Coronavirus et énergie, un secteur face à ses  concentrations géographiques

Coronavirus et énergie, un secteur face à ses concentrations géographiques

 

Avant-propos
La crise sanitaire générée par le coronavirus dépasse déjà à l’évidence ce seul domaine, et nous oblige d’urgence à élargir notre champ de vision à l’ensemble de l’économie mondiale et à son moteur essentiel, l’énergie. C’est là l’intérêt de cette note d’analyse, qui revient en détails sur les chamboulements majeurs à l’œuvre depuis trois mois dans le secteur énergétique.

En matière pétrolière, l’effondrement en quelques semaines de la demande, de 8 à 10 millions de barils par jour (mbj), s’est doublée de stratégies opportunistes d’augmentation de la production de différents acteurs (Russie, Arabie Saoudite, …), le tout générant une dégringolade du prix du baril à 24,88 $ le 18 mars, un plus bas historique !

Le résultat est là : un excédent pétrolier mondial historique de 10 mbj, soit 10% du marché mondial, en perspective au 1er avril prochain. Quel aveu de l’incapacité des instruments classiques (OPEP+, …) à coordonner les réactions des pays producteurs : inquiétant pour l’économie mondiale !

Si l’on transpose cette absence de régulation mondiale au marché gazier, comment ne pas craindre les risques d’instabilités et de conflits majeurs entre et dans bon nombre de pays producteurs, incarnations de répliques en cascade de la crise sanitaire ? Comment les pays qui restent encore aujourd’hui dépendants de leur production fossile pourront-ils surmonter ce « double choc » sanitaire et économique ? Et comment, une fois la crise sanitaire apaisée, réintroduire de la raison et de la vision dans les choix énergétiques mondiaux ?

C’est là aussi, l’intérêt de la note du GEG, qui aborde avec précision l’impact de l’épidémie sur les différents compartiments de la transition énergétique, et sur ses grands chantiers (photovoltaïque, éolien, batteries, …). Avec une question sous-jacente majeure : la réduction des émissions de CO2 restera t-elle la nécessaire priorité des économies mondiales postcoronavirus ? Les besoins de relance à court-terme ne balayeront-ils pas les objectifs environnementaux globaux définis dès la COP 21 ? Auquel cas, la pureté des eaux de la lagune de Venise et des ciels urbains chinois resteraient comme les cartes postales idylliques d’une économie mondiale en « mode pause » ?

Cette note se conclut opportunément sur une question majeure : comment se rebâtira, demain, le secteur de l’énergie ? L’auteur conclut justement à la nécessité d’une diversification géographique des chaînes de valeur, et à la fin de la concentration dans tel ou tel pays (pétrole dans les pays OPEP + ; énergies renouvelables en Chine, …). Mais, au-delà, c’est une certaine vision de la Planète qui devra sans doute être repensée, avec d’autres indicateurs que le seul PIB, en lien avec la définition même du développement durable, qui devront être mis en place. Le Monde nouveau devra à l’évidence être reconstruit autour du bien-être des citoyens, du respect de l’harmonie naturelle, de l’assurance des services essentiels et du développement des biens communs.

Déjà en 1972, dans son célèbre rapport Meadows soulignant « les limites de la croissance », le Club de Rome nous invitait à la réflexion sur ces sujets. Mais le chantier reste devant nous, qui devra obligatoirement combiner dans les prochaines décennies l’écologie, l’économie, le social et la politique.

 

Résumé

Les premiers effets du SARS-CoV-2 sur les chaînes de valeur de l’énergie en Chine illustrent le besoin d’une diversification géographique plus inclusive des soucis de résilience et de ses externalités et non une simple reterritorialisation de la production.

• La crise initiée par le coronavirus (SARS-CoV-2) vient relancer l’antienne des dangers de la mondialisation et des interdépendances qu’elle induit. Ces derniers mois ont de nouveau souligné le rôle clef de la Chine dans les chaînes de valeur de la transition énergétique. En parallèle, la guerre des prix sur les marchés pétroliers a rappelé la tension entre leur exposition à un nombre réduit d’acteurs et son importance pour nos économies.

• À contrario, notre analyse, nécessairement imparfaite, des premiers effets de cette crise dans l’énergie nous semble esquisser une autre conclusion : le besoin d’une diversification géographique des chaînes de valeur de l’énergie et non de leur concentration dans un pays ou une région donnée (Chine, France, États-Unis ou autre). Cette diversification n’a rien d’évident et d’autres facteurs, économiques, environnementaux et sociaux, pourraient légitimement s’y opposer.

• Alors que le secteur pétrolier subit un choc de demande inédit depuis 2008, la chute du prix du baril qui menace aujourd’hui l’équilibre des acteurs semble davantage être la conséquence du conflit que la Russie et l’Arabie Saoudite se livrent depuis le 8 mars dernier. En effet, la baisse de 1.8 million de barils jour (b/d) de la consommation mondiale sur le premier trimestre induite par les mesures chinoises a conduit à une chute de $60 à $50 du baril en février – un prix soutenable pour le secteur. La hausse anticipée de la production de plus de 3 millions b/d par l’Arabie Saoudite (soutenue par ses alliés) a conduit quant à elle a un baril à moins de $25 – un niveau bien plus périlleux. Le pouvoir de marché de cette dizaine d’acteurs apparaît directement en cause, même si le choc de demande fournit un contexte particulièrement favorable à son exercice.

• Dans ce contexte, les énergies renouvelables et la mobilité électrique sont tour à tour louées ou vues comme de nouvelles sources de dépendance. Si certains analystes y voient une réponse à l’exposition de nos sociétés à ces conflits géopolitiques par énergies fossiles interposées, d’autres soulignent la dépendance de ces secteurs vis-àvis de la Chine.

• Pourtant, les conséquences sur les secteurs de la transition énergétique sont plus complexes à évaluer et ne mettent pas seulement en jeu des contraintes d’offre. Elles résultent de l’interaction non triviale des perturbations de chaque chaîne de valeur, des conditions locales d’octroi des subventions, et des tensions préexistantes sur la production. La situation est donc différente entre l’éolien et le solaire, mais aussi en Chine et hors de Chine. La situation chinoise illustre en particulier qu’il ne suffit pas de produire des turbines localement pour être immunisé face à une crise de cette ampleur.

• En définitive, la crise devrait se faire davantage sentir sur les secteurs de la transition à travers des effets macro-économiques. La situation pourrait conduire à de plus grandes difficultés de financement, à une baisse de la demande énergétique, ou des changement de politiques de la part des états ou des entreprises. Le secteur des batteries et des véhicules électriques en est un très bon exemple. Dans ce contexte, une production nationale ne serait pas non plus épargnée.

 

Par Michel DERDEVET,
Essayiste, enseignant à Sciences Po Paris et au Collège d’Europe de Bruges

 

Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur le lien suivant de la revue  du Groupe d’études géopolitiques, énergie et environnement : “Coronavirus et énergie, un secteur face à ses concentrations géographiques”

https://legrandcontinent.eu/fr/2020/03/31/coronavirus-et-energie-un-secteur-face-a-ses-concentrations-geographiques/

 

 

 

 

 

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