RÉPONSE À MADAME LAGARDE

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France. 

 

« D’où vient l’inflation ? Elle vient de nulle part » ( Christine Lagarde )

 

« Le refoulé est ce que l’on n’oublie jamais » ( Sigmund Freud)

 

 

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N’en déplaise à Madame Lagarde , l’inflation ne vient pas de nulle part. Et elle pose désormais en grand la question des inégalités et des déséquilibres de nos sociétés.

 

 

I) Le chef-économiste de la BCE a bien montré que, depuis 2022, l’inflation était venue principalement d’un accroissement anormal des marges (les 2/3), principalement dans le nord de la zone euro et d’1/3 seulement du prix de l’énergie.

 

D’ailleurs l’inflation était déjà installée en Europe ( + 5,1%) avant la guerre en Ukraine. La guerre et le Covid n’expliquent donc pas tout, même s’il existe bien un « choc d’offre » lié à la désorganisation des chaînes de production mais également au manque d’investissement jusqu’en 2020.

 

En France, on a vu exploser les super-dividendes comme l’indique le graphique annexé (source : « Alternatives économiques » et INSEE). Au point qu’une partie de la majorité présidentielle a proposé de les taxer. En vain.

Pendant ce temps le lait , le fromage et les œufs augmentaient de 25 % sur un an.

 

 

II) En réalité , l’inflation vient de beaucoup plus loin et il faut la traiter conjointement aux inégalités de patrimoines et de revenus extrêmes qui se sont nettement accrues en 20 ans en raison d’ une création monétaire excessive.

 

Depuis 2004, la base monétaire mondiale a été multipliée par 8 !

Dans son ouvrage :« Pour en finir avec l’illusion de la finance » ( Odile Jacob), Jacques de Larosière souligne que la création monétaire a été telle, depuis 20 ans, que les patrimoines ont progressé de 50 % plus vite que l’activité.

D’où des inégalités croissantes.

 

L’augmentation absolue et relative du prix de l’immobilier en a été l’expression la plus tangible. Les primo-accédants sont maintenant éjectés du marché par des prix trop chers et des conditions de crédit resserrées.

 

Ainsi comme l’écrivait Milton Friedman, « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. »

Mais il est de bon ton aujourd’hui de se référer à la Nouvelle Théorie Monétaire ( NTM) qui nie contre l’évidence le lien entre création monétaire et inflation.

Il est vrai que l’essentiel de cette création de monnaie ( les fameux QE) est revenue sous forme de dépôts des banques dans les Banques centrales. Mais pas toute ! Une partie s’est déversée sur les actifs patrimoniaux et d’abord immobiliers.

 

 

III) En décidant tardivement de réduire la taille de leurs bilans, passés de 10 % du PIB environ avant 2008 à 70 % aujourd’hui (7000 milliards pour la BCE !), et en augmentant substantiellement leurs taux d’intérêt depuis juillet 2022, les Banques centrales ont heureusement pris un nouveau cap.

 

Il se poursuivra vraisemblablement en juillet avec l’annonce d’une nouvelle diminution du montant des réinvestissements de titres de dette publique amortis.

 

Comme l’économiste Marc TOUATI, je crois que les taux longs français (10 ans) monteront vers les 4,75 % avec des spreads de 1% faisant suite à la dégradation de notre note.

 

Reste à tenir ce cap jusqu’au bout comme s’y engage le gouverneur de la Banque de France dans sa lettre annuelle au président de la République qui nous promet de ramener l’inflation à 2% en 2024-2025. Ce dont semble douter le Haut Conseil des finances publiques dans sa revue prospective qui situe plutôt la hausse des prix autour de 3% à l’avenir. Ce chiffre correspond aux anticipations des marchés.

 

En toute hypothèse, l’inflation structurelle (prix sous-jacents et salaires) est déjà dans la zone des 5-6% et résiste plus que prévu à la thérapie. Si pour l’abattre il fallait monter les taux d’intérêt beaucoup plus haut que prévu, les banquiers centraux ne s’y risqueraient probablement pas. Puisqu’une crise financière est déjà installée aux États-Unis où le mur de la dette dressé par le Congrès (« shutdown ») menace le monde d’un effondrement du dollar.

La lutte contre l’inflation ira-t-elle donc réellement à son terme ?

 

 

IV) Surgit alors LA QUESTION DES INÉGALITÉS, jamais reliée aux sujets de l’inflation et de la transition énergétique, mais pourtant connexe à tous les désordres actuels.

 

Au lieu de distribuer des superdividendes, les banques devraient être incitées par le régulateur à renforcer leurs fonds propres pour contenir les risques de crise financière. Elles participent en effet à la gestion de ce bien collectif qu’est la monnaie.

 

D’autant que les banques se sont bien servies des « subventions monétaires » en empruntant à des taux fortement négatifs durant plusieurs années à la BCE pour replacer finalement aujourd’hui à plus de 3% auprès de la même BCE.

 

De même les grandes entreprises devraient-elles distribuer moins de dividendes et investir davantage. Le « choc d’offre » qui est également l’une des causes de l’inflation est autant dû à un retard d’investissement (en cours de rattrapage depuis 2020) qu’au Covid et à la guerre en Ukraine.

Or la transition énergétique va entraîner 2-3 points d’investissement supplémentaire ! Un simple coût d’adaptation à financer ……

 

C’est dans le cadre européen qu’il faut se coordonner pour corriger à la marge par la fiscalité ces anomalies qui conduisent les grandes entreprises à distribuer trop sans investir assez.

 

En levant 600 milliards de dettes depuis 2019, l’État a sur-protégé l’économie. Aux entreprises maintenant de prendre leur part de la solidarité.

 

Dans ce contexte , Patrick ARTUS a raison d’estimer que la fiscalité devrait jouer un rôle aussi actif que la politique monétaire pour lutter contre l’inflation. En revanche, son appel à conserver des taux d’intérêt réels négatifs revient à préconiser la fuite en avant attendue par les marchés qui veulent toujours plus de drogue monétaire.

 

Il est probable que la colère contre l’indispensable réforme des retraites s’explique largement par l’incompréhension qui découle de ces anomalies. L’affichage des super-dividendes (cf graphique (1)) a beaucoup choqué l’opinion publique.

 

Si pour la présidente de la BCE l’inflation vient de « nulle part », l’inflation des actifs est pourtant bien venue de la création monétaire. Il était sans doute impossible de faire autrement. D’où le refoulé de sa propre déclaration……

 

Encore faut-il désormais en corriger les conséquences par une fiscalité adéquate plutôt que de s’enfermer dans le déni.

 

Ainsi le Conseil d’Analyse Économique auprès de la Première ministre a signalé que les inégalités de patrimoines étaient revenues au niveau le plus élevé depuis 1910. Constat qui rend d’autant plus absurde l’idée de détaxer les successions.

 

Même si la France reste après impôt le pays le plus égalitaire du monde, les inégalités de revenus extrêmes se sont aggravées.

Elles heurtent le sens commun de la solidarité sans laquelle il n’y aura pas de victoire sur l’inflation ni de transition énergétique réussie.

 

Faute de croissance, nous devrons apprendre à partager. Sinon la démocratie finira par exploser.

(1) Graphique :

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