Qu’est-ce qu’une femme africaine pourrait apprendre à une femme européenne et réciproquement et qu’est-ce qu’un pêcheur sénégalais pourrait apporter à un pêcheur français ? La singularité pour Ramatoulaye Diallo vient de la diversité et de la profusion de cultures ancestrales ainsi qu’à l’appartenance géographique car il n’y a pas une Afrique mais des Afriques pour ne prendre que l’exemple de la protection de la santé maternelle et infantile. Elle a cité également l’exemple des pêcheurs sénégalais qui savent, contrairement aux pêcheurs bretons, aller en mer sans GPS, ce qui pose la question de l’entrée nécessaire dans la modernité sans lâcher les traditions. Pour Ludovic Emanuely, ce qui est singulier ce sont à la fois le caractère très pragmatique de la femme africaine par rapport à la femme occidentale et les valeurs profondes de la vie, en citant l’exemple d’un puits creusé à proximité du village pour faciliter le lavage du linge pour ne plus avoir à parcourir 3 kilomètres, ouvrage détruit ensuite car il avait en fait cassé une dynamique de communication sociale entre les femmes le long de leur déplacement…
En effet, eu égard au rôle multiple de la femme africaine dans la société, l’innovation se situe à tous les niveaux de l’activité économique et s’exprime à travers une multitude de procédés, améliorations, trouvailles, réflexes, adaptations et disons-le souvent grâce au « système D », en tout cas d’aptitudes et d’initiatives héritées de l’éducation familiale et forgées par l’expérience de la vie.
Parmi les différents niveaux d’innovation, on peut en retenir :
- Les innovations scientifiques, technologiques, énergétiques, générant de nouveaux procédés, processus, méthodes et outils ;
- Les innovations organisationnelles, administratives et logistiques ;
- Les innovations commerciales et en communication et c’est le lieu de citer l’exemple du nouveau portable mis au point par un béninois, Alain Capo Chichi et son équipe, qui permet de communiquer dans plusieurs langues africaines. Pour autant, le problème de la difficulté d’accès à la langue anglaise est un obstacle, comme le souligne Ramatoulaye Diallo.
- Les innovations humaines, culturelles et relationnelles.
La digitalisation, la numérisation (fer de lance notamment au Kenya) et l’appétence pour les réseaux sociaux sont de plus en plus au cœur de l’ensemble des innovations pour gagner en productivité, en efficacité, en compétitivité et donc en rentabilité, grâce à des économies de temps, à la réduction des coûts, à la maîtrise énergétique et à l’amélioration de la qualité. C’est au prix d’un tel processus vertueux que les petites unités de production y compris au niveau artisanal peuvent dégager des revenus et profits suffisants et gagner en capacité d’investissement et de « bancabilité ». D’ailleurs, pour la première fois s’est tenue à Dakar la JFD, « Journée de la Femme Digitale » fondée en 2013, autour de l’inspiration, de l’expérience et du networking.
De même, pour Croissance PEACE l’innovation provenant de la femme africaine est l’un des moyens de dynamiser l’économie du continent car elle maîtrise les données et contraintes de la sociologie, des traditions et de l’écologie locale.
La mondialisation qui s’est infiltrée dans tous les continents et contrées, en particulier en Afrique, en imposant l’usage d’innovations étrangères, a certes imposé ses normes économiques, commerciales, techniques, écologiques, sociales et culturelles mais sans que cela empêche la femme africaine de tracer son chemin au milieu des obstacles et d’optimiser son activité, et ce du bas jusqu’en haut de la pyramide sociale. Continuer à générer des revenus pour subvenir aux besoins croissants de sa famille et être solidaire du deuxième voire du troisième cercle familial,dans un monde sans cesse numérisé où la jeunesse doit trouver son compte, est un formidable défi pour la femme africaine.
Bien entendu, comme dans toute société, il y a des inégalités de différentes natures, en particulier sociales et régionales et il est rassurant de constater que les progrès de la scolarisation des filles depuis les indépendances permettent à de plus en plus de jeunes africaines d’accéder à des formations professionnelles et supérieures et de jouer un rôle croissant et incontournable dans la société.
