Investir en Afrique : une opportunité si on sait retirer le masque

Par Loïc TRIBOT LA SPIERE
Article paru dans la revue des Conseillers du Commerce Extérieur
 
Le dernier rapport de la Banque mondiale souligne la croissance continue de l’Afrique subsaharienne, qui est passée d’un taux de 4,7% en 2013 à 5,3% en 2014. L’Afrique subsaharienne atteindrait le troisième rang des taux de croissance, après l’Asie de l’Est (7,2%) et l’Asie du Sud (5,7%).Par ailleurs depuis la fin des années 1990 et la mise en place du plan d’allègement de la dette instituée par le FMI et la Banque Mondiale, les Investissements étrangers en Afrique n’ont cessé d’augmenter. En 2012 les flux financiers extérieurs s’élevaient à 186,3 milliards de dollars contre 158,3 milliards en 2011.
 
Le paradoxe de la croissance masque l’absence de transformation structurelle des économies africaines
 
Si elle est significative, il faut cependant reconnaître qu’elle génère faiblement des emplois et ne bénéficie pas encore suffisamment aux populations que ce soit en termes de revenu et d’accès aux besoins essentiels (éducation, santé, logement, emploi, etc).Selon l’OCDE, l’industrie représente moins de 10% du PIB, et l’agriculture 12%, alors que ce secteur emploie plus de 60% de la population ! Par ailleurs, la diversification de l’économie est encore très lente avec de fortes disparités de revenu. A cet égard, l’optimisme autour de l’émergence des classes moyennes, comme facteur de transformation sociale doit être nuancé. Et encore conviendrait-il de définir clairement ce que l’on entend par « classe moyenne » : est-ce que ce sont les 326 millions de consommateurs, identifiés par la Banque Africaine de Développement, qui dépensent entre 2 et 20 dollars par jour ou ceux qui vivent avec 2 à 4 dollars par jour selon d’autres sources ?[1]
 
L’une des priorités est sans doute d’investir dans les secteurs clés structurants pour assurer le développement économique : l’éducation/formation, la santé, les infrastructures de transport… avec des outils de financement appropriés.
 
L’envolée du prix des matières premières ne doit pas masquer les efforts à faire en termes d’industrialisation et de diversification de l’économie
 
Globalement la croissance de nombreux pays africains est directement liée à l’importance de leurs exportations de matières premières. Entre 2000 et 2010, 30% du PIB du continent dépendait de l’exploitation/utilisation des ressources naturelles. Cependant constatons que certains pays non exportateurs comme le Rwanda ou l’Ethiopie ont enregistré des taux de croissance élevés, comparable à ceux de leurs homologues fortement tributaires des exportations de leurs matières premières[2], grâce à des politiques extrêmement volontaristes et à d’importantes réformes structurelles menées.
 
Néanmoins, cette croissance ne doit pas masquer un certain nombre de réalités. D’abord, dans bien des cas, la vente de la rente n’a pas, ou faiblement, contribuer à assurer le développement économique d’un certain nombre d’Etats et encore permis d’impulser une politique d’ « investissements structurants ». En effet, selon l’OIT, 82% des travailleurs africains sont pauvres et restent cantonnées dans le secteur informel. Par ailleurs, bien souvent l’exploitation de ces richesses génère des dommages écologiques, la corruption ou des conflits pour la répartition des matières premières[3].
 
Or promouvoir la diversification ne signifie pas pour autant tourner le dos à ces extraordinaires richesses que sont les ressources énergétiques, minières et bien sûr agricoles. Celles-ci peuvent être la base d’une réelle diversification.
 
Cependant, à deux conditions, comme le remarque à juste titre Henri-Bernard SOLIGNAC-LECOMTE[4]:
– tout d’abord, il importe de ne pas se focaliser sur la transformation locale des matières premières, mais d’exploiter aussi le potentiel en amont, où les entreprises locales peuvent devenir les fournisseurs des grandes entreprises étrangères qui investissent dans l’exploitation de ces ressources ;
– mais il convient aussi de diversifier les activités d’exploitation sur tout l’éventail des ressources naturelles présentes dans le pays ; une des erreurs des années 70 en Afrique a été de miser sur l’énergie, les mines et l’industrialisation à marche forcée au détriment de l’agriculture.
Il convient de créer une véritable chaine de métiers et de valeurs autour des matières premières et du secteur agricole et de développer les infrastructures de nature à assurer cette dynamique.
 
L’atout démographique de l’Afrique ne doit pas masquer la réalité du chômage, de la formation et de l’entrepreneuriat des jeunes
 
En Afrique subsaharienne, le taux de fécondité a baissé, passant de 6,7 en 81 à 4,9 en 2010. Malgré cette baisse, il reste nettement plus élevé que dans les autres régions du monde. L’Afrique, avec plus d’1 milliard d’habitants, représente un immense espace humain.
 
