TRAVAIL ET RETRAITES, COMMENT REBONDIR ?

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France. 

«  Les comptes en désordre sont le propre des pays qui s’abandonnent. »

( Pierre MENDES FRANCE)

————————

Que le Parlement vote prochainement une « petite » réforme des retraites (64 ans en 2030 contre 67 ans tout de suite en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie) ne sera pas un exploit même si le gouvernement pourra s’en satisfaire. Mais la réforme sera à refaire avant dix ans.

L’extraordinaire est qu’il y ait pu y avoir un débat interminable sur les retraites depuis 2019 sans que jamais la vérité ne soit dite : personne ne connaît en fait le véritable montant du déficit prévisionnel des retraites !

En effet, les chiffres du COR (-13 milliards à terme) ne sont que la pointe de l’iceberg. Il faut y ajouter les dotations budgétaires inscrites dans le budget de l’État pour les retraites non provisionnées des fonctionnaires (- 30 milliards) , soit un déficit total de – 43 milliards. S’y ajoute probablement une partie des 85 milliards de subventions (!) versés par l’État pour équilibrer les régimes et compenser les baisses de cotisation.

Le Canard Enchaîné du 1-02-2023 signalait ainsi qu’1/3 du montant des pensions n’était pas couvert par des cotisations.

On peut donc en inférer que le déficit des retraites, largement internalisé, représente une part significative du déficit de l’État, les pensions formant le quart de la dépense publique.

On aurait pu, avant même d’en débattre, donner la parole à la Cour des Comptes pour en exposer les enjeux.

Mais en France on n’aime pas les comptes parce que ça fait « comptable ». Nous Français sommes au-dessus des comptes. Puisque nous sommes, c’est bien connu, le peuple le plus « politique » du monde. Parler de comptes ne se fait pas, même à l’heure où notre dette galope dangereusement à la vitesse de 8 561 euros par seconde.

Le mauvais débat sur les retraites a été en réalité un monument de désinformation médiatique. Autour de trois mensonges à la mode de l’audimat :

  • « Inutile », alors que cette réforme est urgentissime pour la crédibilité financière de la France dont la note a été placée en « perspective négative » par Standard and Poor;
  • « Brutale », alors que la réforme est très progressive ( avec un pas de 3 mois de cotisation de plus par an );
  • « Injuste », alors que le nouvel âge légal ne s’appliquera pas aux carrières longues et que les seniors seront accompagnés par un autre texte de loi.

Jamais autant de mensonges prononcés en boucle en aussi peu de temps et avec pareille désinvolture puisqu’en réalité 40 % des Français(es) ne travailleront pas jusqu’à 64 ans. Le gouvernement a adapté son texte au maximum après une longue écoute des syndicats.

 

I) L’indispensable réforme des retraites s’est donc traduite par un « désastre cognitif » du point de vue de l’Éducation économique des Français puisque 66% y sont restés hostiles faute d’une information de qualité :

  • Désastre cognitif puisqu’il aura été impossible de dire la vérité et de rebondir sur cette réforme pour parler aux Français de la situation économique de la France marquée par l’insuffisance de l’activité, la dévalorisation du travail et les abysses de nos déficits jumeaux ( -160 milliards pour l’État et – 164 milliards pour le commerce extérieur).
  • Désastre cognitif puisque l’on n’aura jamais parlé de notre endettement qui galope en dehors des clous européens et diverge de l’Allemagne depuis 2010 avec une accélération inquiétante depuis 2019 (+ 16 % contre + 8% et , selon le FMI, le risque que notre dette publique atteigne le double de l’Allemagne en 2027).
  • Désastre cognitif enfin puisque l’on aura parlé du travail comme d’une souffrance et jamais comme d’une source d’enrichissement, d’intégration sociale et d’épanouissement humain.
  • Désastre surtout pour la démocratie avec le niveau calamiteux des débats à l’Assemblée Nationale dénués de fond, où l’insulte, la posture et la caricature ont effacé toute recherche de l’intérêt public.

Et la vérité (qui ne doit jamais être dite, sauf au CEPS) c’est qu’il faudra revenir à moyen terme sur la réforme des retraites, soit pour passer à 65-67 ans, soit pour changer de paradigme et financer les pensions en partie par l’impôt.