Pour autant, et même si le continent africain est le champion de l’entreprenariat africain avec 27 % des femmes qui créent leur entreprise (ce qui reste en-deçà des espoirs), force est de constater qu’il y a encore des stéréotypes négatifs et des obstacles de tous ordres à surmonter, notamment linguistiques, financiers, bureaucratiques, réglementaires, fiscaux, logistiques pour que la femme africaine, pétrie d’un bon sens inégalable et sachant gérer ses moyens au mieux de ses intérêts, puisse s’émanciper et s’imposer comme le maillon fort de la chaîne de production – transformation – commercialisation et comme vecteur de valeurs et de bonnes pratiques.
La difficulté c’est de déconstruire certaines traditions et normes sociales face à des politiques peu inclusives et au manque de formation et d’alphabétisation alors que la femme est la meilleure gestionnaire, peu encline à la corruption.
Sur le plan du financement, la microfinance a suscité beaucoup de commentaires. La difficulté d’accès à ce canal de financement vient d’une part, de la pratique de taux d’intérêt très élevés et d’autre part, pour le recouvrement, de la pratique des prêts gagés parfois sur des bijoux et autres biens familiaux.
Cette situation a suscité la création de tontines et de calebasses comme moyens de financement solidaire. Le problème n’est pas le taux mais celui de la disponibilité du crédit et constatons que les femmes remboursent mieux que les hommes.
Les taux peuvent paraître élevés, à la limite usuraire, car les organismes de microfinance en Afrique n’ont pas la possibilité de se refinancer auprès de la banque centrale comme les banques et sont dès lors obligés d’emprunter à 10 % voire davantage, tout en étant soumis à la réglementation bancaire (COBAC en Afrique centrale) ce qui n’est pas le cas au Maroc. Il reste aussi que pour espérer faire baisser les taux, les codes civils doivent être aménagés en Afrique car souvent la femme ne peut emprunter sans caution solidaire du mari.
La question de la gouvernance est importante. Il ne s’agit pas d’une question de genre car ce qui compte c’est de mettre la bonne personne à la bonne place. La femme n’est pas dans la recherche de l’accaparement de l’argent et c’est la polygamie effrénée combinée à l’engagement politique qui pousse beaucoup d’hommes à certaines pratiques.
Ce sont les femmes qui font vivre la famille. On peut regretter qu’au plan politique, les femmes ne se mettent pas suffisamment en avant et que la femme soit devenue un « objet sexuel », situation qui contribue à masquer ses compétences.
« L’idée c’est aussi de faire sauter les barrières pour les femmes, qu’elles osent, qu’elles se disent que c’est possible de travailler dans les Techs ».
On citera également au passage le programme AFD Digital Challenge dont la troisième édition a récompensé cinq entreprises mettant les innovations numériques au service des femmes africaines dans les domaines de l’éducation, du partage d’informations entre commerçants transfrontaliers ou des couveuses connectées au Cameroun.
L’Union Africaine soutient de son côté les femmes innovatrices qui utilisent la technologie pour transformer le secteur de l’éducation en Afrique.
De même la Banque Mondiale a lancé en 2018 un Fonds Régional pour les bourses d’études et l’innovation (RSIF) afin de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de femmes scientifiques en Afrique, encore sous-représentées.
Ajoutons aussi le groupe Orange qui est partenaire d’ONU Femmes dans le cadre de l’initiative « Buy From Women » au service de leur émancipation économique.
S’il y a des raisons d’espérer car partout les choses bougent, il reste que les insuffisances de la gouvernance, certaines mauvaises pratiques et l’instabilité politique doivent être traitées pour créer un environnement porteur pour les femmes africaines. C’est là aussi un autre domaine d’innovation, plus politique celui-là.
L’implication de la femme africaine dans le processus d’innovation en Afrique est un véritable défi qui nécessite une prise de conscience politique et des mesures adaptées à tous les niveaux au risque d’aggraver encore le fossé technologique et les frustrations.
William BENICHOU, Conseiller diplomatique – CEPS
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