Combien et jusqu’à quand ?

Combien et jusqu’à quand ?

par Maxime MauryProfesseur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

« Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent. »

Pierre Mendès-France

« Nous ne pourrons échapper à une révision radicale de notre politique économique. »

Nicolas Baverez 

 

 

Dans cette chronique, volontairement brute de décoffrage, voilà les données que tout le monde devrait connaître sur l’état de nos finances publiques et qui ont été cachées durant la campagne électorale par un effet d’aveuglement collectif dont la France est coutumière.

Dette publique de la France =

3 000 milliards d’euros à fin 2022 soit 114% du PIB.

Nous emprunterons cette année 300 milliards. Soit 8 240 euros par seconde !

Impact sur le budget d’une hausse des taux d’intérêt ( à 10 ans) de 1% = 2 milliards de charges supplémentaires tout de suite sur les obligations indexées,

mais + 39 milliards au bout de 10 ans avec le roulement de la dette (dont l’échéance moyenne est à 8,5 ans).

source : Banque de France.

Autrement dit, si les taux augmentaient de 2,5 % progressivement, nous aurions 100 milliards à trouver dix ans plus tard, soit l’équivalent des budgets cumulés de l’Éducation Nationale et de La Défense !

Niveau des taux d’intérêt en mai 2022

= + 1,5% contre 0 fin 2021. La hausse des taux long terme ( 10 ans) est nettement enclenchée alors que la BCE n’a pas encore augmenté le sien ( court terme). Ce qui ne saurait tarder.

Tendance des taux = forte accélération à la hausse du long terme avec l’anticipation de la fin de l’intervention de la BCE prévue pour juillet 2022 et précédée par une diminution régulière de ses achats de titres de dettes. Les marchés prévoient naturellement que la fête est finie !

Augmentation du loyer de l’argent partout dans le monde.

Tendance de la dette française :

constamment croissante en valeur absolue et relative depuis 1981, avec une première poussée à partir de 1974. Nous n’avons pas équilibré notre budget depuis 48 ans !

Nous divergeons, depuis 2010, avec l’Allemagne qui était parvenue avant la pandémie à réduire significativement sa dette / PIB.

Violation quasi-permanente par la France depuis 20 ans des règles de l’euro. Incapacité à réduire notre déficit structurel.

Écart du simple au double du ratio dette /PIB entre le nord et le sud de la zone euro. D’où le risque d’éclatement de l’euro. Et dans cette hypothèse, d’effondrement de notre pouvoir d’achat car nous vivons sous le parapluie de l’euro.

Prime de risque avec l’Allemagne = spread à 51 points de base en mai 2022 contre 23 points en début d’année. Alerte !

Commencerions-nous donc à inquiéter nos créanciers ?

Le spread Italie/Allemagne, monté à 200 points de base, illustre bien la fragmentation de notre zone monétaire.

Une petite moitié de la dette français est détenue par des créanciers étrangers, 1/3 environ par la Banque de France et la BCE dont les 3/4 de la dette covid.

Perspectives : Risque (2023-2024) de mise sous tutelle européenne d’une France incapable de se réformer ? Scénario proche de la Grèce ?

Sans parler d’une prise de pouvoir par les populistes qui nous pousseraient de fait très rapidement hors de la zone euro….

Au delà de son principe, le « quoi qu’il en coûte » a créé des effets d’aubaine et a surtout complètement fait perdre à nos concitoyens la conscience des limites.

Le peuple français et les médias (surpayés) n’ont plus conscience de la nécessité de redresser nos finances publiques. Nous vivons dans une illusion d’argent magique. Jusqu’à quand ?

Comme nous en avertit le gouverneur de la Banque de France en citant La Fontaine :

« Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres, et ne croyons le mal que quand il est venu. »

Autrement dit, nous ne prévoyons pas !

Mesures à prendre sans délai :

  • réforme des retraites ( elles représentent la moitié de l’écart de la dépense publique / Allemagne ); c’est donc la mère des réformes ; il faut absolument travailler plus pour résoudre nos problèmes et financer la transition énergétique ;
  • lancement de fonds d’investissement ( car les « aides aux entreprises » forment près du cinquième de l’écart de la dépense avec l’Allemagne) ; et donc renforcement des fonds propres en réorientant le surplus d’épargne au lieu de dispenser des aides aux entreprises ;
  • révision des doublons et économies par une réorganisation administrative de la France, une véritable décentralisation du pays, doublée d’un « comité de la hache » pour revoir les procédures inutiles ;
  • lancement du « dividende salarial » pour enrichir les salariés et permettre ainsi une augmentation éventuelle des impôts ;
  • éducation des Français à l’économie et aux contraintes de l’énergie et du climat. Ce point est capital. Comment faire comprendre aux Français que nous devons équilibrer nos comptes alors qu’ils sont déséquilibrés depuis un demi-siècle ? Comment expliquer que nous devons changer nos comportements et modes de consommation pour renverser les émissions de carbone ?

Autrefois, notre monnaie nationale était attaquée et nous étions contraints de réagir.

Comme le résumait Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France : « L’euro a protégé mais n’a pas stimulé. »

L’Europe va nous rappeler à l’ordre prochainement !

Bien noter que toutes les promesses faites durant la campagne présidentielle étaient fondées sur des hypothèses budgétaires désormais caduques en raison des nouvelles conditions internationales. Nous risquons en effet une croissance nettement plus faible avec une inflation possiblement à 10% en fin d’année.

Pour autant des marges de manœuvre existent pour accompagner l’effort : la dette Covid, presque entièrement contenue dans les comptes de la BCE et de la Banque de France, peut être transférée vers ceux du Mécanisme Européen de Stabilité et amortie sur 30 ans si les Européens le décident. Mais il faut commencer par balayer devant notre porte.

Français, journalistes, hommes politiques, sortons du déni avant que la situation ne devienne explosive !

Refusons le populisme les 12 et 19 juin. Réformons-nous ensuite. Et refondons le Pacte de stabilité européen abandonné depuis 2020. C’est le grand dossier des mois à venir.

 

 

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