LE TEMPS DES FORBANS ET DES TARTUFFES S’ACHÈVE

Francis Massé,

Président de MDN Consultants,

Ancien Haut fonctionnaire

Le temps des forbans et des tartuffes s’achève par Francis Massé

Nous sommes décidément dans une époque sans scrupules, sans nuances et sans limites. Cela est vrai dans tous les domaines, les affaires, l’administration, la politique, les médias, les relations quotidiennes avec les gens. On n’a de cesse de tromper, de mentir, de vitupérer, d’insulter, de mépriser, de se moquer, de faire attendre au guichet, au téléphone, de ne pas répondre aux courriers, aux questions ; alors n’imaginons même pas que l’on va devancer nos attentes ! 

Tout converge pour qu’il en soit ainsi : la bureaucratisation croissante de notre organisation sociale, la désorganisation, l’absentéisme qui devient une sorte de démission, la tension palpable entre les gens, le manque de moyens et la mauvaise gestion du temps. 

Bref, à force de dresser les gens les uns les autres, d’infantiliser, de faire peur, de ne pas dire les vrais dangers mais d’alimenter dans l’esprit des gens des peurs imaginaires, de dramatiser, de créer les conditions de la violence – y compris celle plus sournoise, la violence symbolique -, on sème le doute, on accroît l’anxiété, on développe la dégradation du corps social. 

Le plus frappant c’est que désormais d’aucuns prennent la mesure de ces mécanismes insidieux et ne font que semblant de s’étonner de la récolte qui résulte de telles mauvaises semences. 

Un système de santé qui se dégrade ? Qui n’a perçu la déconsidération à l’égard des personnels de santé ? Une école de qualité médiocre ? Qui n’a vu la lente dégradation de la qualité de la formation des enseignants et de leurs conditions de travail ? Les services publics en voie de paupérisation ? C’est un processus de longue date de désengagement des fonctionnaires et agents. Les forces de l’ordre sont rétives ? Mais cela fait des dizaines d’années que l’on est dans la difficulté pour mieux relier Police et Justice et que l’effort de formation professionnelle des policiers est déficient. Les effets de la société numérique se rajoutent à ce cortège des malencontreuses aberrations. Daniel Cohen nous le démontre et souligne dans un excellent article sur la « société numérique »
le risque bien de l’entre soi et celui de l’épuisement psychique (1) . Une vie urbaine qui se dégrade à l’image de ce que nous montre Martin Scorcèse dans son film A tombeau ouvert où le héros tente de sauver des vies dans le New York interlope des années 90, dans un quartier difficile et violent rongé par la prostitution, le trafic de drogue, la misère et le crime.  

Il va falloir mettre en place des solutions équilibrées, développer des stratégies de long terme pour consolider, rénover, éduquer, édifier !

Où que l’on se tourne, on ne peut que constater une détérioration certaine de l’esprit public et de l’intérêt général. 

C’est une époque de forbans, de profiteurs cyniques, une époque où la générosité se perd ! 

Mais cette époque plutôt répugnante s’achève ! On le perçoit à divers signes. 

D’abord les citoyens sont de moins en moins dupes des mensonges et des fakes news. Ils voient bien que l’on cherche, sinon à les tromper, en tout cas que les personnes qui font profession de commentateurs restent largement à la surface des choses. 

Ensuite les gens se replient sur du solide : leur famille, leurs amis, leur maison ou leur appartement. Néanmoins ils sont très méfiants à l’égard de la vie collective et civique et leur perte d’engagement au profit du collectif est préoccupante. Mais ce sont les mêmes à s’en plaindre qui ont contribué à amplifier ce phénomène.

Cette situation est pathétique. A l’image de certaines péripéties Ne touche pas à mon poste ou de l’épisode de la statue de Saint-Michel aux Sables d’Olonne.  Un journal titre La grande flemme : comment la France perd le goût de l’effort (2)  et quelque part cette dénonciation est révoltante car, répétons-le des forces irresponsables ont instillé ce phénomène. 

A qui le crime profite-t-il ? Aux ennemis ou adversaires de notre pays et de l’Europe en général. S’attaquer à la culture et au modèle social c’est affaiblir la cohésion nationale. Or il nous apparaissait que le chef d’état-major des armées avait brillamment défini un concept de guerre totale d’ailleurs repris par la Nouvelle Revue Stratégique (NRS) et présentée par le président de la République à Toulon (3) .

Pourtant tout ce dont nous venons de parler est à l’opposé de ces intentions pertinentes. 

Comment l’expliquer ? Pour notre part nous excluons le cynisme volontaire et le machiavélisme. A raison ? Nous pensons une fois de plus à la faiblesse de notre organisation sociale et de notre gouvernance publique qui est aujourd’hui de moins en moins capable de mettre en œuvre une stratégie faute d’une vision partagée. Nous sommes d’ailleurs frappé par la qualité d’écriture de la NRS, par l’intelligence formelle du texte mais nous n’y voyons pas « la politique réaliste de Richelieu, la stratégie objective de Turenne et l’administration pratique de Colbert » (4). 

Pourquoi néanmoins le titre de cette chronique « Le temps des forbans et des tartuffes s’achève » est-il aussi volontariste ?   Pourquoi cette affirmation sans doute prétentieuse ? Est-ce vraiment à l’achèvement de ce cycle pitoyable auquel nous assistons, pour autant que la collectivité des humains puisse y accéder un jour ? Des signes avant-coureurs apparaissent : les générations z et alpha sont différentes ; elles portent de nouvelles valeurs et s’inscrivent dans de nouveaux champs de réalités (5). Il y a une forme d’authenticité qui se déploie sans qu’elle soit entachée de naïveté. Ce monde cupide s’écroule car il ne mène à rien, sinon à une perte de sens qui ne satisfait personne. Les débats faux et superficiels s’apparentent à ceux, byzantins, sur le sexe des anges ! Tout est y est vide, insaisissable et marécageux. On s’y perd et, mis à part certains sociologues qui persistent – à raison peut-être – d’en analyser les racines et les signifiants, il est inutile d’y perdre son temps. Il nous faut passer à autre chose. A cet égard le magnifique spectacle de Marie-Claude Pietragalla « La femme qui danse » manifeste l’essence de la transmission et de la formation (6); c’est sans doute dans de tels témoignages qu’il nous faut rechercher les moyens d’aider ces nouvelles générations à habiter le monde nouveau qu’ils rêvent de bâtir et nous avec eux. 

C’est cela l’esprit de Noël ! (7) Cette même lumière qui inonde le visage du couple à la fin du film de Scorsese.

 
 
 
 
(1) https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/homo-numericus-numerique-travail 
(2) LeFigaro.fr
(3) http://www.sgdsn.gouv.fr/uploads/2022/11/revue-nationale-strategique-07112022.pdf 
(4) Général de Gaulle, Le fil de l’épée.
(5) f. l’excellent livre de Michel Saloff Coste Le management du troisième millénaire Guy Trédaniel Éditeur 
(6) Théâtre de la Madeleine
(7) Une fête Dies Natalis solis invecti avait été fixée au 25 décembre par l’empereur romain Aurélien en 274. Devenue fête chrétienne au IVème siècle. 
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