Qu’avons-nous appris ?
Dr Maxime MAURY officier des Palmes académiques professeur affilié à Toulouse Business School ancien directeur régional de la Banque de France

Qu’avons-nous appris ?

par Maxime MauryProfesseur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

De l’immense crise que nous avons traversée, qu’avons-nous appris ?

Au printemps 2020, on parlait du « monde d’après ». Certains le voyaient meilleur, d’autres pire.

Dans cette chronique de l’été, je parlerai à la première personne pour faire partager à mes amis du CEPS ce que j’ai appris durant ces dix-huit mois.

D’abord j’ai appris qu’il fallait se garder de l’euphorie des fausses sorties de crise et que la prudence restait mère de sûreté. Nous l’avons vu dans les rebondissements de la crise sanitaire. Qui aurait pensé, en juillet 2020, qu’il y aurait deux nouveaux confinements ?

Nous aurons finalement mis 8 mois pour atteindre l’objectif fixé, le 15 octobre, par le président de la République : revenir sous le seuil des 5000 contaminations par jour. Ce chiffre correspond à la circulation épidémique permettant de se donner enfin les moyens de « tester-tracer-protéger » efficacement.

Hélas l’épidémie est repartie sur une trajectoire exponentielle qui le pulvérise à nouveau. La généralisation du vaccin et le démantèlement des chaînes de contamination sont les seules solutions de sortie de crise. La discipline et la solidarité collective en sont les moyens. Les Français en sont-ils capables ?

Et n’oublions pas que la pandémie ne s’effacera que quand tous les pays auront accès au vaccin.

J’ai compris que cette pandémie était la première grande crise environnementale, mais que d’autres suivront si nous ne changeons pas nos modes de vie. Le coronavirus est une zoonose lié au recul de la forêt et des habitats-animaux qui ont libéré un virus de la chauve-souris.

Cela nous renvoie indirectement à la crise climatique :

Parviendrons-nous à réduire de moitié les émissions de carbone d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990) comme préconisé par les Nations Unies ?

Et pouvons-nous le faire sans réduire la croissance ?

Comme 80% de l’énergie provient encore du carbone et que la croissance c’est d’abord de l’énergie, j’ai au moins appris à me poser cette question faute de trouver la bonne réponse.

Pardon, je l’ai finalement trouvée : nous devrions, nous Français, redevenir les champions de l’énergie nucléaire que nous fûmes dans le passé. Nous placer à la pointe de la recherche et de la sécurité dans la seule « énergie-zéro carbone » dont nous puissions disposer sans limites, le nucléaire. Et relancer le projet de réacteur de la quatrième génération ( dit à « neutrons rapides ») mis sur orbite par Jacques Chirac et malencontreusement abandonné en 2019.

Plaçons-nous maintenant à la mi-2022 et imaginons, comme le suggère l’OMS, que la pandémie ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Comment aura-t-on alors débranché les tuyauteries monétaire et financière qui nous ont placés sous oxygène artificiel depuis mars 2020 ?

J’ai appris que le « quoi qu’il en coûte » risquait de se transformer subrepticement en « quoi qu’il en coûtisme » dès lors que l’on ne s’arrêterait plus de distribuer des subventions avec de l’argent que l’on n’a pas tout en créant artificiellement de la monnaie. Ce sont ces addictions qui ont conduit la Révolution française à la crise des assignats…..

J’ai donc appris à me méfier de l’inflation qui pointe à nouveau son nez en Amérique et demain en Europe. A 4-5 % par an, les revenus non indexés seront rapidement laminés.

On ne sait plus très bien comment se sevrer de cette drogue budgétaire et monétaire. Cela suppose de refonder le Pacte de stabilité européen (sur des critères rénovés), mais personne ne sait comment s’y prendre. L’investissement public ne devrait plus être comptabilisé dans les déficits à l’avenir.

19 pays européens partagent la même monnaie, mais les trajectoires d’endettement ont nettement divergé depuis 2020. L’endettement varie du simple au double entre le nord et le sud de l’Europe, et nous n’avons pas de gouvernance commune. Faute de coordination, nous risquons d’être confrontés à une nouvelle crise des dettes souveraines comme en 2010-2012. Et si l’euro éclatait ? entre un euro du nord et un euro du sud ….. Alors oui nous serions ruinés.

La BCE a annoncé l’arrêt de son intervention en 2022, c’est donc en 2023 qu’il faudra absolument refonder le Pacte de stabilité européen pour maîtriser ce risque d’effondrement systémique.

Dans une chronique précédente ( cf « Pour une Fédération européenne »), j’en ai déduit la nécessité de créer une dette souveraine européenne regroupant une partie des dettes nationales et de faire émerger une fiscalité fédérale européenne orientée contre les émissions de carbone et les inégalités. Cet appel n’est pas relayé. Et pourtant nous pouvons perdre l’euro comme l’indiquait Nicolas Baverez dans une chronique récente. Tout se jouera donc en 2023.

