Lumières

Lumières

par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.

Que faire ô Mélibée accablé de revers qu’une main protectrice eut fait tomber mes fers ! 

Les Bucoliques – Virgile

 

La lumière provient du soleil ; elle est constituée d’ondes électromagnétiques visibles par l’œil nu et comprises dans des longueurs d’onde entre 0,38 à 0,78 micron et provenant du soleil, première source d’énergie des écosystèmes terrestres.

Newton nous a fait comprendre que la lumière est intimement liée à la notion de couleur.

Mais la fée électricité a envahi nos nuits après que le feu prométhéen ait rempli un temps cette fonction d’éclairage bien qu’il possède encore des capacités pour le chauffage et l’énergie, le temps de trouver des solutions au risque environnemental.

Les lumières envahissent nos nuits. L’observation par satellite de notre planète montre le degré du développement économique comparé et de l’urbanisation qui l’accompagne selon les continents. La nuit noire disparaît peu à peu, si bien que les nuits étoilées ne nous apparaîtrons que partiellement dans des poches de territoires très éloignées des villes et des habitations. Nous nous souvenons de moments délicieux au centre de la France dans la cour d’une ferme, d’étoiles filantes et d’un ciel étoilé de même depuis un bateau en pleine Méditerranée dans un calme absolu ce même spectacle se dupliquant sur les vagues. Ou bien encore cette scène de lucioles à portée de la main dans une campagne italienne qui manifestait ainsi la pureté de son air.

Les trajets lumineux des avions ou des satellites manifestent l’activité aéronautique et spatiale découlant du progrès technique. Bref le côté solaire de l’Homme a conquis l’obscurité

« Les lumières de la ville » ce film très sensible et sarcastique de Charlie Chaplin de 1931, deux ans après la crise de 1929 aux États-Unis, traite notamment des inégalités sociales et du handicap. Charlot endosse le personnage d’un vagabond et l’on se souvient de la première scène. Lors d’une cérémonie officielle d’inauguration d’un monument dénommé « Paix et Prospérité » notre vagabond dormant à l’abri sous la toile se réveille dès l’enlèvement du tissu occultant l’œuvre ; il se redresse devant l’assemblée réunie, stupéfaite et sans doute vraisemblablement dérangée. S’ensuit d’autres rencontres dont une avec un milliardaire et une autre avec une jeune fleuriste aveugle et pauvre. A côté de la lumière factice des richesses, les ombres de la ville et ses contradictions.

Mais ces contrastes perdurent ; de plus en plus les hôtels arrosés de néons et leurs parcs jonchés de luminaires signalent prétentieusement leur présence aux bords des routes, des autoroutes et dans nos métropoles remplies de richesse et de pauvreté. Et même dans les chambres de moins en moins obscurcies et moins protégées de la lumière artificielle extérieure des diodes des téléphones des télévisions ou d’autres installations électriques s’imposent. Qui n’a pas une seule nuit rageusement débranché quelque appareil électrique pour reconquérir le noir ?

Ambivalence de ce rôle de la lumière nocturne. Au nom de la sécurité les autoroutes belges sont très bien éclairées la nuit pour protéger les conducteurs tandis que l’éclairage de nos rues assurent la tranquillité des quelques passants noctambules. D’ailleurs ce dernier point avait été explicitement encouragé dans un rapport Réponses à la violence en 1977.[1]

Depuis les exigences des économies d’énergie ont chamboulé ces plans, plutôt pertinents un moment, et la doctrine semble floue aujourd’hui …

En tout cas cette emprise lumineuse sur les ténèbres est bien réelle. Elle peut être effrayante : en guise de de feux d’artifice funèbres le 1er mars dernier les images de bâtiments annexes en feu de la plus grande centrale nucléaire d’Europe en Ukraine épouvantait les populations déjà bombardées par la guerre. Oui la guerre est là avec son cortège de longs trajets de lumières des missiles tueuses telles qu’elles vibraient au Koweït et en Irak.

Qui portera le flambeau de la paix telle la flamme olympique 🔥 passant de main en main selon le rituel de Pierre de Coubertin ? Qui aura cette illumination du « comment imposer la paix ? »

Avec le retour du tragique un feu luciférien ramène la tristesse et la désolation dans nos vies même si elles n’avaient pas tout à fait disparu…

Or c’est pourtant d’autres lumières dont nous avons besoin. De phares de la pensée en action ! De celles comme ces intuitions apparues par exemple au Vème siècle avant J-C, ou encore au fameux siècle des lumières ? Déjà la guerre de Trente ans en Europe dont les traces marquent encore les mentalités des États européens incorporait dans sa violence extrême ces désordres de l’esprit. En témoignent la série des 18 eaux fortes du graveur lorrain Jacques Callot 1592-1635 intitulée « Les misères et les malheurs de la guerre » (de trente ans). Cette œuvre évoque avec un réalisme confondant les ravages de cette guerre qui n’en finissait pas sur fond d’affrontements entre religions et entre puissances monarchiques.

Certes nous mettons notre espoir en l’esprit de découverte ; nous souhaitons ainsi également que la lumière de la science nous guide tout en sachant qu’elle est largement insuffisante pour damer le pion aux forces démoniaques des êtres humains, lorsque surtout elle se liquéfie dans le scientisme. De même nous négligeons le poids des acteurs humains ceux qui recherchent la vérité, la véracité des faits, et nous dédaignons en même temps les institutions qui sont des instruments importants de la vie sociale, si on ne les sacralise par refus de la liberté. Comme l’écrivait Jean Monnet dans ses mémoires : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ». 

Alexandre Soljenitsyne avait prévenu que l’Occident « allait vers son état ultime d’épuisement spirituel : le juridisme sans âme, l’humanisme rationaliste, l’abolition de la vie intérieure. » Cependant ajoutait-il « le gouffre s’ouvrira à la lumière. De petites lucioles dans la nuit vacilleront au loin il y aura des hommes qui se lèveront au nom de la vérité, de la nature, de la vie. »

La pensée de Pascal nous revient alors à l’esprit : « Loger la folie dans la raison » ! En effet il nous faut dompter sans la réfuter la part animale de l’homme. Une intention sage, car « qui veut faire l’ange fait la bête ». Et cette bête immonde qui surgit aujourd’hui au sein de l’âme russe comme elle avait surgi de bien d’autres nations est propre à terroriser et à engendrer des engrenages infernaux. Nous ne doutons pas, pour notre part, de la poursuite de l’humanité de même qu’Hélios ne cessera de conduire son quadrige aux chevaux de feu.

A la fin du film de Chaplin la jeune fleuriste recouvre la vie ! La lucidité ?

Saint Jean de Luz ; Mars 2022

 

 

[1] Alain Peyrefitte, Réponses à la violence. Rapport remis à M. le Président de la République présenté par le comité d’études sur la violence, la criminalité et la délinquance Paris, La documentation française, 1977.

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