La seule façon de promouvoir une nouvelle société !

La seule façon de promouvoir une nouvelle société !

par Francis Massé – Président de MDN Consultants, ancien haut-fonctionnaire, conférencier et auteur d’”Urgences et lenteur”, Deuxième édition, Fauves Éditions 2020.

 

A l’approche des élections présidentielles de 2022, souvenons-nous du livre Indignez-vous ! écrit magistralement par Stéphane Hessel. Oui il faut s’indigner et refuser l’insupportable mais humblement et silencieusement, de peur que la frénésie n’aggrave les choses. Le courage de la lutte discrète, continue, sans hâte mais résolue est autrement plus exigeant. A l’approche des présidentielles et sans incursion partisane, qu’est ce qui serait bénéfique pour notre société ?

Déjà le mal moderne avait été identifié : Sigmund Freud, Jacques Ellul, Stephen Zweig, René Guenon, Mahatma Gandhi, Nelson Mandela, et beaucoup d’autres [1] ;   chacun à sa manière analysait le mal et ses remèdes. Le point commun des solutions n’était pas dans le gaspillage d’énergie mais dans le discernement, la paix intérieure et des actions déterminées et ponctuelles aux larges effets.

Oui, sans doute, une indignation est-elle le début d’une irruption dans le Politique. Mais en France, l’erreur grossière de la classe politique républicaine depuis 40 ans, normalement en charge de réduire les motifs d’indignation d’un peuple ou d’une partie de celui-ci, c’est de ne pas avoir su ou pu donner une nouvelle figure à l’intérêt général. C’est de ne pas avoir su relier l’attachement charnel à la nation et l’appartenance à une société civile européenne, de ne pas avoir compris la faiblesse de la base électorale des partis dits de gouvernement autrement et plus justement dits gestionnaires – le socle des absentions et des extrêmes approchant souvent les 60 %-, de  n’avoir pas voulu comprendre l’effondrement de l’État-Providence, d’avoir été dans l’impossibilité de le renouveler en en conservant l’esprit, tout en l’adaptant à la nouvelle donne du système économique et technique. De n’avoir pas suscité l’esprit de responsabilité et l’altruisme réel des Français.

Nous avons été depuis une quarantaine d’années dans une politique du non-sens bercés d’abord par les trente glorieuses, puis par un consumérisme individualiste qui aura masqué la croissance des inégalités, la dépendance à l’interventionnisme social de l’État et à l’endettement public, la décroissance des investissements matériels et immatériels pour construire l’avenir.

Nous payons aujourd’hui le prix fort avec les effets d’une pandémie annoncée mais à laquelle nous n’étions pas préparés, une paupérisation des services publics que nous n’avons que très peu modernisés, des représentations effilochées de la réalité économique, territoriale et sociale. Un affaiblissement moral et spirituel prédomine et laisse les rênes longues à des rhéteurs inquiétants surfant sur les peurs des citoyens hébétés.

Il nous faut un sursaut et nous ne le voyons pas venir ! Cela supposerait un véritable projet de société porté par un narratif ambitieux et des politiques authentiques et humanistes capables d’embarquer les jeunes comme leurs ainés et d’embrasser l’ensemble des problèmes à traiter et enfin aptes à agir avec congruence et délicatesse.

Pour cela il faut cesser de parler avec un langage inadapté :

  • Celui de la technocratie ; coupé des réalités sociales et simplement humaines, un tel langage ne saurait être capable de susciter une réelle adhésion des populations et ceux d’autant que ceux qui le tiennent ne s’encombrent que rarement d’une quelconque volonté d’associer les citoyens à leurs décisions. Ce manque d’écoute est clairement regrettable et inefficace au demeurant.
  • Celui de l’ultralibéralisme. Comme Jean Tirole le dit lui-même : « Ses défaillances (de l’économie de marché) sont nombreuses, notamment de l’inégalité des chances à la destruction de notre environnement, des comportements anti-concurrentiels aux atteintes à notre vie privée, des crises économiques aux faillites bancaires … » [2]. Il souligne également qu’avec la crise du Covid, les inégalités entre citoyens d’un même pays se sont renforcées. Par exemple en France l’inégalité éducative, et donc l’inégalité des chances, est particulièrement forte : notre pays non seulement se place dans le peloton de queue des pays développés en mathématiques et sciences, matières cruciales pour de nombreux emplois de qualité, mais aussi exhibe un des systèmes éducatifs les plus inégalitaires au monde. De même affirme-t-il que les inégalités intergénérationnelles, déjà fortes en France, se sont accrues, car nombre de jeunes, du fait de la crise, ont été privés d’une bonne éducation, d’apprentissage, d’expérience professionnelle, et risquent de connaître de grandes difficultés pour entrer sur le marché du travail.
  • Celui du mondialisme. Il transparait dans des discours où les généralités l’emportent et surtout il laisse entendre une volonté d’un arrachement au terroir, à l’identité et à un humanisme de proximité. L’interdépendance entre les nations est incontournable et il faut davantage de mondialisation pour rapprocher le dialogue entre les cultures et la coopération entre les économies. Mais là encore l’idéologie masque le réel et nous enferme.

Il faut, à l’opposé de ce gloubiboulga idéologique, sans saveur ni perspective, redonner de l’espoir et du sens en s’efforçant de bien nommer les choses. Du sens, c’est à dire indiquer une direction où va-t-on ? Du sens c’est-à-dire une signification : pourquoi aller ici plutôt que là ? Du sens c’est-dire enfin une appropriation : faire en sorte que tout citoyen s’y trouve une place bien à lui ! Puisse s’accomplir dans une société conviviale !

Ce sens, dans ces trois acceptions, il faut le négocier avec les citoyens c’est- à dire le co-construire dans des controverses publiques et animées, ceci à l’opposé d’un monde médiatique trop souvent vide de sens.

Quel gaspillage ! Avoir de puissants outils de communication, efficaces et potentiellement utiles, et en gâter l’usage en les confiant à des rhéteurs ou des amateurs. Oui il nous faut, au lieu d’un enfermement dans des obstacles imaginaires, quitter ce silence politique étouffant et rejoindre la haute mer pour affronter les vrais dangers et résoudre nos vrais problèmes.

 

[1] Sigmund Freud, Le malaise dans la civilisation, Jacques Ellul, Le système technicien, Stephen Zweig, La confusion des sentiments, René Guenon, La crise du monde moderne ; Mahatma Gandhi, Mon chemin de paix ; Nelson Mandela, Un chemin de paix.

[2] Sommet du Bien commun organisé avec Challenges ; 26 mai 2021

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap