Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Président de VIGIE Éco et Ancien directeur régional de la Banque de France.
« La politique ce sont des gens sans prévision qui conduisent des gens sans mémoire ». – Paul VALÉRY
Dans son remarquable petit livre ( « Le déclin français est-il réversible ? »), Jacques de Larosière , ancien gouverneur de la Banque de France et du FMI, estime que la France a perdu le contrôle de ses finances publiques.
En qualifiant de « très grave » notre situation financière , le nouveau Premier ministre le reconnaît : sans un budget de combat , notre déficit /PIB évoluerait vers plus de 6%, soit le double du maximum autorisé, alors que les 3 % fixés à Maastricht en 1992, sur proposition de la France, devaient n’être jamais atteints.
C’est une situation de faillite et de honte pour la France : car notre pays qui est à l’origine de l’euro n’en a jamais respecté les règles qui avaient été pourtant fixées pour ne pas le gêner ! Aucune crise ni événement extérieur n’explique cette perte de contrôle.
Dans cette chronique, nous rappelons le cadre constitutionnel du budget , nous chiffrons l’effort à accomplir et la trajectoire à suivre , nous décryptons la mauvaise polémique : « augmentation des impôts versus réduction des dépenses » en précisant au passage qui est « riche » au sens de l’INSEE.
I) Le budget se fera :
En dépit du retard pris dans la procédure , le budget se fera et nous prenons ici le pari raisonnable qu’en engageant la responsabilité de son gouvernement ( 49-3), le Premier ministre passera.
En effet, censurer le gouvernement sur le budget supposerait de réunir 289 députés, ce qui ne pourrait se faire qu’en réunissant RN et NFP. Cette union du pire est tout à fait possible, mais dans le contexte actuel notre pari est qu’elle ne se fera pas.
En effet, le RN sera très handicapé par le retentissant et concomitant procès des assistants parlementaires européens, il cherchera donc à rétablir sa respectabilité par l’abstention.
En toute dernière extrémité , le président et le gouvernement peuvent requérir l’Article 16 de la Constitution pour gouverner par ordonnances en dénonçant l’impuissance du Parlement. Le budget doit se faire puisque sans budget fonctionnaires et retraites ne peuvent être payés. Et les partenaires européens attendent des résultats lorsque les agences de notation nous guettent dés octobre où notre note sera revue.
II) Une trajectoire sous contrôle européen :
La direction du trésor estime que la stabilisation de notre endettement et son retour sous les 3 % du PIB nécessite des économies de 110 milliards d’ici 2027. Dont 40 milliards tout de suite !
Dans son livre , Jacques de Larosière évalue à 250 milliards en 10 ans la réduction des dépenses qui serait nécessaire pour revenir dans la moyenne européenne.
Nul doute que le Premier ministre qui connaît bien les instances européennes négociera une « trajectoire de 7ans » permise par le nouveau Pacte de stabilité.
Mais comme la France n’a jamais respecté l’ancien , les institutions européennes prendront le soin d’encadrer cette trajectoire par des préconisations de plus en plus pressantes.
Ainsi 110 /6 ferait un pas d’économie de 18 milliards par an (2024 étant une année perdue).
Soulignons au passage que la France vit sous le « parapluie européen », ce qui rend grotesques les commentaires qui font référence à une intervention « du FMI ». Contrairement à la Grèce , la France n’a pas de prêts au FMI.
Sur une trajectoire de faillite, la France aurait donc à faire à la BCE, à la Commission et au Conseil européens, voire au Mécanisme européen de stabilité ( MES) créé en 2012 pour remplacer en Europe le FMI.
Si cette trajectoire de faillite devait se confirmer , la tutelle de l’Europe sur la France se ferait de plus en plus pressante. Nous entrerions alors dans ce que Jean-Claude Trichet appelait jadis « une Fédération budgétaire par exception » qui voudrait qu’un pays incapable de faire face à ses engagements perdrait provisoirement sa souveraineté budgétaire.
Dans cette hypothèse , il n’y aurait pour la classe politico-médiatique et les Français qui vivent dans le déni que des mauvaises surprises.
Un seul exemple : dans tous les pays qui nous entourent , la retraite sera prochainement à 67-70 ans. Or nos retraites ne sont toujours pas financées. Pour les fonctionnaires, le déficit est de 70 milliards ( source : Cour des comptes et Jean-Pascal Beaufret).
III) Le mauvais débat « baisse des dépenses versus augmentation des impôts » masque notre inaction :
L’étude des pays en faillite qui se sont redressés ( Canada , pays scandinaves etc….) montre qu’à un certain niveau de dépense , seule la réduction massive de celle-ci est efficace. Les augmentations d’impôts tuent l’impôt ( cf Laffer). Or la France bat déjà les records de prélèvement.
C’est ce que le président de la République et son ancien ministre des finances n’ont jamais fait. Au lieu de manier l’inefficace « rabot », ils auraient dû ouvrir les grands chantiers de dépense structurelle pour remettre celle-ci à plat méthodiquement et progressivement.
Pour mémoire :
- la remise en cause des services votés comme dans les pays scandinaves ;
- les niches fiscales ;
- l’assurance-chômage à moduler dans le cycle économique ;
- la nécessaire décentralisation pour donner de l’autonomie aux établissements et réduire leurs coûts de fonctionnement ;
- le coûteux mille-feuilles territorial ;
- les frais de fonctionnement et le train de vie de l’État que dans une enquête récente l’immense majorité des Français veut réduire ( l’explosion du budget de l’Elysée et les repas dispendieux d’un ancien président de région illustrent leur colère ) ;
- l’exploitation des rapports de la Cour des comptes dont un quart est abandonné ;
- les coûts cachés d’une immigration non maîtrisé.
Dans l’urgence et comme le bateau coule, le Premier ministre sera obligé « d’écoper » en augmentant certains impôts.
Comme indiqué par Jean Pisani-Ferry, la bonne formule sera vraisemblablement :
2/3 de réduction des dépenses pour 1/3 d’augmentation d’impôt.
IV ) Qui est riche ?
On est toujours le riche de quelqu’un d’autre.
Il existe un assez large consensus pour taxer les rachats d’actions par les entreprises ainsi que les super-dividendes, c’est à dire ceux qui dépassent de beaucoup la moyenne des cinq dernières années.
Difficile d’aller plus loin lorsque la taxation des entreprises demeure plus importante que dans les autres pays européens.
Il faut enfin rappeler ce qu’est la « richesse » au sens de l’INSEE :
- un revenu par unité de consommation qui dépasse deux fois le revenu médian , soit plus de 4000 euros pour un célibataire et plus de 6000 euros pour un couple. Ce sont les 10 % les plus riches.
- un patrimoine qui dépasse deux fois le patrimoine médian ; 1% des Français possède plus de 2 millions d’euros et 5 % plus d’1 million.
Dans ces conditions , la réflexion mérite mieux que les caricatures actuelles qui relèvent des éternelles postures politiciennes.
Voici donc quelques repères :
- Rétablir l’ISF reviendrait à créer un impôt à rendement négatif en raison des fuites de capitaux. Alourdir l’imposition des patrimoines immobiliers est délicat dans le contexte de crise du logement.
- La seule certitude : les barèmes supérieurs de l’IRPP et les grosses successions seront sollicités. De fortes pressions s’exercent par ailleurs pour désindexer les retraites ou supprimer pour les retraités l’abattement de 10 %. Il faudra y résister car ce serait injuste.
Reste le problème de fond : dire enfin la vérité aux Français et leur expliquer l’effort à entreprendre. Et lancer de grands chantiers de réduction de la dépense en y associant experts et parlementaires.
Bonne chance M. le Premier ministre !