 

II) La France souffre bien d’un déficit de travail qui explique l’ampleur de ses déficits jumeaux :

Le gouvernement a raison de fonder sa stratégie économique sur une série de réformes visant à augmenter le taux d’emploi ( retraites, chômage, formation, apprentissage, employabilité des seniors etc…). Mais il semble avoir honte de l’expliquer et ne trouve pas de relais pour le faire.

La France est le pays qui travaille le moins en Europe avec la Suède : les salariés font 1680 heures en moyenne annuelle contre 1846 heures dans l’Union européenne.

Autrefois cet écart était en partie corrigée par la productivité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car la productivité en France est légèrement inférieure à l’Allemagne, aux États-Unis et à la plupart des pays du Nord de l’Europe.

En effet, la désindustrialisation de notre économie a mis à mal ses gains de productivité. La valeur ajoutée dans le secteur manufacturier est tombée au 1/3 de notre voisin d’Outre-Rhin et aux 80 % de l’Italie. Le poids de l’industrie est revenu à 9 % de la richesse nationale, la France faisant désormais jeu égal avec la Grèce !

Si nos taux d’emploi des jeunes et des seniors étaient équivalents à ceux de l’Allemagne, nous aurions 3,5 millions d’emplois de plus et tous nos problèmes seraient résolus.

On peut donc parfaitement financer les retraites par les cotisations et le travail et non par l’impôt, sauf à changer de paradigme. Cela suppose seulement d’augmenter l’emploi des jeunes et des seniors en les accompagnant en formation.

 

III) Une grande loi Travail pourrait-elle réconcilier les Français avec la réforme des retraites ?

Cette idée du gouvernement est une bonne idée à laquelle le C.E.P.S a contribué dans son projet de 2022. Mais quel dommage qu’elle n’ait pas été concrétisée plus tôt.

Oui, il faut mieux partager les richesses entre salaires et profits.

En 2020-2021, l’État a protégé l’économie au prix d’un endettement mirobolant qui se traduira un jour par d’ inévitables hausses d’impôt. D’où l’effort d’épargne des Français qui attendent un retour des entreprises à gros dividendes. Car ceux-ci ont explosé.

Quel dommage dans ce contexte que la majorité présidentielle n’ait pas voté la taxe exceptionnelle sur les super-dividendes proposée en son sein !

La réforme des retraites en eut été mieux acceptée.

Il faudra réconcilier demain les salariés avec le travail. Ils ont l’impression de ne pas être associés à sa définition ni au partage de ses fruits. Une grande majorité d’entre eux considèrent que le dialogue social dans l’entreprise est inefficace ( cf Les Échos Cevipof).

 

Alors rappelons-nous du général de Gaulle qui déclarait le 24 mai 1968 :

« Je veux que les salariés deviennent des sociétaires. »

Voici le menu d’options dans lequel il faudra puiser :

  • le dividende salarial ,
  • la généralisation de l’intéressement et de la participation à toutes les entreprises ,
  • la distribution gratuite d’actions dans les entreprises de plus de 100 salariés ,
  • une meilleure représentation des salariés ,
  • la reconnaissance d’un droit à l’initiative et à la créativité ,
  • et surtout l’accompagnement de l’employabilité des seniors vers les 64 ans à laquelle aspire la majorité des salariés ( cf Institut Montaigne) et qui est au fond le but principal de cette réforme qui doit se déployer sur 7 ans. Cela supposera de rétablir l’index senior et d’édicter des mesures contraignantes pour les entreprises.

Cette année la France va emprunter 270 milliards pour boucler ses fins de mois soit presque la moitié de tout l’endettement européen ( 600 milliards). Nous sommes guettés par les spreads de taux d’intérêt et le risque d’une nouvelle crise de l’euro puisque la BCE cesse progressivement de réinvestir nos titres de dettes échus.

Le « quoi qu’il en coûte » est donc bien fini. Les taux d’intérêt vont continument augmenter et souligner que nous vivons au-dessus de nos moyens. C’est un changement de paradigme.

Conseillé par ses communicants, le gouvernement semble penser que l’on ne peut pas l’expliquer aux Français.

A-t-il raison ?

Il s’isole ainsi d’une population de moins en moins éduquée et qu’on laisse en état de désinformation économique chronique. Sans perspective autre que le spectre hideux du populisme.

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap