D’incessants bavardages nous empêchent de penser et d’agir

Francis Massé,

Président de MDN Consultants,

Ancien Haut fonctionnaire

« Nous sommes en train de traverser depuis la fin du conflit algérien la crise démocratique la plus grave que la France ait connue »  Pierre Rosanvallon 

On ne dira jamais assez que si les organisations ne se transforment pas assez vite, ce ne sont pas elles qu’il faut incriminer. Ce sont les acteurs humains qu’elles emploient. Nos entreprises et nos administrations n’évoluent qu’en fonction de l’expansion des idées neuves portées par des individus, les femmes et les hommes des communautés de travail. Encore faut-il que ces pensées nouvelles puissent circuler dans un climat propice à la créativité et aux innovations. Car d’incessants bavardages nous empêchent de penser, lentement et en profondeur, et d’agir en conséquence rapidement (1). 

1- La révolution managériale indispensable est pressentie par beaucoup plus de gens que l’on ne croit ; toutefois elle est comme entravée.

L’on rapporte à juste titre que les Français sont un peuple politique et qu’ils ressentent beaucoup plus les choses qu’ils ne le montrent. Nous le pensons vraiment ; notre dernière expérience d’échanges avec des clients – et lecteurs – d’un grand centre commercial dans le cadre de dédicaces de notre dernier livre n’en a fait que démontrer l’exactitude (2). Nous avons pu discuter avec des personnes issues d’univers professionnels variés : éducation, coiffure, soin, hôtellerie, pompes funèbres, électronique, vie sociale et voisinage (sans profession), consultant, etc. et s’arrêtant un moment avant de finir leurs courses. Pour ces personnes le constat est clair : les choses ne vont pas bien.

Notre difficulté est alors de partager en commun un diagnostic sur le blocage de nos organisations. Des organisations qui devraient être transformées en réponse aux mutations de l’environnement.

Or une transformation ne peut être définie dès le démarrage car les innovations qu’elles contiennent forcément, vont être conçues dans le détail par ceux-là̀ mêmes qui vont l’opérer. C’est ainsi que la coiffeuse, la soignante, le praticien de l’hôtellerie, l’électronicien, m’expliquaient avec précision leurs projets et leurs attentes. Et leur incompréhension face aux obstacles et au blocage de la société.

Certes une idée se diffuse toute seule quand elle est bonne mais la question est le temps de sa diffusion et de son adoption. Mais parfois le temps presse. Lors de l’expédition de Vasco de Gama (1487) 160 hommes d’équipage meurent du scorbut. En 1601 le capitaine James Lancaster vérifie l’efficacité́ du jus de citron dans la prévention du scorbut ; l’idée n’est adoptée par la marine britannique qu’en 1865. 

Nous sommes dans un temps allant s’accélérant et naturellement notre objectif est une diffusion plus rapide des idées efficaces.

Or la nature et la richesse des évolutions actuelles, écologique, énergétique, numérique, notamment l’IA, géopolitique, économique ou encore sociétale, malgré beaucoup d’efforts pédagogiques de penseurs et de consultants du management mais également de grands leaders de l’économie ou de la politique, si elle est parfaitement repérée n’est pas clairement comprise. Cependant des difficultés de compréhension et de concrétisation s’incrustent du fait de gouvernances insuffisamment performantes. La première raison réside clairement dans la méthode : « management organique », « entreprise libérée » ou encore « organisation neuronale »ne s’entendent guère malgré des applications réussies et ont du mal à se généraliser. Chacun s’accorde à dire que l’obstacle est dans le déficit de formation professionnelle et c’est largement exact.

En effet le type d’organisation vers lequel nous devons nous orienter et ce, à l’échelle de la société et de la diversité de ses organisations, repose sur une décentralisation des initiatives : beaucoup plus de délégations de compétences, d’emporwement et, à l’inverse, beaucoup moins de micro management. Cela impose des professionnels mieux formés.

La réforme de la formation professionnelle a été conçue au niveau de la branche professionnelle et non à celui de la filière. Or nous rejoignons les experts qui préconisaient la seconde option : la filière professionnelle est mieux adaptée aux besoins futurs d’accélération des innovations ; des innovations correspondant à des apprentissages pluridisciplinaires qui exigent de fait une plus grande culture générale scientifique et technique et un développement des softs skills.  A contrario la branche professionnelle alimente, toute légitime qu’elle demeure, la tendance à une hyper spécialisation préjudiciable aux évolutions de carrière et aux adaptations souples et naturelles.

Pourquoi une telle erreur alors que la transformation de nos services publics et de nos entreprises servirait les grandes causes de notre société : l’environnement, la santé, l’éducation, la tranquillité publique, la mobilité et les transports, la culture et l’information etc. ? Et servirait derechef les clients de notre centre commercial dans leur démarche entrepreneuriale ?

