L’inflation, jusqu’où ?

L’inflation, jusqu’où ?

par Maxime MauryProfesseur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

 

« Tout se prépare pour qu’une très forte inflation se déclenche brutalement. »

(Jacques Attali, le 29-10-2021)

 

ATTALI a-t-il raison ?

L’accélération de l’inflation qui oscille entre 4 et 6 % dans les principaux pays développés nous était présentée comme « transitoire » par les institutionnels. Mais les mêmes ( FMI, BCE, OCDE) laissent supposer maintenant que cette transition pourrait durer jusqu’à la fin 2022.

On a interprété cette renaissance de l’inflation comme la conséquence de la désorganisation des chaînes de production liée à la pandémie et des pénuries qui en découlaient dans une crise où la demande reste forte puisque le pouvoir d’achat n’a jamais baissé. La production industrielle s’en trouve encore entravée en Europe.

Il y a cependant quatre raisons fondamentales qui montrent que Jacques ATTALI n’a pas nécessairement tort dans son anticipation d’une inflation à deux chiffres :

I) D’abord parce que les banques centrales ont créé partout dans le monde beaucoup de monnaie. La base monétaire a été multipliée par 7 depuis 2007 des deux côtés de l’Atlantique sous l’effet des rachats massifs de dettes publiques ( QE). Certes, la création de monnaie ne suffit pas à faire l’inflation, mais comme l’écrivait le prix Nobel d’économie Milton FRIEDMAN « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ».

En témoigne l’inflation des actifs dont l’exemple le plus net -autant qu’absurde-, est le CAC 40 qui a dépassé début novembre son record de 2000 !

À la veille d’une transition énergétique périlleuse, ça n’a aucun sens sur le plan économique.

Ce n’est rien d’autre qu’une grosse bulle d’actifs. Et la bulle immobilière (+ 7% en un an ) gonfle elle-aussi dans le sillage de la bulle boursière et d’une création monétaire débridée.

Inversement, la capitalisation boursière des banques françaises est inférieure à leurs fonds propres ce qui n’a pas davantage de sens et traduit un dérèglement du système financier malade de taux d’intérêt trop bas.

II) La seconde raison qui fait que l’inflation est peut-être durable c’est que nous entrons dans un processus continu d’augmentation du prix de l’énergie. En dehors de l’Agence Internationale de l’Energie ( « Energy Outlook », 2018), personne ne semble s’être aperçu que les champs pétroliers traditionnels ont vu leur production baisser régulièrement depuis 2008. Seul le pétrole de schistes ( ou de « roche-mère ») de mauvaise qualité, très coûteux, non rentable et désormais proscrit par de nombreux pays, a permis une augmentation précaire de la production pétrolière jusqu’en 2019.

L’exploration du pétrole est tombée quasiment à zéro dans le monde !

La production est désormais orientée à la baisse à moyen-terme alors que la demande devrait augmenter jusqu’en 2030.

Le pic du pétrole est donc franchi et nous entrons dans la seconde moitié de l’or noir, celle d’un pétrole qui sera de plus en plus cher car d’une extraction de plus en plus difficile selon la loi des rendements décroissants (formalisée jadis par la courbe en cloche du géophysicien américain HUBBERT).

Or le pétrole c’est plus du tiers de l’énergie mondiale ! Et le pétrole est présent partout autour de nous dans les objets du quotidien. Son prix oscillera, mais en augmentant tendanciellement et de manière irréversible désormais.

Toutefois le prix des renouvelables baisse nous dira-t-on. Pas sûr que ce soit durable pour les éoliennes qui sont extraites de « terres rares »; or tout ce qui est rare est ( un jour) cher ! Mais surtout les renouvelables ont le mauvais goût d’être intermittents. Et l’intermittence impose la surcapacité et le stockage coûteux de l’énergie par l’électrolyse de l’eau et le transport de l’hydrogène.

Dans ce contexte qui était parfaitement prévisible, la plus grande erreur stratégique du siècle aura été le démantèlement de notre énergie nucléaire par les dirigeants français et allemands. Il est possible de la corriger en nous replaçant à la pointe de la recherche sur la quatrième génération de réacteurs ( dits à « neutrons rapides »). C’est, pour reprendre une expression de JANCOVICI, notre « parachute ventral » dans la transition énergétique. Mais il faudra de longues années avant de parvenir à un résultat opérationnel changeant la donne énergétique.

L’énergie va donc devenir plus rare et plus chère. Ce qui aura des conséquences inflationnistes sur tous les produits issus de l’agriculture et de l’industrie. C’est un changement radical et le début d’une démondialisation des échanges. Or la relocalisation, salutaire pour le climat, sera inflationniste par nature.

III) Cependant il n’est d’inflation qu’au travers d’une augmentation cumulative des prix et des salaires, ce qui n’est pas encore le cas. Mais la baisse spectaculaire du chômage et les pénuries généralisées de main d’œuvre que l’on observe partout aujourd’hui pourraient déclencher cette spirale inflationniste qui fait dire que « L’inflation c’est comme la pâte dentifrice, une fois sortie du tube c’est difficile de l’y remettre. »

Ce sont ces pénuries de main d’œuvre, latentes avant la pandémie, mais de plus en plus prégnantes depuis, qui pourraient donner son élan à cette renaissance de l’inflation. Or ce que l’on sait déjà des conséquences de la transition énergétique c’est qu’elle dépréciera une part importante du stock de capital et entraînera une rotation accélérée des emplois avec un important chômage frictionnel favorisant l’augmentation des salaires. Une entreprise sur deux signalait en novembre des difficultés de recrutement à la Banque de France.

IV) En définitive, la prédiction d’ATTALI d’une accélération brutale de l’inflation repose sur l’observation suivante : les prix à la production augmente désormais de plus de 10 % l’an dans tous les pays développés. Le prix du fret maritime a été multiplié par 6, celui du gaz par 5, celui de l’électricité de gros par 3 et celui des denrées alimentaires a crû de 30 %. Les produits industriels exportés par la Chine de plus de 13 %.

Jusqu’à présent ce sont les marges des entreprises qui ont été comprimées. Que demain les plus gros opérateurs se décident à rompre la stabilité des prix et toute la chaîne économique suivra brutalement.

Et l’inflation à deux chiffres resurgira comme en 1974 !

La dernière enquête de la Banque de France montrait en novembre que 20 % des chefs d’entreprises pourraient augmenter prochainement leurs prix.

V) Deux évolutions peuvent cependant contrecarrer cette tendance :

  • L’annonce d’un resserrement des politiques monétaires a été faite presque partout ( États-Unis, Grande Bretagne, Norvège, Australie, Nouvelle Zélande). Un doute subsiste cependant sur les intentions de la BCE qui durcit le ton et devrait diminuer son programme principal d’achat de dettes ( PEEP) en Mars 2022, mais conserve un second programme de « quantitative easing » (APP) sous le pied. A noter que l’écart des taux long terme avec les États-Unis frise déjà les 200 points de base. Dans ce contexte, la baisse de l’euro est engagée.
  • L’accélération de la numérisation et du télétravail, stimulée par la pandémie, pourrait générer des gains de productivité venant contrer l’inflation.

Dans cette attente, force est de constater que les anticipations d’inflation à 5 ans restent sagement ancrées autour de 2 %.

Puisse la refondation du Pacte de Stabilité européen consolider cette sagesse en 2022. Et permettre à la BCE de diminuer son intervention. Mais qui s’en soucie ?

Cette refondation devient la priorité absolue après les alertes que constituent la démission récente du président de la Bundesbank ( dont le prédécesseur avait déjà démissionné !) et les attaques incessantes en Allemagne contre la présidente de la BCE surnommée « Madame inflation ». Sans omettre les interpellations de la BCE par la Cour constitutionnelle de Karlsrhue. Autant de sujets qui n’intéressent personne en France, mais qui attestent d’une forte tension politique au sein de notre monnaie unique.

 

 

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