CONSÉQUENCES DU CHANGEMENT DE PARADIGME MONÉTAIRE

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France. 

« En ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». (Orwell)

« Les arbres ne montent pas au ciel ». (la raison universelle)

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— Le but de cette chronique est d’ouvrir une réflexion à poursuivre éventuellement sous forme d’échanges et de séminaires.

I) LE CHANGEMENT NÉCESSAIRE DE PARADIGME MONÉTAIRE OUVRE UNE PÉRIODE D’INCERTITUDE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

Le changement de paradigme monétaire et financier est profond : des taux d’intérêt toujours plus hauts et des bilans de banques centrales en contraction lente mais régulière vont bouleverser profondément la gestion des patrimoines.
D’autant que la lutte contre l’inflation s’avère plus difficile qu’annoncée.

Le scénario officiel de réduction de l’inflation, selon la trajectoire pluriannuelle « 8-4-2 » à fin 2024, va buter sur une inflation sous-jacente (« core inflation ») de 5 % en augmentation. Elle risque d’être auto-entretenue par une hausse équivalente des salaires (4% actuellement) alimentée par l’envolée des produits alimentaires ( 15 %).

C’est le noyau dur d’inflation qui résistera peut-être à la volonté des Banques centrales.

Le scénario officiel mise sur une hausse des taux de l’ordre de 100-150 pb d’ici septembre 2023 qui est confirmé par les anticipations modérées des marchés.

Néanmoins ce devrait être beaucoup plus pour ramener l’inflation sur sa cible de 2% car les taux réels demeurent très faibles et que l’on butera sur ce noyau dur de l’inflation. Et sur une tendance haussière du prix de l’énergie dans un contexte de pénurie dont la base est le pic pétrolier.

Anéantir l’inflation dans un contexte où l’emploi reste dynamique supposerait une politique de type « Volcker » comme au début des années 1980 aux États-Unis où les taux d’intérêt sont montés à 19 % pour une inflation de 13 % alors qu’aujourd’hui les taux demeurent inférieurs à l’inflation.

Notre idée est que les Banques centrales n’oseront pas aller très loin dans la remontée des taux et accepteront finalement une inflation stabilisée autour de 3-4 %.

II) LES RISQUES DE CRISE FINANCIERE METTENT UNE LIMITE À L’AUGMENTATION DES TAUX D’INTÉRÊT

Les signaux de crise financière se sont multipliés en mars ; ils entravent la perspective d’une franche remontée des taux d’intérêt. Même si la BCE a bravement continué sa politique (+0,5), on voit que le bilan de la FED s’est à nouveau gonflé suite à la faillite de la banque SVB.

En effet, trop remonter les taux d’intérêt bute sur un risque de crise systémique lié à une dette mondiale hors normes
= 300 000 milliards de dollars soit 3,5 années de PIB (contre 2,3 en 2007).

Risque de défaillances en chaîne et donc de déflagration financière. Risque de liquidité pour des banques ou des fonds de pension qui voient s’effondrer la valeur de leurs portefeuilles obligataires avec la remontée des taux.

Or nous sommes bien dans une bulle immobilière et financière comme indiqué par Jacques de Larosière dans son livre iconoclaste : « Pour en finir avec l’illusion de la finance ». Ainsi les patrimoines ont-ils augmenté depuis 2020 de 50 % plus vite que l’activité. La hausse du prix de l’immobilier en est la principale cause.

Nous parions donc qu’en cas de difficulté les Banques centrales accepteront une inflation durablement stabilisée dans la zone de 3-4% pour que la bulle n’éclate pas trop brutalement avec tous les risques de déstabilisation financière collatéraux.

Un taux d’inflation plus élevé que prévu contribuera également à l’allègement des dettes.

III) CONSEQUENCES SUR LA GESTION DE VOTRE ÉPARGNE

Dans l’attente d’une inflation stabilisée les moins mauvaises décisions à prendre en matière d’épargne seront donc les suivantes :

  • Se défier d’un immobilier survalorisé (cf ratios prix / revenus nettement plus hauts qu’en 2010) ; fuir l’immobilier-papier ;

  • Éviter les obligations qui vont continuer à baisser en attendant la stabilisation des taux ; sauf si l’on n’a pas d’exigence de liquidité ;

  • Éviter les actions cycliques tant que la conjoncture demeure incertaine ;

  • Investir dans des biens réels et valeurs de protection contre une inflation durable ; l’or 

  • Investir avec discernement dans le super-cycle des métaux qui s’amorce autour des terres rares pour le « tout électrique » et les énergies renouvelables, ainsi que dans la santé ( vieillissement de la population ). Les entreprises-leader bénéficiant de barrières à l’entrée ne peuvent que se valoriser dans ces secteurs.

Deux chiffres le prouvent : selon les sources officielles, la demande de métaux issus des terres rares devrait être multipliée par 7 d’ici 2040. Multipliée par 7 ! Mais en 2040 nous serons privés d’environ 1/3 de nos approvisionnements en pétrole. Comment transportera-t- on tous ces métaux ? On voit donc bien se profiler à l’horizon une rareté qu’il faudrait dès maintenant prévoir. En cultivant la sobriété.

IV) L’INCONSCIENCE DES FRANÇAIS SUR LA DETTE EST L’ANGLE MORT DE LA POLITIQUE FRANÇAISE.

La dette publique française a passé le cap des 3000 milliards. Nous empruntons le 1/3 environ du budget de l’État. La France empruntera cette année 270 milliards d’euros. Nous sommes devenus le premier emprunteur européen et le quatrième emprunteur mondial.

Avec l’augmentation des taux, la trajectoire des charges financières est inquiétante : les chiffres arrondis en milliards suivent une trajectoire exponentielle : 30-40-60-100 de 2021 à 2023, puis en projection vers 2027. Le gouverneur de la Banque de France rappelle que 1% de taux d’intérêt en plus ce sont 39 milliards de charges financières prévisionnelles à 10 ans.

En théorie, 100 milliards de charges financières en 2027-2030 reviendrait en équivalence à rayer de la carte les ministères de l’Éducation et de La Défense.

Deux agences de notation Standard and Poor et Fitch ont placé la note de la France en perspective négative. Il faut donc s’attendre à une augmentation des spreads de taux d’intérêt. Mais le sujet n’intéresse personne.

Pourtant, LA DETTE VA DEVENIR LA QUESTION CENTRALE DE LA POLITIQUE FRANÇAISE.

La révolte des Français contre l’indispensable et progressive réforme des retraites est la conséquence de ce déni collectif. C’est l’expression d’une addiction collective à la dette.

L’idée que nous vivons à crédit est un tabou absolu. Or l’endettement du secteur privé (ménages + entreprises) est également plus important en France que dans tous les grands pays européens (source Banque de France), et diverge largement de la zone euro.

Au total : l’endettement public ( 113% du PIB) est à doubler selon la Cour des comptes en raison de l’endettement hors bilan de l’État ( cf retraites non provisionnées des fonctionnaires ). Il faut ajouter à cela 147 % du PIB d’endettement privé.
L’endettement total de la France atteint donc (hors secteur financier) 373 % du PIB, soit près de 4 années d’activité avec une situation nette désormais négative.

Ce chiffre est le pendant de l’effondrement de notre système productif. Les arbres ne montent pas au ciel.

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