L’intelligence des réalités et l’habileté politique

 

 

 

 

 

par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.

On gouverne un grand État comme on fait frire des petits poissons – Lao-Tseu

C’est le moment après un été parfois caniculaire de reprendre pied avec la réalité économique et sociale. Comme trop souvent nous avons eu droit à des réflexions générales sur la situation redoutablement complexe et difficile que nous affrontons. Puissions-nous dans les mois à venir nous ancrer dans la réalité avec calme et lucidité.

Cette déformation de la réalité par des représentations (idéologies, fausses croyances, a priori, angles morts, biais cognitifs, etc.) nous empêche souvent de développer notre discernement. Personne n’est à l’abri, y compris naturellement l’auteur de ces lignes, d’erreurs de jugement.

Ni les décideurs ni les organisations ne sont protégées de ces périls majeurs pour le devenir de nos sociétés. Un monde difficile mais également enthousiasmant nous attend ; affrontons-le avec lucidité, pragmatisme et ouverture d’esprit !

Or ce qui est parfois appelé « la culture du résultat » est un élément manquant, fort préjudiciable à la réussite de notre modèle économique et social.

A cette fin n’aurions-nous pas besoin aussi de davantage d’habileté politique ? Que nos lecteurs ne voient aucunement dans cette question de la prétention !

Mais enfin à côté du discernement qui est une clé majeure pour appréhender la complexité de la réalité économique et sociale et à côté de cette « culture du résultat » constituée par cette manière réaliste et pragmatique de fabriquer des solutions concrètes en allant jusqu’au bout du processus efficace et qui nous manque tant, il y faut de l’habileté.

En empruntant à la philosophie grecque de l’action et à celle de la Chine on trouvera quelque inspiration. Par exemple cette fameuse Μῆτις, Métis, l’intelligence rusée, dont fait preuve Ulysse dans l’Odyssée ou cette Voie dont parle Lao Tseu dans le 道德經 Tao Te King.

Ces grandes œuvres de sagesse prédisposent à une méditation dont les décideurs ne semblent plus faire aujourd’hui leur outil de gouvernement. Le Général de Gaulle partait régulièrement à La Boisserie et passait du temps à l’écriture et à la réflexion. Non seulement dans ses mémoires mais également dans l’exercice du pouvoir, dans ses différentes lettres ou notes adressées à différents destinataires, ministres chefs d’États collaborateurs ou interlocuteurs divers.

Tout s’effectuait dans le silence et dans une perspective de durée et non dans l’exposition médiatique et la précipitation.

Contrairement à ce qu’on lit souvent il existe un paramètre important qui demeure un invariant dans un monde qui change c’est l’Homme (individus et multitude), fondement du « stratégique ».

La multiplication de variables indéfinies qui composent notre réalité sociale dont celle du temps qui en effet semble s’accélérer, n’empêche en rien, bien au contraire de « stopper le monde » pour penser et réfléchir[1]

Ceux qui n’ont pas chevillé au corps cette détermination à penser un « futur désirable » comment peuvent-ils nous diriger et gouverner ? Comment peuvent-ils nous « délivrer » un « narratif » qui soit un tant soit peu « authentique »[2].

Nous sommes à l’heure des communicants et des sondages d’opinion où tout respire le superficiel et le systématique. Il n’y a là rien d’habile : tout y est calcul et faux-semblants.

De la gestion des accords de Minsk à la gestion des délaissés de terrain dans des collectivités territoriales sans pensée urbanistique, c’est exactement la même lacune : une incapacité visionnaire et édificatrice. Nous voulons signifier : une totale inaptitude à penser futur et global ! À anticiper les risques !

Cette vision globale de l’avenir nous échappe par sottise, par paresse intellectuelle et sans doute du fait d’intérêts bien compris favorisés par l’opacité grandissante des processus de décision et par les halos de lumières dérisoires et insignifiantes des médias. Il y a fort à parier que la poursuite de tels comportements aussi légers qu’irresponsables nous entraîne vers des engrenages dangereux.

Retrouver le discernement, la culture du résultat et de l’habileté politique ne passe pas par des chemins compliqués. « Il suffit » de formation et d’éducation, de dialogue démocratique, de science et de raison, de controverses, avec de l’écoute et du respect à l’égard de tous et de toutes les réflexions étayées.

Cela suppose du courage et de la détermination mais y-a-t-il d’autre issue ?

 

[1] Carlos Castaneda Le voyage à Ixtlan, les leçons de Don Juan

[2] Cette phrase mérite un développement. On entend par délivrer le terme anglo-saxon de delivery : livraison d’un objet ou d’une prestation ; aller jusqu’au bout ; accomplir « le dernier kilomètre ». Par narratif – le mot est à la mode et par conséquent utilisé avec abus, – est entendu au sens de récit qui veut décrire la signification profonde de l’action. Sauf qu’au stade d’une « technique » de communication le risque est grand de tirer le sens de l’action entreprise jusqu’à le déformer. D’où cette notion délicate d’authenticité. Qui peut prétendre en effet revendiquer le Vrai et l’authenticité ? Cela devrait en tout cas être un objectif à atteindre…

 

 

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