Pour illustrer d’une autre manière ce propos prenons en considération la question qui concerne ces pressionnels de diverses manières, celle du développement durable. 

D’abord il faut rappeler les deux volets concernés : le changement climatique et la biodiversité. Et que l’un n’occulte pas l’autre ! Les intérêts économiques y sont puissants et en concurrence, les enjeux financiers et géopolitiques sont immenses.

Ainsi dans l’Océan pacifique, de nombreuses espèces vivantes se développent dans un amas de plastique sur une zone de 3, 5 millions km2 soit 6 fois la superficie de la France. Parmi ces petits êtres vivants se nourrissant dans ce vortex aussi appelé great pacific garbage patch (GPGP) on trouve cnidaires, des algues, mollusque et virus ; et naturellement les courants marins vont disperser partout ces organismes vivants qui se développent dans ces déchets (3) . 

Dernièrement des petits granulés industriels de plastique de moins de 5 millimètres de diamètre ont été repérés sur le littoral atlantique. L’État et les communes concernées ont porté plainte contre x devant le procureur de la République.

Les bio plastiques pourraient être une solution mais ils n’ont le plus souvent de bio que leur nom (4) . Le combat de la dépollution n’est pas gagné d’avance ni même celui de l’arrêt de la pollution ; la production de plastiques biodégradables devrait augmenter, mais ne concernera encore longtemps que 1% de la production mondiale. En outre, ces plastiques biodégradables sont encore en pour partie pétrosourcés. C’est donc toute la chaîne de production et de consommation qui doit être revue, sachant que la fabrication de produits plastiques biosourcés ne doit pas se faire au détriment de la production agricole alimentaire (5) . Les défis scientifique, technique et financier sont donc importants mais l’enjeu est clair de nous débarrasser au plus vite des plastiques non bio sourcés et non biodégradables !

À partir de cet exemple notable du plastique, nous devons tirer quelques premières conclusions.

D’abord que la décarbonation de l’économie, si elle n’est sans lien avec la préservation de la biodiversité, est loin d’être le seul axe de préoccupation. Peut-être serait-il raisonnable de traiter ensemble ces deux objectifs primordiaux en concevant l’échelle des priorités à partir de ce qui est possible et faisable à court, moyen et long terme ; et ceci à la fois en ce qui concerne les chaînes de production, de recyclage et de consommation, sans oublier les modalités et les capacités de financement. 

Puisque l’on a posé le terme de « planification écologique », il est nécessaire d’ajuster et de combiner entre eux les leviers économique, social, financier, fiscal et réglementaire, et ce, à partir de schémas réalistes et concertés. Ce qui faciliterait la tâche, à leur niveau, des clients de notre centre commercial… 

Ce qui, revenant à notre élément central, exige un formidable aggiornamento dans l’ordre de la formation initiale et professionnelle.

2- Un sursaut dans la révolution de la formation ? 

Depuis le temps que nous entendons parler de passerelles entre la formation, la recherche, les entreprises et les services publics, la nécessité absolue de s’interroger sur les failles persistantes de notre organisation sociale actuelle s’impose dans ce domaine. Pour des raisons complexes la politique est sans réponse et c’est regrettable (6)! 

Les pistes de solutions s’inscrivent certainement dans cette simple idée que les gens puissent se rencontrer, se parler et échanger. Partant de là, l’école maternelle est le premier échelon où il faut apprendre aux enfants à se connaître et à vivre avec les autres.

Ce fil conducteur doit se poursuivre tout au long du parcours scolaire dans ce l’on nomme l’éducation nationale.

De puissants réflexes et des comportements appropriés doivent y être acquis qui nourriront ultérieurement des aptitudes à l’intelligence collective. Les blocages actuels de notre société sont inquiétants et même très dangereux. Ils sont porteurs de lendemains difficiles où la violence sociale peut se répandre.

Alors il nous faut choisir maintenant entre un ordre social désirable ou une organisation sociale liberticide qui plane tel un vautour au-dessus de nos têtes. La culture et la réduction de l’ignorance ne seront certes pas suffisants comme le siècle passé nous l’a appris, mais ce sont des conditions absolument nécessaires.

Sauver la planète n’a finalement qu’un seul intérêt : celui de mobiliser les populations sur un projet commun qui les réunissent et qui redonne aux gens le désir de vivre et d’aimer.

Dans ce dessein les bavardages, un environnement médiatique désolant, des politiques qui déboussolent parce qu’insignifiantes, des inégalités économiques et sociales révoltantes, ne pourront que constituer des freins à notre expansion, à notre prospérité ainsi qu’au progrès économique scientifique et technique dont le génie humain est capable. 

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap