Un immense effort de courage est devant nous !

Un immense effort de courage est devant nous !

par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.

Nous ne sommes plus dans ce moment de la fondation qui a besoin d’un surcroît, mais dans celui de l’incarnation et du vécu. L’enjeu de la réforme est moins principiel que pratique. Une période tout aussi nécessiteuse en courage politique et moral. Et pourtant c’est généralement là que commence le dessaisissement politique du courage. Comment y remédier ? Comment refonder une théorie politique qui ne serait pas son instrumentation populiste ?

Cynthia Fleury [1]

 

A l’heure des choix politiques importants que sont les élections présidentielles, nous pensons que Cynthia Fleury vise juste. Nous avons un véritable problème avec l’action car nos décisions sont rarement fondées sur des certitudes.

La pandémie de coronavirus et les différents variants qui se succèdent, sans fin annoncée, aura causé la mort depuis son début de plus cinq millions de personnes dans le monde selon l’organisation mondiale de la santé (OMS)[2]. Sachant qu’environ annuellement 59 millions de personnes décèdent dans le monde, cette pandémie représente donc 4,2% des causes de décès [3].

Cette crise sanitaire constitue par conséquent une épreuve douloureuse pour beaucoup de familles. Un mort est un mort de trop ! Est-il possible d’envisager aujourd’hui au moment où la décroissance de la crise sanitaire semble se confirmer un questionnement raisonnable et de se demander pourquoi ce risque bien réel, et trop souvent avéré, a provoqué des mesures de précaution au point de créer par des les choix opérés une crise économique et sociale d’une ampleur jamais vue depuis 1929 ?

C’est que cette crise sanitaire a révélé des insuffisances, des dysfonctionnements voire des failles dans notre organisation sociale, notamment dans le système de santé publique. C’est de cela dont il faut être conscients pour déterminer des réponses non seulement courageuses mais complètes.

Cette prise de conscience nécessaire, concerne au premier chef les  classes dirigeantes, sans exonérer d’aucune manière l’ensemble des citoyens, mais encore toutes les personnes en situation de responsabilité dans leurs professions ou activités respectives.

Il faudra sans aucun doute beaucoup d’années d’analyses et de réflexions pour comprendre ce qui s’est passé à l’occasion de cette crise sanitaire inédite. Dans Les chênes qu’on abat, André Malraux relate une conversation avec le Premier ministre chinois Zou Enlaï. A sa question : « Monsieur le Premier ministre que pensez-vous de la révolution française ? » Malraux eut droit à cette réponse : « Il est encore trop tôt pour le dire ! ». La diversité des dimensions de cette crise globale, l’analyse exacte des faits va demander du temps.

De fait nous devrions nous interroger d’ores et déjà sur quelques points.

D’abord sur un simple constat : nos décisions sont prises à partir des représentations de la réalité. Par conséquent la pluralité des thèses en présence ne doivent-elles pas être mises sur la table pour débattre en toute liberté et transparence ? Selon nous, cette certitude emporte le fait que nous avons besoin d’un écosystème de connaissance développé et dynamique, ouvert et libre [4].

Dans ce cas, nous nous donnerions les moyens de rendre nos perceptions le plus près possible de la réalité. Par exemple, les origines, la date d’apparition, la vitesse de propagation, la dangerosité, la contagiosité d’un virus ont fait l’objet et font encore de nombreuses discussions scientifiques. Mais encore le choix en matière de nouvelles énergies pour produire de l’électricité font l’objet de larges et indispensables controverses. De même les options dans le domaine de l’intelligence artificielle (que nous ferions mieux de nommer « performance artificielle » car l’IA ne possède pas de conscience !) ne sont pas sans conséquence sur l’avenir d’une civilisation humaniste.

Mais l’on sait qu’Aristarque au 3ème siècle av. J-C avait déjà rejeté l’univers géocentrique au profit d’un univers héliocentrique dont le soleil était le centre et autour duquel tournaient les planètes ; c’est pourtant l’univers aristotélicien qui prédomina avec Ptolémée (140 av. J-C pendant plus de 1500 ans et selon lequel l’univers était géocentrique. Giordano Bruno, Galilée, Michel Servet, et plus près de nous Martin Luther King ou Nelson Mandela, témoignent que les combats pour sauvegarder la liberté de penser et de dire sont permanents ; les valeurs de laïcité, de démocratie et de justice, de liberté scientifique, de liberté religieuse mais encore de « société décente » s’imposent plus que jamais à l’échelle du monde.[5] Sinon c’est le refus de l’innovation et par conséquent la décroissance, la régression dans tous les domaines,

Ensuite, nous observons que malgré notre supposée rationalité économique nous avons un véritable problème avec le management par les risques. Pourquoi malgré des progrès inédits dans ce type de réflexion, la mise en œuvre effective encore trop souvent marque le pas ? Nous confondons le principe de prévention (univers certain), le principe de précaution (univers incertain) et le principe de préparation (certitude d’un imprévu).

Quels seraient les bons dispositifs pour parvenir à étoffer notre culture du risque ? Il existe des livres incontournables qui devraient prendre place sur les tables de chevet des décideurs publics ou privé [6]. Car la nature imprévisible des situations s’impose à nous. Les phénomènes d’émergence sont mal assimilés et d’une manière générale la formation des cadres dirigeants du public et du privé (sans évoquer la classe politique) est très lacunaire en ce qui concerne la pensée systémique et de la complexité.

Comment mieux doter les acteurs économiques, politiques et administratifs de cette culture de la complexité ? Voilà certainement un sujet d’envergure [7].

Par ailleurs, nous sommes confrontés à une double interpellation. Celle de Jorge Semprun : « Quels enfants pour le vingt et unième siècle ? » qui fait pendant à celle de Barry Commoner, « Quel avenir pour nos enfants ? ».  Ne devons-nous admettre humblement que nous avons perdu notre boussole pour préparer les nouvelles générations au futur. C’est l’une de nos angoisses principales ; comment rattraper nos erreurs dans l’éducation de nos enfants ? Les avons-nous formés à être prêts pour ce monde nouveau ? Quelle est le système d’éducation et d’enseignement de demain qui les préparerait le mieux à vivre leur époque ? Jacques Attali l’évoque avec force dans son dernier ouvrage[8].

Au final – si l’on peut dire – notre interrogation est de savoir comment nous allons nous mettre en ordre de marche pour influer sur notre destin. Quel serait l’écosystème de connaissance qui permettrait de réduire notre prétention à croire tout connaître et qui favoriserait la formation de l’esprit scientifique et le dialogue constant entre les chercheurs et les citoyens ? Quelle serait la bonne conduite pour accompagner les transitions et les transformations silencieuses qui, dans la durée, feront évoluer notre civilisation dans un sens souhaitable ? 

Comment retrouver le courage de l’action contre l’inertie ? Et bien nous avons une réponse dans ce qui va suivre :  il nous faut des managers stratèges en sus des indispensables gestionnaires. Il nous faut gouverner. Bonaparte nous donne un exemple de comportement adapté. Alors que le général Dugommier voulait retarder l’attaque du Petit-Gibraltar, Bonaparte gouverna. « Ce furent les notes que les comités de Paris trouvèrent au bureau de l’artillerie, sur le compte de Napoléon, qui firent jeter les yeux sur lui pour le siège de Toulon. On vient de voir que dès qu’il y parut, malgré son âge et l’infériorité de son grade, il y gouverna : ce fut le résultat naturel de l’ascendant, du savoir, de l’activité, de l’énergie, sur l’ignorance et la confusion du moment. Ce fut réellement lui qui prit Toulon (…) ». [9]

La nécessité du courage …

 

 

 

 

[1] La fin du courage, Le Livre de poche, 2011.

[2] Comptage AFP du 1er novembre 2021.

[3] https://www.planetoscope.com/mortalite/22-.html

[4] Vois notamment ma chronique https://ceps-oing.org/notesdactualites/une-politique-du-livre-participe-dun-projet-de-societe/

[5] Francis Massé, Refonder le Politique Plaidoyer pour l’ouverture de la France au monde, Deuxième édition NUVIS Collection Enjeux pour 2050, 2015.

[6] Par exemple Christian Morel Les décisions absurdes, I sociologie des erreurs radicales et persistances, II Comment les éviter, Folio essais ; II L’enfer des règles – Les pièges relationnels ; Gallimard. Ou encore Patrick Lagadec Le continent des imprévus : journal de bord des temps chaotiques ; Manitoba. Le temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique, éditions Préventique

[7] Francis Massé, L’Administration est-elle apte à gérer dans la complexité ?

[8] Jacques Attali, Faire réussir la France, avec la collaboration de Julie Martinez, Fayard 2021

[9] Napoléon fut envoyé chercher par les représentants du Gouvernement pour le général Dugommier pour le convaincre de décider d’attaquer.   Le Mémorial de Sainte Hélène ; Las Cases

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap