L’espace maritime français, des choix à faire !

Espace de liberté stratégique qui permet de positionner des forces au large des côtes de tout pays, la mer est l’accès privilégié aux zones de crises pour recueillir du renseignement grâce à une permanence de recueil, démontrer sa volonté politique (cf. la politique de la canonnière), soutenir des forces à terre (Afrique occidentale, Proche-Orient ou Moyen-Orient en de multiples circonstances récentes), évacuer ses ressortissants (en 2014 en Libye ou encore, en 2015, au Yémen), projeter sa puissance vers la terre avec effet cinétique (Afghanistan entre 2001 et 2013, Libye en 2011, Irak en 2015, et Syrie en 2015)…

L’espace maritime : un champ global de convoitises où la force le dispute désormais au droit

Les réalités de notre monde globalisé incitent naturellement les puissances historiques comme les puissances émergentes à se doter des moyens de contrôler les flux, d’exploiter les ressources de la mer et du sous-sol en vue de se les approprier et d’en dénier l’accès aux autres. On observe ainsi une impressionnante montée en puissance des marines militaires, mais aussi des armées de l’air, de par le monde. Cette évolution marque une tendance à la « territorialisation de la mer », en rupture avec la logique qui prévalait jusqu’alors de « resnullius » historiquement propice aux intérêts des grandes puissances maritimes qui ont pu ainsi au travers des siècles développer leur prospérité par les échanges commerciaux sans entraves parce que sans frontières. Le terme désormais courant de « maritimisation » traduit bien les enjeux qui en découlent.

C’est au plan stratégique une des conséquences du dégel de la fin de la Guerre Froide.  L’Organisation des Nations Unies, de par la convention de Montenegro Bay signée en 1982 au plus fort de la tension, paradoxe rarement souligne, reconnait aux Etats côtiers dans une zone économique exclusive des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources. Ces droits  incluent l’exploitation du plateau continental sous jacent.

Espace de liberté stratégique qui permet de positionner des forces au large des côtes de tout pays, la mer est l’accès privilégié aux zones de crises pour recueillir du renseignement grâce à une permanence de recueil, démontrer sa volonté politique (cf. la politique de la canonnière), soutenir des forces à terre (Afrique occidentale, Proche-Orient ou Moyen-Orient en de multiples circonstances récentes), évacuer ses ressortissants (en 2014 en Libye ou encore, en 2015, au Yémen), projeter sa puissance vers la terre avec effet cinétique (Afghanistan entre 2001 et 2013, Libye en 2011, Irak en 2015, et Syrie en 2015).

Alors que le continent Antarctique est encore protégé des convoitises jusqu’au milieu du XXIe siècle par un traité de 1959, l’océan Arctique est déjà l’objet de fortes tensions. Dans de nombreux endroits, de la mer de Chine aux eaux sud-américaines, les revendications se sont déjà exprimées. Plus récemment, début 2015, c’est Daech qui publie sa stratégie expliquant comment la traversée de la Méditerranée depuis la Libye est possible afin d’attaquer l’Europe directement sur son territoire.

Un constat : la France est une grande puissance maritime mondiale qui peine à assumer son statut

L’espace maritime français, rapporté à la notion juridique de zone économique exclusive ou ZEE qui s’étend jusqu’à 200 milles nautiques de la côte, recouvre en superficie un peu plus de 11 millions de kilomètres carrés. Il se situe au deuxième rang mondial, à quasi égalité (97 %) avec les Etats-Unis d’Amérique. Il représente environ 3 % de la superficie mondiale des mers et océans, ce qui est à la fois modeste et impressionnant par rapport aux poids démographique, économique et culturel de la France dans le monde, tous largement inférieurs à 1 %.

Cet espace maritime français est en grande partie (90 %, comme pour le Royaume-Uni) situé hors de la compétence communautaire et à titre de comparaison représente deux fois la ZEE de l’UE. Il est situé sur la totalité des océans du globe et a, de ce fait, une importance politique à la mesure de son importance économique et stratégique.

On a pu dire que la croissance de la France dormait au fond des océans par la quantité et la diversité des ressources pétrolières, gazières et minières qu’elle y possède. De même, les ressources halieutiques sont aujourd’hui déficitaires de l’ordre de 1 million de tonnes par an, avec un nombre de marins embarqués, aujourd’hui 24 000, en diminution et une flotte de pêche réduite de 43 % entre 1990 et 2008. La pêche et l’aquaculture (50 % des produits consommés dans le monde) constituent à cet égard des potentialités réelles.

On peut déplorer les moyens dérisoires pour contrôler l’espace maritime national : en 2015, la marine nationale déploie en permanence sur tous les océans, dont les mers territoriales et zones économiques sous juridiction nationale une moyenne de 35 bâtiments, au moins un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), 5 aéronefs en vol : près du tiers (30 %) de cette activité est dédiée à la protection des zones sous juridiction, ce qui traduit la faiblesse des moyens et le fait que la Marine, est à la fois la force de sécurité du territoire maritime et une force d’intervention comme les autres armées. Pour un espace équivalent de 11 millions de kilomètres carrés à contrôler, l’US Coast Guard, cinquième force armée des Etats-Unis, regroupe 90 000 personnes dont 43 000 militaires, et dispose de 2 000 bateaux et de plus de 200 avions.

La marine agit avec l’aide des moyens des autres administrations – très réduits et inaptes à la haute mer – pour des missions aussi variées que le sauvetage en mer, la sécurité maritime, l’immigration clandestine, le contrôle et la police des pêches, la répression et la lutte contre les pollutions marines, la lutte contre les trafics de stupéfiants, la protection de la souveraineté et la sûreté maritime. A titre d’exemple, deux frégates de surveillance et trois patrouilleurs sont déployés pour protéger les richesses marines et sous-marines de l’ensemble du Pacifique. Cette dernière est naturellement pillée et le sera encore plus au rythme de la compétition mondiale croissante pour la maîtrise des ressources naturelles alors que les ressources terrestres se raréfient, que la population augmente avec une classe moyenne plus nombreuse et plus exigeante, et que la technologie permet d’avoir accès à des profondeurs jugées hors de portée il y a encore dix ans.

Seule l’organisation administrative retenue, qui donne de réels pouvoirs de coordination au délégué du Gouvernement (dont les préfets maritimes en métropole) permet de tirer avec une efficacité reconnue à l’étranger le meilleur parti de moyens très contraints.

Une analyse : c’est l’absence de vision stratégique qui conduit dans le mur

Le cas particulier de la Chine dans son ambition de puissance maritime est à prendre en compte.

Les dirigeants chinois ont clairement affiché leur ambition maritime. Ils partent du constat que leur pays, au plan géostratégique, a toujours commercé par la mer et que malgré leurs 18 000 kilomètres de côtes ils ne possèdent que 880 000 kilomètres carrés de ZEE en propre alors qu’environ 3,5 millions de kilomètres carrés de mer de Chine méridionale pourraient leur revenir par la force. En raison du partage des eaux avec les pays voisins, la Chine n’a pu étendre sa ZEE à 200 milles nautiques, ce qui lui donne le sentiment compréhensible de ne pas avoir de profondeur stratégique.

L’agenda est clair : (1) contrôler la mer de Chine, (2) accroître sa présence en océan Indien – ce qui est déjà une réalité avec la permanence de flotte de surface chinoise depuis cinq ans et des patrouilles régulières de sous-marins, (3) acquérir de l’espace stratégique dans  le Pacifique, (4) construire une marine de guerre équilibrée et puissante, avec des porte-avions, des sous-marins nucléaires et de nombreuses frégates.

Cette expansion chinoise se manifeste aussi par la permanence de flotte en océan Indien, par les déploiements de navires autour de l’Afrique en 2014, une première dans l’histoire multimillénaire de la Chine ou, de façon plus régulière, en Méditerranée, voire en Atlantique.

Les choix à faire : des propositions simples

Il serait utile d’enseigner la défense sans frontières aux futurs responsables civils et militaires : faire travailler les stratégistes et les écoles supérieures de l’enseignement militaire sur la défense sans frontières qui est celle de l’espace, de la cyberguerre et des océans et qui ne peut se raccrocher aux paradigmes antérieurs de la guerre des territoires.

Donner à la France les moyens de remplir sa double vocation maritime : une marine de guerre puissante et une marine de sécurité pour la surveillance, la protection, l’exploitation et le contrôle des espaces maritimes sous juridiction française.

Si le débat peut exister au plan aéroterrestre entre forces lourdement armées et forces spéciales légères et mobiles, entre forces aéroterrestres dédiées à la sécurité extérieure et qui n’apporteraient qu’un complément marginal (en volume) sur le sol national, comme préconisé par le Livre blanc de 2013, ce débat ne peut se transposer à la marine nationale.

Cette dernière doit disposer de moyens de puissance autour d’un porte-avions, de sous-marins nucléaires d’attaque et de frégates, tous capables de frapper à plusieurs centaines de kilomètres en mer et à l’intérieur des terres (avec missiles de croisière naval ou aviation embarquée) sans aucune contrainte politique de stationnement ou de déploiement, condition sine qua non pour maîtriser son engagement au plan politique.

Elle doit continuer avec les moyens nécessaires à ériger au moins pour les quelques décennies à venir la force de dissuasion sous-marine garantie de sa survie.

Elle doit être dotée de plus de bâtiments hauturiers modernes porteurs de drones de surveillance et d’une plateforme pour mettre en œuvre des unités spéciales contre le terrorisme, la piraterie et les trafics multiples dont la drogue qui nourrit les trafics d’armes sur notre sol. 60 unités nouvelles de 30 marins pour dix millions de kilomètres carrés, c’est un peu moins de deux navires en permanence sur une surface comme celle de la métropole, et deux millièmes des effectifs de l’Education nationale !

Le chemin est clair mais long, et il faut bien le tracer.

Dans le cas contraire, c’est non seulement la défense qui coule mais la France qui risque d’aller dans le mur.
CEPS
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