L’achat gigantesque de titres de dettes par les banques centrales, sans doute nécessaire, a créé une bulle immobilière et boursière qui aggrave les inégalités de patrimoine et creuse l’écart entre les jeunes et les anciens.

J’ai compris que dans une même zone monétaire, la correction fiscale de cette injustice ne pouvait se faire qu’à l’échelon européen. D’où la nécessité d’une Fédération européenne centrée sur la stratégie ( quelques domaines essentiels).

Si le mur de la dette publique se dresse devant nous avec 25 points de PIB de plus qu’avant 2020, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de mur de la dette des entreprises car celles-ci ont été sur-financées depuis 2020. Les effets d’aubaine avec les aides de l’État- et les prêts garantis-, ont été tels que les niveaux de défaillances n’ont jamais été aussi bas alors que nous avons traversé la plus forte dépression de l’après-guerre.

Il reste cependant que les entreprises françaises sont deux fois plus endettées que les entreprises allemandes (et beaucoup moins nombreuses dans la catégorie intermédiaire des plus de 5000 salariés). Leurs marges sont plus faibles que dans les pays voisins.

Selon la Banque de France, 13 % d’entre elles sont menacées de faillite.

Il faut donc mobiliser 100 milliards environ sur les 140 milliards d’épargne supplémentaire constitués depuis 2020 pour renforcer les fonds propres des entreprises au travers de fonds d’épargne dédiés région par région.

C’est ce qui limitera les faillites à venir et les risques de crise financière.

Observant dans la crise sanitaire les errements et les faiblesses d’un État le plus centralisé du monde, j’ai pleinement pris conscience de la nécessité d’un vaste plan de décentralisation portant sur l’accompagnement économique et social, la formation et la santé.

J’ai découvert que l’ensemble des régions françaises avait un budget consolidé inférieur à celui de la Catalogne, de la Lombardie, ou de la Rhénanie-Westphalie. Il faut donner à nos régions de nouveaux pouvoirs. Empowerment ! Tout le monde le veut sauf les gouvernants. La France reste dirigée par 4 à 5 personnes. Cela explique la panne civique et le désintérêt pour les élections départementales et régionales.

J’ai donc compris que nous avions besoin d’une France décentralisée dans une Europe fédérale ! Pour relancer la France et l’ancrer dans la stabilité.

J’ai eu l’honneur de l’exprimer publiquement devant François Hollande à Toulouse le 6 mai ; il en était d’accord.

Tous les États fédéraux européens dépensent moins que nous. Car leur organisation est plus efficace, moins bureaucratique, plus opérationnelle.

Enfin j’ai appris que le rapport des Français au travail était bouleversé.

Alors que nous avons 3 millions de chômeurs, on ne parvient pas à pourvoir les 2,4 millions de postes demandés !

Les Français veulent-ils encore travailler ?

Ont-ils les qualifications nécessaires ?

Nos concitoyens ont pris goût au télétravail et la plupart d’entre eux ne reviendra jamais au bureau plus de deux jours par semaine. Ils y ont gagné en liberté, en autonomie et en économie de carburant. L’environnement aussi !

Mais se dessinent désormais des évolutions redoutables : devenu irréversible, le télétravail ne se mesurera plus en heures mais en productivité ; et dès lors que la présence au bureau devient secondaire, les entreprises qui recherchent de la main-d’œuvre qualifiée étendront leur aire de recrutement et accentueront la concurrence d’autant. L’immigration s’accélérera.

Notre système d’indemnisation du chômage ne tient plus. Il décourage le travail. Autant que le financement de nos retraites qui n’est plus assuré. Il faut signaler que c’est dans les pays où le taux d’activité des seniors est le plus élevé que celui des jeunes l’est également !

Il faut donc réformer pour travailler davantage. La dette française ne sera pas soutenable sans plus de travail.

Les télétravailleurs fuient les métropoles pour les villes moyennes et la campagne. Cette évolution ne fait que commencer. On ne l’arrêtera plus. Quels en seront les effets ?

Enfin, dans cette immense crise une question me reste sur le cœur :

Qui se soucie vraiment de l’avenir ? Qui se préoccupe de l’intérêt public ?

L’absence d’orientations et d’idées claires et bien documentées nourrit la panne civique. Les citoyens lucides sont écœurés par l’immobilisme et les postures de la classe politique comme par la médiocrité des médias.

Nous vivons dans la « distraction » comme l’affirmait Jacques Attali dans une récente chronique. La distraction des dangers qui nous guettent.

Comment tout cela se terminera je ne le sais pas , mais sur ce que je viens de vous écrire, comme disait Gabin : « Cela je le sais ».

 

 

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