La France est-elle gouvernable ?

La France est-elle gouvernable ?

par Maxime MauryProfesseur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

Ce qui s’est produit lors des élections législatives du 19 juin n’est pas un accident électoral. Pour la première fois sous la cinquième République, il n’y a plus de majorité pour gouverner la France.

Ce n’est pas un accident mais l’avant-dernière marche d’une longue descente aux enfers commencée il y a plusieurs décennies avec l’immobilisme français.

Le déclin de la France, passée du cinquième revenu par habitant en 1980 au vingt-sixième aujourd’hui, et ayant accumulé continûment 3 000 milliards de dettes publiques et 100 milliards de déficit de son commerce extérieur, ce déclin vient de franchir un seuil qualitatif : le pays ne parvient plus à trouver une majorité pour se gouverner.

Un pays où l’on ne trouve plus de main-d’œuvre alors qu’il existe des millions de chômeurs, un pays où les retraites ne sont plus durablement financées, un pays rongé par les violences aux personnes, par le communautarisme et par la négation de sa glorieuse histoire, de sa littérature et de sa propre langue qui disparaît progressivement.

Avec à la clé une diminution régulière des capacités cognitives et d’expression collective qui appauvrit un débat public d’un niveau consternant et de plus en plus violent.

Au lieu de faire campagne pour le redressement de la France comme le fondateur de la cinquième République, ou d’expliquer ses intentions comme ses prédécesseurs avant lui, le président de la République a jugé plus habile de ne rien dire. Et de demander à ses troupes de ne quasiment pas parler de son projet de réformes.

Enjamber l’élection au mépris du peuple s’est finalement traduit par un désastre électoral qui n’est que le résultat d’un déficit des convictions exprimées.

Mais Macron n’est pas seul responsable.

Comme sous l’impuissante et infortunée quatrième République vers laquelle nous revenons, les citoyens et les partis partagent la responsabilité du désastre.

Avec les bulletins blancs et nuls qui s’ajoutent à l’abstention, 56 % des Français ne votent plus !

A l’incivisme s’ajoute l’exaspération face à l’impuissance à nous réformer et aux dérives bureaucratiques d’un État le plus centralisé du monde. Mais tout autant qu’à celle-ci s’ajoute aussi l’exaspération des citoyens contre des partis politiques de plus en plus violents, approximatifs dans leurs démonstrations, dépourvus de ces bases morales de la démocratie que sont l’honnêteté intellectuelle, la nuance, le respect, la décence.

Dans tout autre pays d’Europe, un vote comme celui du 19 juin déboucherait sur des compromis politiques entre partis.

La plupart des pays européens sont dirigés par des coalitions de compromis.

Mais en France le compromis semble impossible dans le jeu parlementaire comme il l’est si peu dans la négociation sociale. Notre « culture » est celle de l’affrontement et de l’idéologie.

Le fameux : « On ne lâche rien ! »

« Gagnant pour moi, perdant pour les autres », c’est à coup sûr perdant-perdant pour tous a la fin. Tel est le jeu délétère des partis.

Dès le soir du 19 juin, chacun jouait déjà avec une parfaite hypocrisie le coup d’après : le possible départ du président à terme. L’égoïsme féroce des partis, que le général de Gaulle appelait les « politichiens », menait le jeu.

Les deux leaders populistes sont en effet persuadés de pouvoir devenir prochainement président(e) de la République.

Ils en rêvent et se sentent pousser des ailes !

Les Républicains ( et divers droite) détiennent les clés de la situation. Il suffit qu’une moitié de leurs députés vote un projet pour qu’il passe. Ou que le groupe s’abstienne pour que la majorité relative suffise.

Alors qu’il est très proche de celui du président, leur programme économique justifierait une convergence ( réforme des retraites et indexation, encouragement du travail face à l’assistance, plus de travail moins de dépenses pour réduire des déficits abyssaux, décentralisation, ancrage européen…..).

Ils voteront probablement certaines lois comme la réforme des retraites.

Mais tout sera question de tact et de débat. Cela supposera que le président sache faire preuve de délicatesse, prenne du champ, et nomme un Premier ministre plus proche des Républicains en lui déléguant le gouvernement comme le prévoit d’ailleurs la Constitution qui n’est pas celle d’un régime présidentiel. Négocier sincèrement.

Par ailleurs, des consensus multi-partisans existent sur quelques sujets comme le nucléaire ou la transition énergétique. Également sur la sécurité ou la décentralisation.

La France sera cependant difficilement gouvernable car sa culture politique ( et administrative) est peu coopérative. Une dissolution de l’Assemblée Nationale interviendra donc vraisemblablement tôt ou tard.

Contrairement à ce que pensent les citoyens et les partis, ce désastre n’est pas gratuit. Il risque de nous coûter cher ! Ce ne sera probablement pas une «expérimentation fructueuse» comme cherchent à l’accréditer tels médias opportunistes et subitement amoureux de la quatrième République.

Le graphique que nous publions avec cette chronique montre que la dette publique française diverge de l’Allemagne depuis longtemps. La marche du « quoi qu’il en coûte » a été plus haute en France et il en est de même par rapport à la zone euro.

Comme rappelé dans notre précédente chronique, les taux d’intérêt augmentent et les primes de risque réapparaissent sur les dettes française et italienne.

Certes, la BCE interviendra pour empêcher l’éclatement de la zone euro, mais la patrouille européenne rattrapera la France et demandera des comptes à un président qui, en cas de crises financière et institutionnelle intenses, pourrait recourir à l’article 16 de la Constitution.

Il utilisera également le 49-3 (en pratique plusieurs fois par an) contre des extrêmes qui n’obtiendront pas en principe les 289 voix nécessaires pour voter la motion de censure. La Constitution de la cinquième République permet de gérer cette situation car elle inverse la charge de la preuve majoritaire.

Quelques marges de manœuvre existent donc pour le président Macron. Il prendra l’opinion à témoin et apprendra l’art de la conciliation et de l’embuscade.
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Mais s’il ne parvient ni à faire passer sa Loi de finances ni à réformer les retraites, le président devra dissoudre l’Assemblée Nationale et peut-être s’en aller en cas de nouvel échec. Avec le risque de l’élection d’un leader populiste à l’Elysée.

Un autre scénario serait qu’il dissolve, perde et ne parte pas ! Notre système politique s’effondrerait alors et l’abstention ferait un nouveau bond.

Espérons que le compromis (qui n’est pas la compromission) l’emportera dans l’intérêt supérieur de notre pauvre vieux pays qui doit regarder davantage vers l’Europe, qui apparaît plus que jamais comme notre ancrage et notre stabilité.

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