui sont allés poursuivre leurs études en Europe, au Canada ou aux Usa ont en général un niveau bien meilleur.
  • Par ailleurs, le classement Unirank 2020 des universités africaines est dominé par les établissements anglophones et seules 6 universités subsahariennes francophones figurent dans le top 200 : deux au Sénégal, une au Burkina-Faso, une au Bénin, une au Togo et une au Cameroun. En 2021, aucune université d’Afrique francophone ne figurait parmi les dix meilleures d’Afrique.

En revanche, d’autres établissements privés comme par exemple le CERCO en informatique au Bénin qui s’est déployé dans d’autres pays et l’UCAC au Cameroun (qui relève du Saint-Siège) figurent en bonne position parmi les établissements africains.

  • A cela s’ajoutent les structures de formation professionnelle formelles ou informelles, ces dernières jouant un rôle majeur d’amortisseur social mais souvent livrées à elles-mêmes et tributaires des bailleurs de fonds internationaux.

Quels sont les grands besoins de formations identifiés pour relever les défis de demain ?

      • En fonction des défis de demain, notamment le renforcement significatif du niveau d’éducation et de formation à tous les niveaux pour sortir du cycle de la pauvreté et des inégalités, pour engendrer un processus de création de revenus et d’emplois durables, et ce dans un contexte institutionnel et démocratique stable et vertueux, alors il conviendra :
      • Pour l’enseignement primaire et secondaire, de poursuivre les objectifs de la Confemen en améliorant le système de pilotage et des évaluations avec un accent fort sur la scolarisation complète des filles et la maîtrise des fondamentaux que sont écriture, lecture, calcul sans oublier une formation civique et citoyenne renforcée. C’est à ce prix que l’Afrique pourra relever sensiblement les niveaux du BEPC et du BAC si elle a le courage d’engager un processus de sélection bien maîtrisé et impartial étant entendu qu’il faut pouvoir accueillir davantage d’élèves dans des formations professionnelles.
      • Pour l’enseignement supérieur, revoir les poids respectifs des formations en sciences humaines aux débouchés incertains et scientifiques à bien cibler. L’Afrique doit se doter d’une stratégie de promotion des compétences dans les métiers liés aux nouvelles technologies : concepteurs de logiciels, programmateurs, administrateurs de réseaux, spécialistes de cybersécurité et de traitement des données et signaux, sans oublier bien entendu les champs étendus de l’intelligence artificielle. Ceci passe par une réévaluation des socles de compétences à travers des programmes renforcés notamment en matières scientifiques (maths et informatique) en médecine, biologie, en droit, économie et finances, en gestion, en planification et dans les métiers de la maintenance. De même, la E-formation devra se généraliser avec un système de validation des diplômes.
      • En particulier, les pays africains francophones devront enfin se doter de centres régionaux d’excellence avec une répartition basée sur les avantages comparatifs dans les grands domaines de connaissance d’avenir pour former les élites de demain, avec un système élargi d’alternance et d’intégration dans le tissu des entreprises, organisations et administrations africaines. Hélas, la volonté de chaque pays d’avoir son propre réseau d’universités et grandes écoles a considérablement nui à l’intégration régionale et à l’efficacité des formations.
      • Ainsi, relever les défis de demain, quels qu’ils soient, exigera une vision commune, une programmation concertée et la mise en commun de moyens avec la volonté de faire circuler les compétences et de bâtir un système de promotion professionnelle harmonisé. Cela exigera surtout des régimes politiques stables, sur la base de processus électoraux incontestés et la capacité à effectuer un saut « anthropologique » pour se débarrasser des considérations ethniques, tribales, religieuses ou régionalistes qui minent la cohésion sociale, aggravent la pauvreté et la corruption et entraînent désordre, coups d’état et guerres civiles. Une lutte efficace contre le terrorisme islamiste est à ce prix comme l’est la nécessité de freiner l’exode des cerveaux y compris de la part d’anciens étudiants qui ont raté leur retour dans le pays.

Comment conserver les élites et éviter la fuite des talents ?

        • La formation des élites commence par l’éveil dès le primaire pour se structurer au collège, se consolider au lycée et se confirmer à l’université. Il y a des élites à tous les niveaux de la pyramide sociale et des compétences et expériences c’est-à-dire qu’il faut décomplexer le système éducatif, ne pas avoir peur de la sélection et du mérite et que l’Afrique ne se laisse pas séduire par les théories fumeuses de la discrimination dite positive, en tout cas pour la bonne conscience des politiques mais pas pour l’avenir des jeunes.
        • Ceci exigera un effort particulier d’innovation pédagogique de préférence adaptée aux contextes culturels tout en préparant les jeunes à assimiler les codes internationaux, réactualiser les contenus des programmes et la formation des enseignants comme leur rémunération, des partenariats écoles-entreprises, un système d’évaluation continue et en particulier un accent sur la formation à l’expression orale, en culture générale et africaine et à la capacité de synthèse et de prévision.
        • En clair préparer les futures élites, décideurs éclairés de demain, à devenir des promoteurs de modèles comportementaux vertueux pour placer l’intérêt général au-dessus de tout et sortir l’Afrique de la spirale de médiocrité, c’est-à-dire ne pas faire de l’élitisme des passeports pour des passe droits ou pour la détention de droits exorbitants.
        • Ainsi, savoir conserver les élites formées localement ou revenues de l’étranger c’est leur faire une place dans la société à l’abri de toutes pressions ethniques ou sociales et les aider à devenir des serviteurs de l’Etat et de la nation, avec un système de rémunération adéquat et de promotion professionnelle et un système de valeurs humaines au service du pays.
        • A l’inverse, avec la fluidité du marché mondial des ressources humaines, les élites maltraitées et sans espoir de promotion et de protection iront voir ailleurs sans grand espoir de les voir revenir un jour.
        • C’est à ce prix et parce que l’exemple viendra d’en haut que les élites deviendront à tous les niveaux de l’échelle sociale des artisans d’une bonne gouvernance et de cohésion sociale.

« La force du baobab est dans ses racines. »

                                  William Benichou, Conseiller diplomatique – CEPS

 

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Crédit photo : Photo de bruce mars sur Unsplash

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