75 ans après : Le Monde à la croisée des chemins…une nouvelle fois

 

 

Le 8 mai prochain les commémorations du 75ème anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale passeront quasiment inaperçues, occultées par la crise du Covid 19 et du dé confinement aussi progressif que problématique en Europe. L’année 2020 devait être aussi l’occasion pour la communauté internationale de célébrer le 75ème anniversaire d’Hiroshima et de la création des Nations Unies. Son secrétaire général Antonio Guterres avait lancé il y a quelques mois une grande « conversation mondiale » en vue de réfléchir à l’avenir des Nations unies et de la coopération internationale.

Alors que nous allons progressivement sortir de la première étape de la crise du Covid 19, ce retour en arrière il y a 75 ans , moment au cours duquel l’humanité a connu le pire et au meilleur, n’est pas sans intérêt. Comme le remarquait Hubert Védrine lors d’un webinaire organisé la semaine dernière par l’Institut Aspen, pour la première fois de son histoire, l’ensemble de l’Humanité est confrontée à une même menace. Menace globale, réponses nationales désordonnées, dispersées. Et derrière le cataclysme économique prévisible se profile déjà l’impact géopolitique sur un ordre mondial déjà instable et précaire. Pour certains comme Joseph Nye, il sera négligeable, pour d’autres comme Jean-Yves Le Drian, le monde de demain sera comme celui d’avant mais en pire ! Difficile aujourd’hui de placer le curseur mais assurément, comme l’affirme Richard Haass, le patron du Council on Foreign relations à New York, la pandémie va accélérer l’Histoire plutôt que la remodeler. Autrement dit, la « bataille des géants » entre les Etats-Unis et la Chine qui devait se dérouler sur les prochaines décennies va se tenir au cours des toutes prochaines années. Entre deux pays et deux dirigeants écorchés l’un par sa gestion calamiteuse de la crise et ses conséquences économiques, l’autre pour son éventuelle responsabilité de la crise et son manque de transparence. En février dernier, lors de la Conférence pour la Sécurité de Munich, alors même que les Etats-Unis se pensaient protégés du virus, le ton était déjà monté de plusieurs crans à l’encontre de la Chine.

Voulons-nous, Européens, voulez-vous, Indiens, Russes, Turques, Africains…revenir vers un monde bipolaire, donc polarisé à l’extrême, et devenir la variable d’ajustement de l’un des deux camps ? Eu égard à notre histoire, notre culture, n’avons-nous pas un rôle à jouer pour éviter cette escalade funeste et faire pression pour choisir « l’autre route », celle d’un monde multipolaire juste, stable et équilibré, respectueux des cultures et des civilisations, et animé par la promotion d’un développement raisonnable et durable ? Voulons-nous nous laisser mener à l’encontre de ce que l’Histoire du 20ème siècle nous a enseignée ?

Il y a 75 ans, le monde était à la croisée des chemins, une poignée de dirigeants visionnaires ont été capables de mettre en place un cadre de coopération international qui, bien qu’imparfait, a permis en quelques décennies de préserver paix et développement.
Alors que l’ensemble de l’humanité est confrontée à une même menace, il faut saisir ce moment unique pour développer ce sens d’appartenance commune, de responsabilité et de destin partagés, « une humanité, nombreuses cultures » . Et le faire sans compromis et sans candeur. Cela veut dire être capables tous ensemble d’ouvrir enfin cette conversation globale et nous demander ce qui nous lie au 21éme siècle, les valeurs partagées sur lesquelles nous sommes prêts à nous engager, le nouveau contrat sur lequel nous pouvons nous mettre d’accord. Et de réinventer un modèle de coopération internationale juste et efficace, notamment en cassant le verrou de la suprématie et de l’absolu monopole de représentation et décision par les Gouvernements . Chacun sait que si l’OMS avait été libre d’alerter le public et les médias, ce qui était encore en décembre dernier une épidémie locale ne serait jamais devenu une pandémie mondiale. Chacun sait que la complexité des enjeux globaux nécessite de faire appel à l’intelligence collective pour assurer leur résolution, à l’expertise et la connaissance de tous, et non pas de s’en remettre exclusivement à la promotion ou la défense des intérêts nationaux. La gouvernance de l’Internet par l’ICANN, la régulation du commerce des diamants avec le processus de Kimberley et le Fonds mondial pour le sida, la tuberculose et la malaria sont des illustrations du succès et de l’efficacité des mécanismes multi acteurs dont nous devons nous inspirer et tirer les enseignements pour repenser les mécanismes de coopération internationale adaptés.

Le choix est clair, le monde est bien à la croisée des chemins, il appartient à chacun de se mobiliser pour faire prévaloir l’esprit de la conférence de San Francisco qui a jeté les bases de l’ONU, et faire naître un nouvel internationalisme adapté aux défis des menaces globales. L’Institut pour le Dialogue des Civilisations a pris l’initiative de lancer une consultation mondiale en vue de repenser en profondeur le fonctionnement et la nature de l’ONU et de la coopération internationale https://doc-research.org/2020/04/doc-launches-survey-un-75-consultation-future-international-cooperation/ qui aboutira en octobre prochain lors de son Forum annuel de Rhodes par des propositions concrètes émanant de l’ensemble des acteurs et des pays de la communauté internationale.

 

Jean-Christophe Bas
est le CEO de Dialogue of Civilizations Institute à Berlin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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