Malgré cet atout démographique, constatons que 70% de la population a moins de 30 ans et que près de la moitié de ces jeunes risquent de rester sans emploi. Environ 12 millions de jeunes entrent dans la vie active chaque année en Afrique et seulement un cinquième accèdent à un emploi. En 2045, il y aura près de 400 millions de jeunes âgés de moins de 20 ans !
 
C’est un véritable défi pour la cohésion sociale et pour la paix qui est à relever et qui va bien au-delà de la simple problématique économique.
 
Il est en ce sens impératif de mettre en place des mécanismes et des outils de formation, d’accompagnement qui permettront d’une part, de former la jeunesse africaine afin de répondre à de vrais besoins locaux ; d’autre part, de lui donner les moyens de s’épanouir et de tenter l’entreprenariat.
 
L’urbanisation de l’Afrique ne doit pas masquer la pérennité du lien social dans les territoires
 
40% des africains vivent à l’heure actuelle en ville  et l’urbanisation ne cesse de progresser[5]. L’idée selon laquelle l’urbanisation croissante de l’Afrique serait un indicateur encourageant de développement est à manier avec précaution comme le souligne très justement le diplomate William BENICHOU. Les villes exercent un tropisme très fort sur une jeunesse rurale bien souvent non qualifiée, sans répondre forcément à ses attentes.
 
L’insertion en ville pose toute une série de problèmes qu’il ne faut pas sous-estimer (accès au logement, au travail, la rupture du lien familial, etc.). Sydney DOMORAUD-OPERI[6] a raison de rappeler que la majorité des migrants n’a pas les qualifications nécessaires pour prétendre aux postes du secteur moderne; mais, qu’ils sont prêts à accepter toute proposition de travail quel que soit le montant du revenu et sont relativement moins touchés par le chômage urbain que les natifs des villes. Cette forte disponibilité de main-d’œuvre contribue à maintenir la rémunération des travaux non qualifiés à un niveau très bas, et à développer le secteur informel.[7].
 
L’avenir des villes et celui des campagnes sont très étroitement liés. Pour éviter le double écueil de la congestion des premières et de l’appauvrissement continu des secondes, un nouvel équilibre doit être trouvé afin d’éviter de créer à terme de vrais foyers de tension. Pour cela, le développement des villes « moyennes » doit prendre le pas sur la prolifération anarchique des mégapoles. Il est en ce sens urgent de rationaliser le développement des villes en permettant à l’État de reprendre le contrôle sur l’urbanisation et, d’autre part, d’assurer la continuité du tissu urbain et la connexion des villes entre elles via le financement d’infrastructures.
 
La croissance économique dans certains pays attractifs ne doit pas masquer l’instabilité politique et les foyers de tensions présents dans les différentes régions du continent
 
Comme on l’a précédemment souligné, la croissance n’est pas forcément synonyme de développement, elle peut aussi ne pas suffire à assurer la cohésion sociale, ce qui se déroule à l’heure actuelle. En l’occurrence, ce qui se déroule au Nigéria est vraiment éloquent. La fragilité institutionnelle demeure préoccupante dans de nombreux pays marqués par les conflits ; et ceux qui connaissent à l’heure actuelle une certaine stabilité, pourraient dans les années à venir voir les demandes économiques et sociales de leurs populations se faire beaucoup plus pressantes.
 
Par ailleurs, il est bon de rappeler ce qui est une évidence : les niveaux de développement varient de manière importante d’un pays à un autre sur le continent africain. Cela impose de mettre en place des mécanismes institutionnels nécessaires à l’instauration et au respect d’une démocratie durable, d’une part, et d’autre part, d’élaborer des dispositifs efficaces pour lutter contre la corruption. Mais aussi de créer un cadre réglementaire approprié pour assurer et développer un secteur économique performant.
 
Malgré tout ceci, l’Afrique est et reste un immense territoire bénéficiant d’extrêmes richesses naturelles, un continent jeune et dynamique aux opportunités multiples qui doivent être valorisées, exploitées dans une approche « gagnant-gagnant ». L’importance de la jeunesse en Afrique impose de vraies réponses économiques d’emplois tangibles, de vraies réformes structurelles. L’Afrique ne peut plus se permettre de se masquer la face : il y a, soyons-en convaincus, urgence à agir.
 
 

[1] Rapport d’information n°104 sur la présence de la France en Afrique 2013, L’Afrique est notre avenir, Sénat
[2] Rapport sur le développement en Afrique 2012, Vers une croissance verte en Afrique, Groupe de la Banque Africaine de Développement
[3] Rapport sur le développement en Afrique 2012, Vers une croissance verte en Afrique, Groupe de la Banque Africaine de Développement
[4] Responsable Europe, Moyen-Orient et Afrique au sein du Centre de Développement de l’OCDE 
[5] African Economic Outlook 2013, Structural transformation and Natural Resources, African Development Bank Group, OECD, UNDP, United Nations Economic Commission for Africa
[6] Avocat à la Cour, Orrick Rambaud Martel SCP
[7] L’urbanisation en Afrique et ses perspectives, rapport du FAO de Philippe Antoine DT/12-97F
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